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Le dividende - Première partie

Louis Even le vendredi, 23 décembre 1966. Dans Economie

Le droit de tous à un dividende

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Tous héritiers de la Création, tous héritiers des générations passées

Héritage productif conférant à tous un droit sur la production

Parti, non, dividende, oui

Louis EvenEn matière économico-sociale, le journal Vers Demain préconise l'application du Crédit Social.

Lorsque vous entendez les mots "Crédit Social", qu'est-ce qui vient à votre esprit ? Est-ce la pensée d'un parti politique qui porte ce nom ? Le parti du Crédit Social de l'Ouest ? Le Ralliement créditiste de Réal Caouette dans la province de Québec ? — Si c'est cela, vous n'y êtes pas. Il n'y a pas plus de ressemblance entre le Crédit Social et un parti politique, même étiqueté de ce nom, qu'il y en aurait entre la religion catholique et une bande de brigands qui chercheraient à dévaliser les églises et les presbytères après avoir inscrit "catholiques" sur la crosse de leurs revolvers. Vers Demain l'a répété assez souvent dans ses circulaires, dans ses causeries hebdomadaires à 34 postes de radio : l'idée d'un parti politique est complètement étrangère au Crédit Social authentique, les méthodes d'un parti politique sont directement opposées à la philosophie inspiratrice du Crédit Social.

Mais si le Crédit Social vous fait penser à l'idée d'un dividende à tout le monde, alors, oui, vous y êtes, même s'il y a autre chose aussi dans le Crédit Social.

Idée neuve, mais bonne

Un dividende périodique à tout le monde —cela paraît encore une idée étrange à bien des gens. Non pas, croyons-nous, qu'ils hésiteraient à accepter une somme de $25 ou de $50 par mois en plus de ce qu'ils peuvent déjà obtenir par ailleurs. Mais c'est là une innovation qui soulagerait tout le monde — au moins en grande partie — du cauchemar financier. Et ceux qui sont les auteurs, ou les valets des auteurs, du cauchemar financier trouvent toutes espèces d'arguments à opposer à ce neuf-là. Des taxes nouvelles, ou des taxes augmentées, même si elles font gémir, il faut les accepter, nous disent-ils, au nom de principes présentés comme sacrés. Mais un dividende à tout le monde, qui mettrait de la joie dans les maisons — halte-là!

Pourquoi "halte-là" ?

Pas gagné, mais hérité

Ce serait de l'argent pas gagné personnellement. Ce serait des taxes sur les travailleurs. Ce serait de l'inflation. Ce serait faire des paresseux. Etc., etc.

De l'argent pas gagné personnellement, c'est vrai, mais qu'y a-t-il de mal là-dedans, si d'autres raisons y donnent droit ? Qui osera nier, par exemple, qu'un héritier ait droit à l'héritage laissé par son père ? L'héritier n'a pas gagné cette fortune personnellement. Peut-être est-il si insouciant, ou de si peu de conduite, qu'il la gaspillera toute en peu de temps ? N'importe, il y a droit quand même, n'est-ce pas ?

Mais où est l'héritage laissé à tout le monde, pour que tout le monde en reçoive un dividende périodique ?

Disons tout d'abord qu'un dividende périodique, par exemple un dividende de $50 par mois à chaque Canadien, cela veut dire un droit reconnu à chaque Canadien sur les fruits de la production du pays. Sur la production offerte, au choix individuel, jusqu'à un montant de $50 par mois, à part des autres droits qu'il a pu se procurer d'autres manières.

C'est donc de la production qui est son véritable dividende. Pour justifier ce droit par l'héritage, il faut qu'une partie de la production, pour au moins la quantité qui répondra au total des dividendes du pays, soit le fruit d'un héritage qui appartient à tous. Est-ce que cet héritage existe ? Est-ce qu'il y a dans la capacité de production du pays une partie qui est héritée et dont tout le monde est héritier ? Nous répondons OUI. Et c'est facile à démontrer.

Héritage des générations

Imaginez 10 hommes vivant sur une île déserte, sans les outils, les machines, les connaissances, les installations électriques et autres formes d'énergie extra-musculaire, sans les techniques modernes de production. D'autre part, comparez à leur situation 10 hommes employés dans des usines de Montréal, ou de Toronto, ou de Détroit.

En beaucoup moins d'heures d'ouvrage, avec moins d'efforts et moins de fatigues, la production des 10 derniers hommes est cent fois plus considérable que serait celle des 10 hommes sur l'île déserte.

A quoi est due la différence ? L'augmentation vient évidemment de l'utilisation de machines, de sources d'énergie, de connaissances acquises et transmises d'une génération à l'autre. La génération actuelle bénéficie de tout l'apport des générations qui l'ont précédée. Immense héritage qu'elle se doit de préserver, de grossir encore et de transmettre à son tour aux générations suivantes.

Est-ce que les dix hommes de nos usines ont personnellement gagné ces possibilités immenses, bien au-dessus de celles dont disposaient nos devanciers d'il y a disons 500 ans ? Non, certes. C'est, encore une fois, le gain accumulé des siècles passés. C'est un héritage dont personne ne peut se déclarer propriétaire exclusif, mais dont tous sont co-héritiers. Un héritage qui se traduit par une production actuelle énorme.

A-t-on le droit de refuser les fruits de cet héritage aux héritiers, à tous les héritiers, sous prétexte qu'ils ne l'ont pas gagné personnellement ?

Il y a bien aussi la matière première, les ressources naturelles, l'énergie potentielle de nos chutes d'eau, les gisements souterrains de charbon, de pétrole, de gaz naturel, et autres richesses minières, l'existence de forêts, le sol lui-même, toutes ces choses qui sont des dons de Dieu à l'humanité, et sans lesquelles le travail le plus pénible laisserait les hommes bien pauvres. Qui donc a "gagné" cela ?

Salaire et dividende

Sans doute, comme les dix hommes de nos usines, les autres travailleurs de toutes catégories, qui contribuent à mettre en valeur l'héritage de la création et l'héritage des générations précédentes, ont droit à une récompense. Elle leur est reconnue par les salaires et autres modes de rémunération. Mais cela n'exclut pas le droit des héritiers, de tous les co-héritiers à une part de la production ; à titre justement de co-héritiers, disons de co-propriétaires d'un capital communautaire. Capital bien plus réel que les signes de piastres. Capital qui contribue bien plus à la production moderne que les efforts de ceux qui ont un emploi dans cette production.

Revenons au cas du jeune homme qui hérite une fortune de son père. S'il investit cette fortune dans la production sans fournir son travail personnel à la production, n'a-t-il pas quand même droit à un revenu en vertu du capital piastres qu'il a investi ? Et si, outre cette mise de fonds, il fournit son travail personnel, n'aura-t-il pas droit à la fois à un salaire pour son travail et à un dividende sur sa mise de fonds ?

C'est justement cela que préconise le Crédit Social : continuer la rémunération au travail personnel, mais verser un dividende sur la production considérablement augmentée par l'existence du capital réel communautaire — donc un dividende à tous, employés et non-employés.

Impossible de nier l'existence de ce facteur de production, qui n'est ni travail ni argent. C'est ce facteur-là qui, aujourd'hui, sous le nom d'automation, prend une place de plus en plus grande dans la production, au point d'être considéré comme un problème de plus en plus aigu dans une économie qui n'a pas encore voulu admettre le droit des héritiers, de tous et de chacun, à l'héritage commun grossissant d'année en année.

L'idée d'un dividende périodique à tous n'est donc point du tout une idée saugrenue, même si elle est neuve pour une économie qui patauge dans du vieux, du vieux inconciliable avec les réalités de la production moderne.

— Mais, continueront d'objecter certains, il demeure inouï que de l'argent soit distribué sans avoir d'abord été gagné par celui qui le reçoit.

— Allons donc, messieurs, n'est-ce pas le cas des allocations familiales, des pensions de vieillesse, des allocations aux mères nécessiteuses, etc. ?

— Oui, répliquent-ils, mais c'est de l'argent gagné par d'autres, par des employés de la production. Avec cet argent, les récipiendaires des allocations peuvent se procurer de la production gagnée par les travailleurs de la production.

— Hé, messieurs, vous continuez de croire que toute la production est gagnée par les bras qu'elle emploie encore. Vous n'admettez donc pas la part produite par les machines, par ce qu'on vient d'appeler un héritage commun. C'est cette part, pas gagnée par les producteurs eux-mêmes, que' nous demandons de distribuer en garantissant un dividende périodique à tous.

Mais où prendre l'argent ?

— Mais, objectent encore ces messieurs, le dividende serait distribué en argent, et où peut-on prendre l'argent sinon en taxant ceux qui en ont ?

Question à laquelle on peut répondre par une autre :

— Où prit-on l'argent pour la première fois, partout où l'on décida d'introduire l'argent dans le commerce au lieu de continuer avec le lourd système du troc ? On ne le prit certainement pas dans les taxes quand personne n'avait encore d'argent. Puis, de même est-ce avec des taxes qu'on augmente l'argent en circulation, lorsque l'augmentation de la production du pays et l'accroissement de sa population exigent nécessairement une augmentation des moyens de paiement ?

L'argent, ce sont simplement des chiffres légalisés sur du métal, sur du papier ou dans des livres de banque. Et ces chiffres confèrent des droits au libre choix des produits et services offerts dans le pays. Si donc l'on décide de reconnaître le droit de chaque personne à un dividende, il n'y a qu'à émettre et distribuer à chaque personne ces chiffres légalisés à faire valoir auprès de n'importe quel marchand, n'importe quel producteur de denrées ou de services dans le pays.

Et l'inflation ?

— Et l'inflation, qu'en faites-vous ? L'inflation qui fait monter les prix ?

— Quoi, l'inflation ? Est-ce qu'un dividende fourni directement par la société à tous ses membres, sans passer par l'industrie, augmenterait le moins du monde le prix de revient des produits ?

D'ailleurs, le Crédit Social préconise un système financier simple, mais complet, éliminant toute cause d'inflation des prix, parce qu'il fait toujours de l'argent le reflet exact des réalités. La suppression des problèmes purement financiers dans la production d'une part, et dans l'écoulement de cette production vers les besoins d'autre part, aurait pour effet de faciliter une production abondante. Or, quand la production est plus abondante et plus facile, le coût réel des produits doit baisser ; un système reflétant cette réalité devrait également abaisser le prix financier des produits. Le Crédit Social ferait cela.

Et la paresse ?

— Mais, est-ce qu'un dividende à tout le monde ne ferait pas des paresseux ?

Cette objection a été cent fois réfutée. Elle ne tient pas debout. Quel homme actuellement à l'ouvrage quitterait son emploi pour se contenter d'un dividende qui ne serait que le tiers ou le quart de son salaire ? Puis, n'y aurait-il pas exactement la même différence de revenu qu'aujourd'hui entre un employé et un sans-emploi ? Les deux auraient le même dividende social, mais le salarié aurait encore son salaire en plus.

D'ailleurs, la paresse est un vice. L'argent n'a pas pour fonction de corriger les vices, de remplacer la grâce, la prière, les sacrements. Puis, libre disposition de son temps et paresse ne sont pas synonymes. On peut s'occuper très bien, avantageusement pour soi et pour les autres, sans être embauché à de la production matérielle.

Mais il y a toujours des gens qui pensent, qui le disent même parfois : "Pour moi, il n'y a pas à craindre si je reçois de l'argent outre mon salaire ; mais pour l'homme d'en face, ce serait un désastre, il ne saurait rien en faire d'utile, cela ne ferait que hâter sa carrière de dépravé."

Ces pharisiens ne méritent pas de réponse.

Il restera certainement de l'éducation à faire. Les efforts dirigés dans ce sens seront beaucoup moins matérialisants que les efforts faits actuellement pour susciter des besoins matériels nouveaux en vue de maintenir l'embauchage à l'encontre du progrès.

Le dividende à tous, qui est un dû et non pas une aumône, serait infiniment supérieur aux bribes de sécurité sociale à base de taxes, par lesquelles nos gouvernements essaient de mettre un peu d'onguent sur des plaies plutôt que de modifier un système financier fautif qui en est la cause.

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