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La conception créditiste de la démocratie

le dimanche, 21 janvier 1962. Dans Une lumière sur mon chemin

Moins de pouvoir aux gouvernements, plus de pouvoir aux individus

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Louis EvenJe vais vous parler pendant ce quart d’heure, de la démocratie. De la manière dont le Crédit Social conçoit la démocratie. Le Crédit Social, la doctrine du Crédit Social et non pas le parti.

Lorsque des personnes, des familles sont dans le besoin et se sentent incapables d’améliorer leur situation, elles se tournent comme naturellement vers le gouvernement. Pourquoi   ? Parce qu’elles ont conscience de leur faiblesse, de leur impuissance, et elles ne voient d’espoir que dans une aide du gouvernement. Elles savent le gouvernement beaucoup plus puissant qu’elles.

C’est évidemment le devoir du gouvernement de soutenir les faibles. Mais lorsque ces faibles ont reçu du secours du gouvernement pour leurs besoins immédiats, ils ne sont pas pour cela plus puissants qu’auparavant. Ils restent avec leur faiblesse. Ils ont été soulagés, oui mais ils n’ont pas été fortifiés. Leur sort demeure essentiellement le même. Ils auront encore besoin du même secours.

Pour fortifier les faibles

Et lorsqu’ils sont nombreux, ceux qui doivent se débattre, pour rester quand même au-dessous d’un niveau de vie convenable au siècle où ils vivent et au pays qu’ils habitent, alors le mécontentement naît et s’étend. Les oreilles sont alors ouvertes aux politiciens qui préconisent un changement de gouvernement.

L’expérience aurait pourtant déjà dû faire comprendre qu’un changement de gouvernement, en soi ne change rien. Tout au plus, le sort de quelques favoris peut être amélioré mais aux dépens du sort de quelques autres.

Ce n’est pas un changement de gouvernement qui donnera plus de puissance aux faibles. Ce n’est pas de mettre le pouvoir entre certaines mains plutôt qu’en certaines autres, qui donnera du pouvoir aux personnes et aux familles.

Ce qu’il faut, c’est prendre le pouvoir là où il est concentré, là où il est excessif, et le répartir entre les membres de la société.

Le pouvoir est excessif dans les gouvernements modernes. Il l’est de plus en plus. C’est d’ailleurs un vice qui naît de la possession même du pouvoir sur les autres. Plus les gouvernements ont de pouvoir, plus ils veulent en avoir, même s’ils se gardent bien de le proclamer.

Il y a d’ailleurs des voix pour dire tout haut: «Il faut un gouvernement fort pour avoir un peuple fort.» C’est la voix de tous les dictateurs de tous les siècles, du nôtre y compris. Et c’est aussi la voix des sots qui s’imaginent qu’un gouvernement fort va faire un peuple fort. Car c’est exactement le contraire. (Nous parlons ici du pouvoir, de la puissance, non pas de l’autorité.)

Lorsque le pouvoir est concentré dans un lieu, dans un homme, dans un clan, dans un parti, ce qui est concentré dans ce lieu, dans cet homme, dans ce clan, dans ce parti, ne se trouve pas ailleurs. Si vous mettez tout le pouvoir entre les mains du gouvernement, il n’en reste plus pour les personnes, pour les familles, ni pour les corps intermédiaires. Vous avez alors l’État-Moloch, la dictature politique absolue.

Point de vue du Crédit Social

Aujourd’hui, la centralisation se manifeste partout. On la constate dans le système financier, la finance est centralisée. Dans l’industrie, l’industrie est centralisée. Dans la politique, les gouvernements sont de plus en plus centralisés.

Le Crédit Social, la doctrine non le parti, est essentiellement la conception d’un ordre favorisant l’épanouissement de la personne. Et il cherche cet ordre, non pas dans l’accession à un pouvoir, politique ou économique, qui domine les personnes, mais dans une augmentation du pouvoir chez les personnes elles-mêmes. Un pouvoir individuel qui permette à la personne d’exercer librement son initiative et d’assumer ses responsabilités dans la poursuite de ses propres fins légitimes.

Contrairement, donc, aux accusations de fascisme, lancées contre le Crédit Social par des ignorants ou des mal intentionnés, le Crédit Social authentique est l’idéologie la plus démocratique de toutes les idéologies qui cherchent aujourd’hui l’adhésion des esprits. Le Crédit Social conçoit la démocratie comme une limitation des pouvoirs du gouvernement et un accroissement du pouvoir des individus.

Cette description de la démocratie ne devrait rencontrer aucune contradiction. Est-ce que la démocratie n’est pas présentée comme le contraire de la dictature  ? Or, la dictature ne consiste-t-elle pas dans le pouvoir absolu exercé par un chef ou par un parti sur toute la population, ne laissant aucun choix aux individus  ?

C’est donc bien en diminuant le pouvoir des gouvernements, pour augmenter le pouvoir des personnes, que l’on brise la tendance à la dictature et que l’on fait progresser vers une démocratie authentique. Le mot démocratie veut justement dire cela: demos, peuple; kratos, puissance; la puissance du peuple. Le peuple n’est pas une abstraction. Il est composé de personnes. C’est la puissance des personnes qui fait la puissance du peuple.

En économique

Ceux qui font consister le Crédit Social uniquement dans la distribution de l’abondance à tous n’ont qu’une idée restreinte du Crédit Social véritable.

Dans une étable, les animaux peuvent être, tous et chacun, très bien nourris, très bien entretenus par leur maître. Ils ne sont pas pour cela en démocratie mais en dictature. Car c’est le maître qui décide tout pour eux, qui décide lui-même de leur emploi, de leur nourriture, de leur logement, de leur entretien. Cela pourrait être une image du socialisme d’État, du totalitarisme, mais nullement du Crédit Social.

Le Crédit Social, il est vrai, envisage un mode de répartition de la richesse qui n’oublie personne, mais il n’en reste pas là. D’ailleurs, dans le Crédit Social, la répartition de la richesse n’est nullement soumise aux décisions du gouvernement. Elle est ‘statutairement’ établie et mathématiquement rythmée à l’état même de la richesse, à la production et à la consommation, qui ne dépendent pas du gouvernement mais de producteurs libres et de consommateurs libres.

Puis, répétons-le, c’est l’épanouissement de la personne, l’exercice par l’individu de son initiative et de sa responsabilité personnelle, qui fait précisément l’objet de la philosophie créditiste.

La garantie à tous et à chacun d’une part des biens matériels n’est pas une fin en soi. Cette garantie n’entre dans l’enseignement créditiste que comme un moyen en vue d’une fin, un moyen de supprimer pour la personne des entraves indues à sa propre ascension.

Mais cette ascension exige bien autre chose, qui devra venir de la personne elle-même. Et si le système économique, même en distribuant bien la richesse, ne laisse pas en même temps la personne en mesure d’exercer son initiative et d’assumer ses responsabilités, alors le système économique resterait encore très imparfait.

C’est ce qu’a souligné Jean XXIII dans Mater et Magistra. Dans son Encyclique, il répète les enseignements de ses prédécesseurs sur les droits de tous à l’usage des biens terrestres, mais il insiste aussi comme eux sur l’ouverture à l’exercice de l’initiative personnelle. Il écrit:

«Si les structures, le fonctionnement, les ambiances d’un système économique sont de nature à compromettre la dignité humaine de ceux qui s’y emploient, à émousser systématiquement leur sens des responsabilités, à faire obstacle à l’expression de leur initiative personnelle, pareil système économique est injuste, même si, par hypothèse, les richesses qu’il produit atteignent un niveau élevé et sont réparties suivant les règles de la justice et de l’équité.»

Il faut donc tenir compte, en économique, non seulement de la répartition de la richesse, mais des facilités offertes à l’exercice de l’initiative et de la responsabilité personnelles. Car c’est de personnes humaines qu’il s’agit et non pas d’animaux à entretenir.

En politique

Il en va de même en politique, où la personne humaine doit être considérée dans toute sa dignité et ne pas être traitée comme un simple instrument à utiliser par des gouvernements ou par des partis. Et le Crédit Social authentique a ce souci de la personne.

C’est pourquoi ceux qui considèrent les personnes surtout en fonction de leur vote, à peu près uniquement comme des instruments pour faire un parti accéder au pouvoir, sont loin d’être des créditistes, même s’ils se parent de ce qualificatif.

C’est pourquoi aussi un groupe, une association, un mouvement, qui ne cultiverait pas chez ses membres l’exercice des initiatives et des responsabilités personnelles, mettant l’accent sur le groupe plus que sur les personnes qui le composent, ce groupe serait simplement une forme de collectivisme. Il ne pourrait en aucune manière prétendre orienter vers un ordre véritablement démocratique.

Si un tel groupement osait porter l’étiquette de Crédit Social, ce serait une monstrueuse profanation du terme. Qu’il s’agisse d’un parti ou d’une organisation quelconque.

C’est pourquoi, aussi, l’école de Vers Demain, qui fait profession de Crédit Social authentique, s’efforce de développer chez ceux qu’elle forme la responsabilité personnelle, l’initiative individuelle, l’assumation d’objectifs personnels. Initiative de chacun bien qu’ordonnée par chacun vers un idéal commun, pour le bénéfice non seulement des membres du mouvement mais de tous les citoyens. C’est pourquoi, encore, les membres actifs du mouvement de Vers Demain cherchent la récompense de leur travail, non pas dans de l’avoir matériel mais dans un accroissement de leur être, dans un enrichissement de leur personnalité. En même temps aussi, parce qu’ils sont chrétiens, ils placent leur satisfaction dans le fait de suivre les préceptes du Maître, en s’efforçant de faire du bien au prochain.

Citations de Douglas

Pour en revenir à la conception créditiste de la démocratie, citons en finissant quelques phrases écrites par le successeur de Douglas à la tête du Secrétariat du Crédit Social. Il écrit dans «An Introduction to Social Credit»:

«Les gouvernements aujourd’hui sont presque infiniment mauvais. En tout cas, ils ont des attaches avec le mal infini. Ils sont voleurs, menteurs, hypocrites. Ils sont corrompus par le pouvoir. Et le remède à cette corruption, c’est de leur ôter de ce pouvoir pour le redistribuer aux personnes. Déconcentrer le pouvoir.

«Il n’y a aucun espoir à placer dans un changement de gouvernement. Un nouveau gouvernement hérite du pouvoir excessif de son prédécesseur; et, selon la remarque de Lord Acton confirmée par l’histoire, ce pouvoir corrompt le nouveau gouvernement tout comme les précédents.

«Ce qui est essentiel, c’est un changement dans la répartition du pouvoir entre le gouvernement et les citoyens. On ne peut évidemment attendre d’un gouvernement qu’il prenne l’initiative d’un tel changement, d’une diminution de son pouvoir. C’est donc aux citoyens eux-mêmes qu’il incombe de prendre cette initiative.

«Ceux qui visent à la domination mondiale voudraient rendre leur position imprenable… et dès que l’opinion publique s’éveille un peu à la situation réelle, ils s’empressent de canaliser son action vers des voies sans danger pour leur pouvoir.»

Cette dernière phrase de Monsieur Monahan nous paraît s’appliquer parfaitement aux futiles recherches d’améliorations dans des renversements de gouvernements, que ce soit par des partis anciens ou en poussant des partis nouveaux, ce qui ne réussit en définitive qu’à tromper, qu’à leurrer la population tant qu’elle borne là son action.

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