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Lettre d'un Retraitant au Directeur de Vers Demain

le vendredi, 15 juin 1945. Dans La vie créditiste

Monsieur LOUIS EVEN,

Directeur de VERS DEMAIN.

Mon cher Monsieur Even,

La satisfaction, l'indignation, la sympathie, trois sentiments de même source, mais différents, me pous­sent à vous griffonner ces quelques lignes, hâtivement, entre deux sermons...

"Vers Demain", votre petit journal si alerte, si courageux, vient de me rejoindre ici, loin des vains bruits de ce monde dans cette retraite où je suis venu chercher un repos à tous mes soucis. Je l'ai salué avec une sorte d'enthousiasme joyeux, comme un ami au­quel chaque jour de nouveaux motifs m'attachent plus puissamment. Il est rempli d'une foule de renseigne­ments et de faits que je ne trouve en aucun journal. Vous autres, votre journal, vous êtes libres ; vous n'a­vez pas de compte à rendre à cette mégère de la Dicta­ture Économique, monstre "dur, implacable et cruel" tout trempé de sang, souillé de la fumée des incendies qu'il a allumés, glorieux des ruines et des misères qu'il ne cesse d'accumuler sur le monde et qu'il proclame ses victoires.

Vous autres, vous êtes libres, mais les autres ils sont courbés, à genoux, à plat ventre devant lui, léchant d'avance le plancher où ses bottes viendront se poser. Et, là, où mon indignation remplace l'écœurement, c'est de voir des journaux du type que l'on appelle ca­tholique se mettre au rang de ces lécheurs de pavés, trahissant la noblesse de leurs origines, oublieux de leur mission.

*    *    *

Je songe en ce moment à un homme qui, à force de dévouement, de sacrifices et d'éloquence, avait mis sur pied un journal. S'il revenait, il trouverait son enfant passablement perverti, gardant encore quelques appa­rences de vertu, mais déchu, tombé des hauteurs intel­lectuelles, religieuses et patriotiques où il l'avait élevé. Profitable peut-être, au point de vue argent, mais dou­loureuse dégringolade !

Que d'autres journaux se vautrent dans le menson­ge et acceptent la conspiration du silence sur les faits peu reluisants de la Dictature Économique ; cela ne m'étonne pas. Mais, ce fier journal au temps jadis, maintenant tombé au rang des chiens muets, ou se constituant thuriféraire des puissances financières, cela me déconcerte, m'indigne, me scandalise.

Nous comptions sur lui pour nous renseigner. Il ouvre ses pages à la C.C.F., si fortement teintée de communisme qu'on ne sait plus ce que l'on en doit penser. Il accueille avec bienveillance des rumeurs fo­lichonnes mises en route par des pantins que manœu­vrent, de leurs officines, de grands exploiteurs de l'o­pinion publique et de la "candeur naïve" logée à tous les étages de la société. Mais en face d'un mouvement comme le vôtre, sérieux, favorable au relèvement du prolétariat, à l'expansion des familles mieux vêtues, mieux nourries, mieux logées, il s'enferme obstiné­ment dans un silence, que j'allais dire malhonnête et bête...

N'est-ce pas déconcertant ?

*    *    *

Voici des faits que vous connaissez bien, mais que j'aime à rappeler, parce qu'ils démontrent que mon écœurement prend racine ailleurs que dans l'imagina­tion d'une âme atrabilaire ou anticléricale. L'été der­nier, grand congrès créditiste à Québec. Six cents dé­légués. Trois jours de séances publiques. Et le diman­che soir, pour clôturer le tout, fanfare en tête, grande parade d'autos, près de deux cents décorées de dra­peaux créditistes.

La salle du Palais Montcalm, malgré une chaleur écrasante, déborde d'un auditoire sympathique ou cu­rieux, qui se tient là, écoutant parler du "CRÉDIT SOCIAL" pendant trois heures.

Le lendemain, on cherche dans les journaux le ré­cit des événements de la veille, les uns pour se rensei­gner, les autres pour prolonger leur plaisir, rien, rien, dans aucun. Étonnement, déception ! Comment ! On rapporte les plus insignifiantes parades de raquetteurs, le défilé de régiments militaires, même celui des cir­ques. Et rien pour la manifestation si imposante de la veille. Et celui qui se dit le meilleur des journaux est au premier rang parmi les conspirateurs de ce silence, parmi les organisateurs de cette tromperie envers leur clientèle. Déconcertant !

Et cette année au parlement de Québec, un député, M. Chaloult, qui n'est pas créditiste mais qui, par souci d'honnêteté professionnelle, parle du "Crédit Social" pendant trois quarts d'heure. Quelques lignes, au plus quatre ou cinq, résument cet important dis­cours sur un sujet nouveau. Le député de la C.C.F., quand il dit des bêtises, est mieux servi...

*    *    *

Eh ! bien, malgré cet amoncellement de nuages bru­meux qui veulent l'envelopper, la lumière du "Crédit Social" éclate en tous lieux. Rien ne peut l'empêcher de paraître parce qu'il est fort de son désintéressement, de son courage et de sa doctrine.

Allez donc par vos droits chemins, sans vous laisser entraîner, sous prétexte de succès plus rapides et plus faciles, à contracter des alliances douteuses. Nous avons sous les yeux la vieille histoire des résultats que donnent de telles alliances. À quoi nous a servi d'avoir armé la Russie ? Cela a pu nous aider à écraser l'Allemagne par une reddition païenne. Mais la Russie res­te armée contre la chrétienté pour la défense de laquelle on nous avait demandé le sang de nos fils et poussé vers la ruine toute l'économique de notre pays. Au­jourd'hui des millions de catholiques sont tombés sous la botte russe. Beau résultat ! C'est quelque chose de semblable que nous donnerait notre alliance avec certains éléments dont l'unique souci paraît être d'é­craser King, sans se préoccuper de ce qui adviendra le lendemain. Le sort de la Pologne devrait nous instrui­re.

Allons donc de l'avant, fermes dans nos vouloirs, vrais dans nos affirmations. L'opinion publique, à mesure qu'elle prend contact avec nous, se dispose à nous porter au triomphe. Et les autres, et les tristes journaux qui les représentent, s'en vont vers le ridi­cule et l'impuissance. Quelques-uns apparaissent mê­me odieux, traînant la ficelle dorée ou argentée qui les attache au monstre de la dictature, trop visible pour qu'ils puissent réussir à la cacher. Leur parenté avec certains magnats et requins de la finance a ses titres écrits, non dans des documents officiels ou des ta­bleaux d'honneur, mais sur les tas de piastres dont ils disposent. Et en dépit de leur profession de vertu et d'honnêteté, il est facile de voir acoquinement avec les gros entrepreneurs de corruption populaire ou les spoliateurs éhontés des deniers publics. Hélas !

Mais il est consolant de voir que "Vers Demain" chaque semaine pénètre dans un nombre toujours plus grand de foyers, où il répand la lumière.

Votre campagne électorale vous oblige à des dé­penses plus considérables que vous l'aurez peut-être prévu. Aussi je voudrais pouvoir vous envoyer des centaines de piastres, mais je n'ai qu'un maigre vingt-cinq piastres. Je vous l'envoie quand même. Lorsque je veux du pain, je le paie, et cela me dispense d'ache­ter une boulangerie : ce qui veut dire, parce que je veux le "Crédit Social" j'en paie une petite part, vous laissant le maître d'utiliser mon offrande comme vous l'entendrez.

Je crois au "Crédit Social" à cause de l'immense charité qui enflamme ses apôtres et leur surprenant dé­sintéressement : mais aussi à cause qu'il me paraît, sans être une panacée à tous les maux de la société, mieux que tout autre système, plus apte à atteindre le but pour lequel la société est organisée selon cet enseignement de saint Thomas dans son ouvrage "DE REGIMINE PRINCIPUM" et qui se traduit ainsi : "L'homme devant vivre en société, mais parce que so­litaire il ne peut suffire aux nécessités de sa vie, la so­ciété qui le reçoit, dans laquelle il rejoint les autres, sera d'autant plus parfaite qu'elle suffira mieux par elle-même à ses nécessités de vie humaine".

Voilà ce que veut le "Crédit Social" : réaliser la pacification dans tous les domaines, et spécialement sur le terrain économique, par une abondante effusion de justice et de charité. Assez retenir de votre temps, bonjour et bon courage !

Un vieil abonné auquel vous faites parfois l'hon­neur de publier ses griffonnages,

Georges CARDINAL

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