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La farce continue

Théophile Bertrand le dimanche, 01 août 1943. Dans Politique

Oui, la farce continue — la farce sociale, éco­nomique et politique qui a conduit le monde à la folie. Elle continue en dépit de la guerre maudite et de ses lendemains incertains. Que dis-je, elle continue ? Elle tourne à un cynisme à la fois bur­lesque et révoltant.

Décadence

Tous les signes de la décadence d'une civilisa­tion dominent la chevauchée des événements.

Ceux dont la fonction est de répandre la vérité la musellent, l'alambiquent, la diplomatisent. La famille est méprisée, ignorée, persécutée. La fem­me n'est plus qu'un instrument de plaisir, une ca­tin, un rouage d'usine. La grotesque cité moder­ne, mangeuse d'âmes, évince pour de bon la ter­re.

Le péché ne suffit plus ; on prostitue la nature. La pensée est claustrée ; la technique règne. L'illo­gisme est roi ; les imbéciles font de l'argent.

L'homme qui, depuis l'origine de l'individualis­me et du pseudo-personnalisme, s'est découvert si aimable et si grand, n'est plus que le zombie d'un cauchemar sans fin.

Tableau trop cru ? Outrances ? Exagérations ? Littérature ? Repassons quelques faits.

Avant

Durant la crise, avant la guerre — c'est deve­nu un lieu commun de le dire — nous nous pri­vions de la surabondance de tout, parce qu'il n'y avait pas d'argent... pour acheter. La guerre est venue. Bienfait économique. L'argent roule par milliards ; il prend même des chemins inattendus. Nous vivons ( ?) relativement mieux (dans les apparences, car il s'agit toujours d'une économie cul par-dessus tête), parce que nous avons des hommes à tuer.

Après

Lorsque nous n'aurons plus d'hommes à tuer, si l'on finit trop vite les travaux de paix en rai­son de la machine et de ses nouveaux progrès, il nous restera à démolir pour s'amuser à recons­truire, ou à prendre la place de la machine, ou à jouer de nouveau à la guerre, pour continuer d'avoir droit aux morceaux de papier, aux chif­fres qui permettent de manger.

Faits

Nous nous battons pour le respect des traités, des contrats, de la parole donnée ? On profite de l'état de guerre pour apporter à la Loi de l'Amé­rique Britannique du Nord un amendement qui permettra de prolonger la représentation inadé­quate des provinces au fédéral. Avantager l'On­tario et désavantager la province de Québec !

Le respect des traités ? L'honneur ? L'unité na­tionale véritable ? La noblesse ? La justice ? Mê­me pas des mots respectés pour le politicien mo­derne, ce phonographe des grandes circonstances, ce perroquet de banquet ; mais des mots prosti­tués, violés, détournés de leur sens, accommodés à n'importe quel ragoût.

Émancipation

Vous croyez que 2 et 2 font 4 ? Innocent ! Ça fait 5, même 5-6-7-8-11, etc., comme il vous plai­ra. Ça dépend des besoins du moment.

Vous vous rappelez l'esquisse de la philosophie de l'histoire moderne : la théologie s'émancipe avec Luther ; la philosophie avec Descartes ; la sociologie avec Rousseau ; la technique avec la physico-mathématique.

Émancipation finale ? L'homme émancipe en­fin la parole de la soumission au vrai. Il s'est fait dieu ; il lui fallait son Verbe. Le vrai ? Sa parole ne le reconnaît pas ! Elle le crée, elle le fait. Oui est non ; non est oui.

Et n'allez pas croire qu'Hitler soit le seul héri­tier de tous ces penseurs sublimes et invertis : Kant, Fichte, Hégel, Feuerbach et Marx ! Toute la ménagerie politique actuelle est de cette progé­niture et elle le prouve à satiété.

Illogisme universel

Irrité par l'orgueil des hommes et des peuples, Dieu est à leur montrer que l'humilité est aussi une vertu nationale. Il les abandonne à eux-mê­mes, à leurs principes de mort. C'est leur grand châtiment. Hitler est un produit de la fausse démocratie, de l'individualisme. C'est encore un cliché de le dire. Et alors que nous combattons le mal radical qu'il représente, nous accentuons les principes qui l'ont engendré. Nous vivons en gros, sur le plan universel, l'illogisme et le cy­nisme que nous vivons en détail sur le plan natio­nal. Voyons encore.

Des peuples se battent, disent-ils, pour délivrer ailleurs les minorités qu'ils tentent d'étouffer chez eux.

On présente des plans de réforme pour l'après-guerre, mais en se gardant bien de toucher au système monétaire et en préparant ainsi un genre d'État-Travail qui ne peut être qu'une réfraction quelconque du Moloch que nous combattons.

La presse

La presse bloque systématiquement des rap­ports de grandes associations, de Londres ou d'ailleurs, sur la nécessité d'un système monétaire plus rationnel et plus scientifique, alors qu'elle ouvre grandes ses colonnes à tous les planifica­teurs socialisants. Sur un problème aussi capital que l'argent, pas un mot ; ou, si l'on en parle, c'est pour montrer qu'on en est encore aux nébu­leuses sur la question.

Fins et moyens

Pourquoi d'ailleurs chercher tant d'exemples de la stupidité générale ? Cet après-midi, à Mont­réal, je viens d'entendre les sirènes qu'on es­sayait et qui doivent avertir la population de l'arrivée d'avions ennemis. Pourtant où sont les abris contre les raids ? Red Tape toujours. On est empêtré dans les moyens alors qu'on ne sait mê­me pas la fin. Tout comme en Economie.

Formation et action

Après toutes ces considérations, il est facile de comprendre pourquoi le Crédit Social dans Qué­bec tient tant à la formation de ses membres : for­mation théorique par l'étude et formation active par un travail social concret. Nous n'aurons, après la guerre, que, l'ordre qu'on nous imposera ou celui que nous portons en nous, en autant que nous serons organisés pour le réaliser.

Notre salut dépend donc en définitive de nous, de ce que nous sommes, de ce qu'est l'homme. Il est présentement une triste chose.

Négatif

En terminant, j'espère que certains sociologues en chambre ne répéteront pas, à propos de cet article, l'accusation qu'ils portent trop souvent contre Vers Demain : trop négatif, insiste trop sur le mal, prépare la révolution.

Nous savons l'importance des thèses positives ; mais nous savons aussi qu'il est vain d'en élabo­rer pour ceux qui ne veulent pas comprendre ou qui se contenteraient de les contempler. À la lé­thargie bourgeoise, on n'offre pas d'abord des dé­finitions et des syllogismes, des livres ; mais la douche et le fouet.

Théophile Bertrand

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