Le renard a la réputation d'un animal rusé. "Passé maître en fait de tromperie". Rusé, disons, comme un politicien de carrière.
Le bouc, au contraire, n'est ni fin ni méchant. Bon garçon, "ne voyant pas plus loin que son nez", il accepte tout, croit tout et, comme l'électeur canadien, se laisse rouler, re-rouler, charger de tous les péchés d'Israël.
Or donc, un jour d'été, nous conte le bon La Fontaine, "Capitaine Renard allait de compagnie avec son ami Bouc, des plus hauts encorné." Ils s'étaient permis de prendre un des chemins asphaltés de notre voirie provinciale.
Il fait chaud. Mais le renard est si fin causeur ; il amuse fort le bouc qui, parfois, doit s'en tenir le ventre de rire.
Tout de même, le bouc a soif, et tout en écoutant, en riant, en approuvant, il ne laisse pas de jeter des yeux à droite, à gauche, en quête de quelque bonne eau claire.
Tout d'un coup, voici un puits. Assez d'eau pour y boire, pas assez pour s'y noyer.
Et le bouc dit au conteur :
— Excuse-moi de t'interrompre. Mais, vois-tu, j'ai soif.
— Moi aussi, mon cher.
— Alors, si l'on sautait dans ce puits ?
— Si tu le peux sans te casser les pattes, je le puis aussi.
Sitôt décidé, sitôt fait. Et nos deux animaux se désaltèrent.
Ils se lavent le visage et se rafraîchissent à souhait.
Puis le renard dit au bouc :
— Que ferons-nous maintenant, compère ? Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici. Regarde-moi ce mur. On a bien sauté en bas, mais comment va-t-on sauter en haut ?
— C'est bien trop vrai, répond le bouc. Je n'y avais pas songé. Et dire que c'est moi qui ai choisi ce lieu !
Et le bouc repentant a envie de pleurer, à la perspective de finir ses jours dans le fond du puits.
— Attends, dit le renard. Ne sois pas triste, mon cher. Je suis avec toi. J'ai une idée, un plan !
— Plan Bouchard ?
— Plan Renard ! Si tu veux bien t'y prêter ?
— Je suis tout à toi. Tu as fait des études universitaires ! Moi je ne suis qu'un habitant. Rien que l'école du rang, et j'ai lâché en quatrième année !
— Voici donc. Tu es grand ; moi, petit. Toi, fort ; moi, faible.
— Et j'en suis fier !
— Tu vas donc te placer debout sur tes pattes de derrière ; appuyer tes pattes de devant contre la muraille du puits, allonger ton cou et ta tête. Te tenir bien raide. Tu me serviras ainsi d'échelle. Je grimperai le long de ton échine, premièrement ; puis sur tes épaules, puis sur ta tête, puis sur tes cornes. De là, je sauterai facilement hors du puits. Après cela, je t'en tirerai.
— Par ma barbe, dit l'autre, tu as de l'esprit. Je n'aurais jamais ! je l'avoue, trouvé un plan si habilement conçu. Tu mérites bien de représenter les intérêts des animaux au parlement de la nation.
— Alors, tu seras fidèle à ton parti ?
— Je voterai toujours pour toi.
Et le bouc fait exactement ce que Capitaine Renard vient de prescrire. Et le renard sort du puits.
Le bouc lève ensuite les yeux dévotement vers son député pour recevoir les prochaines instructions.
Debout au bord du puits, et s'inclinant courtoisement vers son compagnon, le renard prend la parole :
Mon cher Bouc, si le ciel t'avait donné autant de jugement que de barbe au menton, tu n'aurais pas à la légère descendu dans ce puits, sans te demander d'abord comment en sortir. Si tu es dans la crise, c'est ta faute. Repens-toi maintenant de ton péché. Pour moi, je suis dehors. Toi, tâche de t'en tirer, fais tous tes efforts. Je regrette ta position ; mais je suis trop pressé, on m'attend à mon bureau. Je vais faire rapport, et on prendra ton cas en sérieuse considération. Je te souhaite beaucoup de patience. N'oublie pas que la nation a besoin des sacrifices de tous ses enfants. Ces pensées t'aideront dans ta détresse. De temps en temps, d'ailleurs, je ferai quelque bon discours au parlement, et je te l'enverrai. Tu le feras lire à tous ceux qui passeront, pour tenir bien haut le culte du parti qui fait la grandeur de la race. Donc, bonne chance, bonjour ! Je reviendrai te voir aux prochaines élections !
Louis EVEN