Un de nos abonnés de Québec, bien intentionné d'ailleurs, mais outré de certaines déclarations de chefs créditistes de l'Ouest, nous écrivait récemment :
"Pouvez-vous vraiment nous redonner confiance en une institution, le Crédit Social, qui proclame l'autonomie, la grandeur de la personne humaine, et ne sait pas se dresser contre la guerre qui fait de la personne humaine une chair à canons ?"
Le Crédit Social proclame certainement l'autonomie et la grandeur de la personne humaine ; et de plus, le Crédit Social sait se dresser mieux que n'importe quelle autre école contre la guerre qui fait de la personne humaine une chair à canons.
Mais, pour voir clair en tout cela, il faut commencer par savoir faire des distinctions, ne pas mêler les choses.
Ce qu'il ne faut pas confondre ici, sans s'exposer à beaucoup d'injustice et à des irritations inutiles, c'est :
1. Être pour la guerre ;
2. Être pour la participation à une guerre.
On peut se battre, on peut aider à un autre à se battre, sans pour cela être en faveur de la guerre.
Vous êtes un homme paisible. Vous ne désirez rien tant que vivre dans la paix et l'harmonie avec tout le monde. Mais voici que votre voisin tombe sur vous, vous roue de coups, déchire vos vêtements, veut mettre le feu à votre maison. Allez-vous le laisser faire ? Non, n'est-ce pas. Si vous n'êtes ni lâche ni impotent, vous allez vous défendre, même si vous devez cogner. Mais cela ne veut pas du tout dire que vous soyez pour un régime de batailles.
Peut-être n'est-ce pas vous, mais votre troisième voisin, homme paisible et honnête comme vous, qui est attaqué par un intrus plus fort que lui. Il demande votre aide pour maîtriser son agresseur. Si vous avez du cœur, vous vous précipitez à son secours. Peut-on pour cela vous accuser d'avoir renoncé à votre amour de la paix ?
Sous prétexte qu'un pays ou une personne est en faveur de la participation à la présente guerre, n'allons pas pour cela accuser ce pays ou cette personne d'être pour la guerre. Ce n'est pas du tout la même chose.
On sait que l'Église est pour la paix, qu'elle abomine les guerres. Et pourtant, n'a-t-on pas vu des papes et des moines délégués par eux prêcher les croisades, guerres de grande envergure pour cette époque ?
Cela ne veut pas du tout dire qu'on doive donner son cœur à la participation à la guerre actuelle ; ni que la guerre actuelle soit une croisade contre les ennemis de la chrétienté. Non. Nous voulons seulement souligner la différence entre "être pour la guerre" et "être en faveur de la participation à une guerre donnée".
Qui est pour la guerre ? Qui est pour que les hommes s'affrontent sur des champs de bataille avec les engins les plus destructeurs que le génie humain puisse imaginer ?
Qui peut être pour la guerre ? Nous ne croyons pas qu'il y ait beaucoup de personnes normales capables d'être en faveur d'une chose aussi atroce, aussi indigne d'êtres raisonnables.
Selon nous, seuls peuvent être pour la guerre :
1. Les sadiques, ces espèces de monstres humains qui prennent plaisir aux choses qui font souffrir les hommes ;
2. Les profiteurs immédiats des guerres : les trafiquants de munitions, les financiers qui y voient l'occasion d'augmenter leurs créances sur l'État ou sur l'industrie ; aussi peut-être les conquérants assoiffés de pouvoir, bien que le profit pour eux soit beaucoup plus risqué, beaucoup moins certain et moins assuré de permanence que le profit des trafiquants de piastres et de canons ;
3. Les idéologistes d'un gouvernement central universel, dominant les hommes et les nations, qui voient dans la guerre les conditions idéales pour imposer un régime d'enrégimentation et de plans et pour centraliser les pouvoirs.
Cette troisième catégorie nous semble même la plus intéressée dans les guerres mondiales modernes. L'organe officiel du planisme international, P.E.P. (Political and Economic Planning) écrivait dans son numéro du 4 octobre 1938 :
"Nous partons du fait qu'un gouvernement britannique ne se lancera bien dans le planisme sur une grande échelle qu'en temps de guerre ou sous la menace d'une guerre imminente."
Ces gens-là ne peuvent voir de mauvais œil une guerre de l'ampleur et de la durée de la présente guerre. Et leurs espoirs sont justifiés : les plans et les couches à plans, non seulement pour la guerre mais pour l'après-guerre, n'ont jamais été aussi à l'ordre du jour ni reçu une aussi puissante publicité.
Quant à la finance, elle est un fameux instrument entre les mains des idéologistes de la centralisation universelle. Les maîtres financiers y trouvent d'ailleurs leur récompense. Comme instrument de centralisation, le jeu est très simple :
a) Par la compression de l'argent et du crédit, rationner les masses, leur infliger les affres de la faim et les soucis du lendemain ;
b) Par un plan centralisateur, escamoteur de la liberté personnelle, offrir aux affamés du pain aux conditions du plan, une assurance relative du lendemain aux conditions du plan.
Le Crédit Social s'oppose catégoriquement à la centralisation, à l'enrégimentation, au planisme.
Le Crédit Social veut que chaque personne puisse faire elle-même ses propres plans, et il supprime les obstacles qui l'en empêchent.
Le Crédit Social soustrait la personne à la domination par d'autres. Selon une expression récente du Major Douglas, l'initiateur des propositions du Crédit Social :
"Conférez à chaque individu tellement de pouvoir que personne ne puisse le dominer." Le Crédit Social est contre le système financier actuel qui forge des chaînes aux individus et aux gouvernements et qui conduit directement à la centralisation, non seulement de la richesse, mais aussi et surtout du pouvoir.
Le système financier actuel, par ses règlements de la distribution des biens liés uniquement à l'emploi, même lorsque les machines remplacent l'homme, et par l'obligation qu'il impose de se ruer à la conquête des marchés étrangers, conduit directement à la guerre.
Aussi le Major Douglas écrivait-il dès 1923 : "À moins qu'on change complètement et à temps le système financier actuel, le monde connaîtra une autre guerre formidable vers 1940."
Les créditistes savent tous cela. Et c'est pourquoi, en luttant contre le système financier actuel et en proposant un système financier de décentralisation et de service, ils luttent contre les principales causes des guerres modernes.
Tous les créditistes sont donc contre la guerre. Ils ne le sont pas seulement de sentiment ou en paroles ; mais ils le sont par leurs actes, par leurs luttes. Ils repoussent la guerre en repoussant, en connaissance de cause, les facteurs qui y conduisent infailliblement.
L'introduction du Crédit Social dans le monde est indispensable à la préservation de la paix. Le plus grand ennemi de la guerre, c'est le Crédit Social. Ce serait donc faire preuve d'ignorance manifeste sur le Crédit Social ou sur les causes réelles des guerres, que d'imaginer le Crédit Social en faveur de la guerre.
Voilà pour la guerre. Mais, en ce qui concerne la participation à la guerre actuelle, n'y a-t-il pas des créditistes au Parlement d'Ottawa qui l'ont recommandée sans hésiter ?
Nous sommes ici, nous l'avons expliqué, dans un ordre de choses très différent, dans la question de la participation au présent conflit.
La guerre éclata en 1939. C'est l'Angleterre et la France qui déclarèrent cette guerre à l'Allemagne, parce que l'Allemagne mordait dans la Pologne et ces deux nations avaient un pacte d'alliance avec la Pologne.
On sait la suite : Convocation immédiate du Parlement canadien à Ottawa ; déclaration de guerre à l'Allemagne votée par l'unanimité des députés présents, seuls Wilfrid Lacroix et Liguori Lacombe se levant en Chambre pour protester ; enrôlement des jeunes qui crevaient de faim auparavant ; découverte de tous les fonds nécessaires, alors qu'on n'en pouvait trouver depuis dix ans pour combattre la crise.
Les créditistes en Chambre furent-ils pour la participation ? Oui, certainement, tous. Et tous d'ailleurs venaient de l'ouest et étaient de langue anglaise.
Non seulement les créditistes, mais les libéraux, les conservateurs, et tous les autres groupes, votèrent la participation avec un élan remarquable.
Alors, le Crédit Social, qu'on vient de dire opposé à la guerre, est-il en faveur de la participation du Canada à la présente guerre ?
Le Crédit Social n'a rien à faire là-dedans. Le Crédit Social est une doctrine pour inspirer les hommes en économie et en politique. Il ne commande ni la participation ni l'abstention à un acte comme celui de la participation à la présente guerre.
Ce qu'il faut dire, par exemple, c'est que la philosophie politique du Crédit Social demande que les citoyens déterminent eux-mêmes les objectifs. Or, le peuple canadien n'a point du tout été consulté pour la participation du Canada à la guerre. La manière créditiste ne fut donc point du tout utilisée pour décider la participation ou l'abstention.
Sans doute que les députés, tous les partis sans distinction, votèrent la participation ; mais combien d'exemples n'a-t-on pas de cas où les décisions du Parlement ne répondent point du tout aux aspirations de la masse des citoyens ?
Il peut certainement se faire qu'en votant la participation, le Parlement répondait aux vues des électeurs, mais ce ne fut point prouvé avant de poser l'acte. Et l'acte obligeait dès lors tous les électeurs à s'y rallier. Voilà une méthode qui n'est pas du tout du Crédit Social. Et c'est une tout autre méthode que l'Union Créditiste des Électeurs de Nouvelle-France essaie d'introduire dans la conduite des affaires publiques.
En tout cas, devant l'unanimité frappante des divers groupes politiques en Chambre à embarquer dans la galère, qui osera dire de bonne foi, et qui pourra s'évertuer à démontrer, que certains députés votèrent pour la participation à la guerre à cause du Crédit Social ?
Il faut être mal intentionné et peu scrupuleux de logique ou de vérité pour répéter, pareilles insanités.