Extrait du brillant discours prononcé par René Chaloult, député du comté de Québec, à l'Assemblée Législative de Québec, le 14 février :
Des réformes s'imposent d'autant plus que notre folle participation aux querelles européennes nous met en contact intime avec le virus communiste et augmente notre réceptivité en nous appauvrissant davantage.
Voilà plus de cinq ans qu'on nous a engagés malgré nous et contre tous nos intérêts dans ce monstrueux carnage. À l'origine, si j'ai bonne souvenance, nous allions, en chevaliers, combattre pour l'intégrité de la Pologne. Vous en souvenez-vous, Monsieur le Président ? "Que les temps sont changés !" Osera-t-on encore prétendre que nous ne défendons pas les seuls intérêts de l'Angleterre ? À moins que ce ne soit ceux de nos alliés et "nos amis" les communistes ? Dans un an, dans deux ans au plus, tout le monde maudira cette guerre et se demandera avec effarement pourquoi on l'a livrée.
L'an dernier, participant au même débat, je m'exprimais ainsi :'"Je crains qu'on ne dise bientôt de la Charte de l'Atlantique ce qu'affirmait cyniquement Guillaume II de son traité avec la Belgique, en 1914 : "C'est un chiffon de papier". Nous en ramasserons des lambeaux en France, en Pologne, en Serbie et certainement... au Canada". Qu'on m'excuse de me citer : je ne résiste pas au désir de montrer combien tôt les événements ont donné raison à ceux qui tenaient ce langage.
Que l'ogre russe croque la moitié de la Pologne, avale d'un seul trait les trois états baltes, faut-il s'en étonner ? Non, c'est conforme à la philosophie d'un digne émule de l'Allemagne. Peccadilles ! Ces larcins pour lui sont des apéritifs. Notre allié jouit d'un bon estomac. Attendez, son repas commence. Mais que nos autres "grands" alliés, auteurs de la célèbre Charte, se rendent complices, par leur silence, de cet abominable brigandage, voilà qui projette une lumière éclatante et sinistre sur nos buts de guerre. Qu'un Churchill, avec sa morgue habituelle, gourmande la Pologne parce qu'elle refuse de signer son arrêt de mort ; qu'il déclare en plein parlement, le 15 décembre dernier, "justes et raisonnables" les empiétements soviétiques ; qu'il se risque à suggérer la déportation de millions d'Allemands pour livrer leur pays en échange aux Polonais : cela dépasse les bornes de l'imagination et de la décence. "Serait-on prêt à transplanter ailleurs l'Angleterre deux fois millénaire ?" demande le savant et courageux Père Ledit, dans Relations.
Quand l'Allemagne ravit l'Autriche, les Sudètes, Dantzig, c'est un crime abominable. Quand la Russie cueille au passage l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la plus grande partie de la Pologne, on se tait. L'agneau de la fable "trouble" la boisson du loup en se désaltérant plus bas dans le ruisseau ; cette malheureuse Pologne, assoiffée de liberté, devra subir le sort de l'agneau, et se faire dévorer par la Russie. Notre cynique imperator, Churchill, d'applaudir.
Il n'est pas devenu premier ministre de l'Angleterre pour présider à la liquidation de l'Empire. Avec "monsieur" Staline, on se partage les dépouilles de la guerre, on se divise les zones d'influence. Concédons-lui la Pologne, notre première, notre plus fidèle alliée ; il nous abandonnera la Grèce qui domine la route des Indes, poire toujours juteuse pour la soif. Et le pétrole de la Perse ; pour Londres, ça vaut beaucoup plus que le sang des Polonais "fascistes" ! Business as usual. What we have, we hold, and what we don't have, we take. Voilà l'histoire de l'impérialiste anglais. Naturellement, on dissimule tout cela derrière une façade humanitaire. On est passé maître dans l'art d'exploiter le monde sous le signe de la Vertu.
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Canadiens, que restons-nous dans cette galère ? Combattons-nous toujours pour la "chrétienté et la civilisation" ? Ne sommes-nous pas devenus ridicules à nos propres yeux ? Qu'espérons-nous d'une victoire ? Quelques colonies ? Quelques navires ? Quelque argent ? Naïveté ! Les compensations, c'est toujours pour les autres ; pour nous, l'ingratitude, le mépris. Rappelons-nous 1918. Qui donc représente les intérêts du Canada dans les diverses conférences mondiales ? Serait-ce l'impérialiste Churchill ou "monsieur" Staline ?
Pour nous, nous prévalant de la Charte de l'Atlantique qui autorise les peuples à disposer d'eux-mêmes, ne serions-nous pas justifiables, comme les Irlandais et les Portugais, de nous désintéresser de ce que nous croyons un vulgaire conflit d'intérêts ? Quitte à laisser les amateurs de guerre s'entr'égorger tous les 25 ans au nom de leur pseudo-chrétienté.
René CHALOULT