C'était pendant la grande crise de dix années qui ne s'est terminée que le jour de l'entrée du genre humain dans un fol accès de tuerie.
En ce temps-là, les pères de famille, par milliers, étaient jetés sur le pavé. On les appelait chômeurs.
En ce temps-là, les jeunes gens sortaient des écoles, frappaient inutilement aux portes des usines ou des bureaux, et prenaient la grand'route ou les wagons de fret pour aller voir si quelque coin du grand Canada n'avait pas échappé à la gangrène générale. Ils rôdaient, et rôdaient en vain. On les appelait vagabonds.
Ils étaient ainsi 250,000 jeunes "vagabonds", dont le Canada semblait ne plus vouloir.
En 1937, une forte délégation de ces 250,000 jeunes rebutés s'en vint à Ottawa, voir le gouvernement, réclamer de l'aide d'une manière ou d'une autre.
Écoutons le récit et les réflexions de M. Ralph Duclos :
"J'étais présent à la Chambre des Communes lorsque la pétition fut présentée au gouvernement.
"Une bonne douzaine de députés, de tous les partis, prirent la parole pour appuyer la demande d'aide en faveur de ces jeunes. Même le premier-ministre (Mackenzie King) parla très favorablement.
"Finalement, le ministre des Finances d'alors, Charles Dunning, se leva. Il exprima lui aussi son chagrin de voir nos jeunes Canadiens réduits à pareilles conditions. Il parla quelque temps, dit ce qu'il aurait voulu pouvoir faire pour eux, mais termina en regrettant de ne pouvoir rien faire, parce qu'il n'y avait pas d'argent.
"Les fermes étaient là. Les usines étaient là. Les ressources naturelles étaient là. Des bras prêts à travailler étaient là. Mais on ne pouvait rien faire, parce qu'il n'y avait pas d'argent.
"Deux misérables années plus tard, nous étions en guerre et toute notre civilisation était en jeu. Plus moyen de faire le fou cette fois, et le même gouvernement trouvait l'argent pour poursuivre la guerre.
"L'hon. Mackenzie King lui-même déclara que rien n'arrêterait la poursuite efficace de la guerre, qu'on rendrait financièrement possible tout ce qui est physiquement possible.
"Pour la première fois, le Canada pouvait utiliser tout ce qu'il était capable de produire.
"Comment le miracle a-t-il été possible ? Comment le tableau a-t-il pu être changé du tout au tout ? Comment le peuple a-t-il pu, en général, jouir d'un niveau de vie relativement plus élevé, alors que la moitié de la production canadienne est employée à la destruction ? Comment les sans-emploi et les vagabonds d'hier, qu'on taxait de paresseux et de bon-à-rien, sont-ils tout d'un coup devenus les guerriers et les héros bien habillés, bien nourris et bien entraînés de nos armées ?
"Les fermes, les usines, les ressources, les hommes sont exactement les mêmes qu'avant la guerre. Tout changement opéré dans l'industrie l'a été fait par des hommes qui étaient là, disponibles, avant la guerre.
"La différence, c'est qu'avant la guerre on disait : Il n'y a pas d'argent ; tandis que depuis la déclaration de guerre, on dit : Tout l'argent nécessaire sera là infailliblement". (Discours prononcé à Ayers'Cliff, comté de Stanstead, le 29 juillet.)
Est-il urgent, ou n'est-il pas urgent, qu'en tout temps, même en temps de paix, tout ce qui est physiquement possible soit rendu financièrement possible ?
En présence : d'une part, ceux qui s'obstinent à vouloir restreindre la production et la distribution au volume d'argent ; d'autre part, les créditistes, qui veulent mettre le volume d'argent à la mesure de la production possible en face des besoins.
De quel côté sont les hommes de bon sens, et de quel côté sont les détraqués ?