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Qu’est-ce que la doctrine sociale de l’Église ?

le vendredi, 01 août 2025. Dans Catéchèses et enseignements

Rerum Novarum

Le nom que le pape actuel a choisi, Léon XIV, ramène inévitablement dans l'actualité le nom de  Léon XIII (photo de droite), pape de 1878 à 1903, ainsi que la principale lettre encyclique qui lui est associée, Rerum Novarum, écrite en 1891. Pour la première fois, un pape abordait les problèmes sociaux et économiques de l'époque, marquant ainsi le début des encycliques sociales des papes qui, au cours des décennies suivantes, allaient développer un ensemble de principes de justice dans toute la vie sociale, dans les rapports entre les individus et gouvernements, travailleurs et patrons, etc. êtres humains. 

Ces principes, élaborés et développés depuis Léon XIII jusqu'à aujourd'hui, feraient le bonheur des individus, des familles et des nations, s'ils étaient appliqués. Cet ensemble de principes est connu sous le nom de « doctrine sociale de l'Église ».

Sauf pour de rares exceptions, chaque encyclique écrite par un souverain pontife se nomme d'après les premiers mots du texte latin. Ainsi, l'encyclique de Léon XIII de 1891 débute ainsi : « La soif d'innovations une fois suscitée », ce qui se traduit en latin comme suit : Rerum novarum semel excitata cupidine. Les mots « rerum novarum » signifient littéralement en latin « choses nouvelles », ce qui est synonyme d'« innovations ».

La société de 1891 faisait effectivement face à une situation nouvelle, faisant suite à la révolution industrielle. L'encyclique de Léon XIII  condamnait à la fois la pauvreté qui pesait sur la majeure partie de la classe ouvrière, ainsi que les mouvements politiques d'inspiration socialiste et marxiste, qui prétendaient faussement libérer les travailleurs. Par contre, Léon XIII y dénonçait aussi les excès du capitalisme, et les conditions injustes des travailleurs, encourageant entre autres la création de syndicats chrétiens et le catholicisme social.

Première d'une longue liste

Les papes qui ont succédé à Léon XIII ont développé cet enseignement social selon les nouvelles conditions et circonstances de la société, avec des documents — encycliques sauf quelques exceptions — écrites à tous les dix ans, pour célébrer  les anniversaires de Rerum Novarum.

Le 15 mai 1931, quarante ans jour pour jour après l'encyclique Rerum Novarum de Léon XIII, une seconde encyclique sociale était publiée par le pape Pie XI, portant justement le nom de Quadragesimo Anno, mots latins signifiant quarante ans. Écrite dans le contexte de la crise économique mondiale de 1929,  cette encyclique, portant sur « la restauration de l'ordre social », apporte de nombreuses nouveautés au cadre déjà tracé par Léon XIII, développant par exemple le principe de subsidiarité.

C'est aussi dans cette encyclique que l'expression « doctrine sociale de l'Église » est utilisée pour la première fois pour désigner l'enseignement social des papes. Et surtout, c'est l'encyclique qui demeure celle, jusqu'à aujourd'hui, qui a utilisé les paroles les plus fortes pour dénoncer le fonctionnement du système financier actuel :

« Ceux qui, détenteurs et maîtres de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien, que, sans leur consentement, nul ne peut plus respirer ».

Le 1er juin 1941, dimanche de la Pentecôte, le pape Pie XII a écrit non pas une encyclique, mais plutôt émis un radio-message, à l'occasion du 50e anniversaire de Rerum Novarum, soulignant en particulier le droit de tous aux biens matériels.

Le 15 mai 1961, à l'occasion du 70e anniversaire de Rerum Novarum, le pape saint Jean XXIII publiait l'encyclique Mater et Magistra (L'Église mère et éducatrice), portant sur « l'évolution récente de la question sociale à la lumière des principes chrétiens », et qui parle, entre autres, de la multiplication des formes d'associations qui permettent de mieux satisfaire les besoins humains.

Le 14 mai 1971, à l'occasion des 80 ans de Rerum Novarum, le pape saint Paul VI publiait la lettre apostolique Octogesima adveniens (80e anniversaire), parlant de la naissance de l'ère post-industrielle et des nouveaux problèmes sociaux qui l'accompagnent.

 Le 15 septembre 1981, à l'occasion du 90e anniversaire de Rerum Novarum, le pape saint Jean-Paul II publiait l'encyclique Laborem Exercens sur le travail humain, menant une réflexion sur l'homme et le travail, ainsi que la question du chômage.

L'encyclique devait d'abord être rendue publique le 15 mai, jour anniversaire de Rerum Novarum, mais l'attentat du 13 mai 1981 contre le Saint-Père en a retardé la parution de quelques mois.

Le 15 mai 1991, exactement cent ans après la publication de Rerum Novarum, le pape saint Jean-Paul II publiait l'encyclique Centesimus Annus (le centenaire), rappelant tout l'enseignement social de l'Église depuis Léon XIII, l'échec du communisme et les limites du capitalisme libéral.

À cette liste, sur le même thème, il faut aussi ajouter la Constitution pastorale Gaudium et Spes (joie et espérance) sur l'Église et le monde de ce temps, promulguée le 8 décembre 1965, spécialement son  troisième chapitre portant sur la vie économico-sociale.

Et on peut aussi inclure dans cette liste l'encyclique Laudato Si (en italien, Loué sois-tu, Seigneur) du pape François, publiée le 24 mai 2015, dimanche de la Pentecôte, portant « sur la sauvegarde de la maison commune », plaidant pour une « écologie intégrale » qui prenne d'abord en compte l'être humain.

Le développement des peuples

Deux ans après le Concile Vatican II, une encyclique était publiée sur un sujet spécifique de la doctrine sociale, formant une nouvelle catégorie en soi,  et dont l'importance serait aussi soulignée plus tard par les encycliques d'autres souverains pontifes, publiées pour l'anniversaire de cette encyclique.

Le 26 mars 1967, dimanche de Pâques, le pape saint Paul VI publiait l'encyclique Populorum Progressio sur le développement des peuples, parlant de l'inégalité croissante entre les pays de l'hémisphère nord de la planète et ceux du Sud, de nombreux pays du Tiers-Monde ayant obtenu récemment leur indépendance politique, mais sans les moyens financiers. 

Paul VI plaide pour un « développement intégral », c'est-à-dire de tous les hommes et de tout l'homme, et affirme que « le développement est le nouveau nom de la paix ».

Le 30 décembre 1987, pour célébrer les 20 ans de Populorum Progressio, le pape saint Jean-Paul II publiait l'encyclique Sollicitudo Rei Socialis (L'intérêt actif que porte l'Église à la question sociale), mentionnant que depuis 1967, la différence entre riches et pauvres avait augmenté, et qu'il existait même de la pauvreté dans les pays super-développés. L'encyclique élabore la catégorie théologique de « structures de péché » et établit avec une grande clarté ce qu'est la doctrine sociale de l'Église. 

Le 29 juin 2009, pour les 40 ans de Populorum Progressio, le pape Benoît XVI publiait l'encyclique Caritas in Veritate, portant sur le développement humain dans la charité et la vérité. (Benoît XVI mentionne que la publication de l'encyclique avait dû être reportée de 2 ans, pour tenir compte de la crise économique des années 2007 et 2008.)

Le Saint-Père y parle de la mondialisation, de la délocalisation des entreprises (qui s'établissent dans des pays où les salaires sont moindres), de développement durable et de la crise financière mondiale. 

Pourquoi une doctrine sociale ?

Si l'Église intervient dans les questions sociales, et a développé un ensemble de principes connus sous le nom de « doctrine sociale de l'Église », c'est essentiellement parce que, comme le disait le Pape Benoît XV, « c'est sur le terrain économique que le salut des âmes est en danger ». Son successeur immédiat, le Pape Pie XI, écrivait aussi :

« Il est exact de dire que telles sont, actuellement, les conditions de la vie économique et sociale qu'un nombre très considérable d'hommes y trouvent les plus grandes difficultés pour opérer l'œuvre, seule nécessaire, de leur salut. » (Quadragesimo anno, 15 mai 1931). 

Pie XII s'exprimait aussi de manière semblable : « Comment pourrait-il être permis à l'Église, Mère si aimante et soucieuse du bien de ses fils, de rester indifférente à la vue de leurs dangers, de se taire ou de feindre de ne pas voir et de ne pas comprendre des conditions sociales qui, volontairement ou non, rendent ardue et pratiquement impossible une conduite chrétienne conforme aux commandements du souverain législateur ? » (Radio-message du 1er juin 1941). 

Et ainsi parlent tous les Papes, y compris Léon XIV  aujourd'hui.

Le 25 octobre 2004, le Conseil Pontifical Justice et Paix publiait le « Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église », qui présente, de façon systématique, cette doctrine. On peut y lire :

« La doctrine sociale de l'Église fait partie intégrante du ministère d'évangélisation de l'Église. Tout ce qui concerne la communauté des hommes — situations et problèmes relatifs à la justice, à la libération, au développement, aux relations entre les peuples, à la paix — n'est pas étranger à l'évangélisation, et celle-ci ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte de l'appel réciproque que se lancent continuellement l'Évangile et la vie concrète, personnelle et sociale, de l'homme. (n. 66). L'Église a le droit d'être pour l'homme maîtresse de vérité de la foi : de la vérité non seulement du dogme, mais aussi de la morale qui découle de la nature humaine et de l'Évangile. (n. 70)

« D'un côté, il faut éviter l'erreur qui consiste à réduire le fait religieux au domaine purement privé ; de l'autre côté, on ne peut pas orienter le message chrétien vers un salut purement ultra-terrestre (de l'autre monde), incapable d'illuminer la présence sur la terre. En raison de la valeur publique de l'Évangile et de la foi et à cause des effets pervers de l'injustice, c'est-à-dire du péché, l'Église ne peut pas demeurer indifférente aux affaires sociales. Il appartient à l'Église d'annoncer en tout temps et en tout lieu les principes de la morale, même en ce qui concerne l'ordre social, ainsi que de porter un jugement sur toute réalité humaine, dans la mesure où l'exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le salut des âmes. » (Canon 747, n. 2.) 

Quatre principes de base

La doctrine sociale de l'Église peut se résumer en quatre principes, ou quatre « colonnes », sur lesquels tout système dans la société doit être basé. On peut lire aux paragraphes 160 et 161 du Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église le texte suivant :

« Les principes permanents de la doctrine sociale de l'Église constituent les véritables fondements de l'enseignement social catholique : à savoir

1.    Le principe de la dignité de la personne humaine, sur lequel reposent tous les autres principes et contenus de la doctrine sociale ;

2.     le bien commun ;

3.     la subsidiarité ;

4.     la solidarité. 

La primauté de la personne humaine

La doctrine sociale de l'Église peut se résumer dans ce principe de base : la primauté de la personne humaine : 

« La doctrine sociale chrétienne a pour lumière la Vérité, pour objectif la Justice et pour force dynamique l'Amour... Son principe de base est que les êtres humains sont et doivent être fondement, but et sujets de toutes les institutions où se manifeste la vie sociale. » (Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, 15 mai 1961, nn. 219 et 226.) 

Tous les systèmes doivent être au service de l'homme, y compris les systèmes financiers et économiques. Saint Jean-Paul II écrivait dans sa première encyclique, Redemptor Hominis (4 mars 1979, n. 15) : 

« Les indispensables transformations des structures économiques... la misère en face de l'abondance qui met en cause les structures et mécanismes financiers… L'homme ne peut renoncer à lui-même ni à la place qui lui est propre dans le monde visible, il ne peut devenir esclave des choses, esclave des systèmes économiques, esclave de ses propres produits. » 

Le 26 septembre 1985, saint Jean-Paul II adressait le message suivant à la 6e Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, ayant lieu à Genève, en Suisse :

« Je tiens à aborder une question délicate et douloureuse. Je veux parler du tourment des responsables de plusieurs pays, qui ne savent plus comment faire face à l'angoissant problème de l'endettement... Une réforme structurelle du système financier mondial est sans nul doute une des initiatives les plus urgentes et nécessaires. »  

Donc, le but des systèmes économique et financier, selon l'Église, est aussi le service de l'homme. Le but du système économique, c'est la satisfaction des besoins humains. C'est ce que Pie XI rappelle dans son encyclique Quadragesimo Anno (n. 75) : 

« L'organisme économique et social sera sainement constitué et atteindra sa fin alors seulement qu'il procurera à tous et à chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique, ont le moyen de leur procurer.

« Ces biens doivent être assez abondants pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu qu'on en use sagement, ne met pas d'obstacle à la vertu, mais en facilite au contraire singulièrement l'exercice. »

Le bien commun

Passons maintenant au deuxième principe, ou « colonne » de la doctrine sociale de l'Église, le bien commun. Par bien commun on entend : « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée ». (Gaudium et Spes, 26.)

On peut lire dans le Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église, au n.167 : Le bien commun engage tous les membres de la société : aucun n'est exempté de collaborer, selon ses propres capacités, à la réalisation et au développement de ce bien… Tous ont aussi droit de bénéficier des conditions de vie sociale qui résultent de la recherche du bien commun. L'enseignement de Pie XI demeure très actuel : « Il importe donc d'attribuer à chacun ce qui lui revient et de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d'indigents atteste de nos jours, aux yeux de l'homme de cœur, les graves dérèglements ». (Encyclique Quadragesimo Anno, 197.)

Les numéros des paragraphes suivants font référence aux paragraphes du Compendium cité précédemment : 

168. La responsabilité de poursuivre le bien commun revient non seulement aux individus, mais aussi à l'État, car le bien commun est la raison d'être de l'autorité politique. (Cf. Catéchisme de l'Église Catholique,  n. 1910.) À la société civile dont il est l'expression, l'État doit, en effet, garantir la cohésion, l'unité et l'organisation de sorte que le bien commun puisse être poursuivi avec la contribution de tous les citoyens. L'individu, la famille, les corps intermédiaires ne sont pas en mesure de parvenir par eux-mêmes à leur développement plénier ; d'où la nécessité d'institutions politiques dont la finalité est de rendre accessible aux personnes les biens nécessaires — matériels, culturels, moraux, spirituels — pour conduire une vie vraiment humaine. Le but de la vie sociale est le bien commun historiquement réalisable.

170. Le bien commun de la société n'est pas une fin en soi ; il n'a de valeur qu'en référence à la poursuite des fins dernières et au bien commun universel de la création tout entière. Dieu est la fin dernière de ses créatures et en aucun cas on ne peut priver le bien commun de sa dimension transcendante, qui dépasse mais aussi achève la dimension historique. 

La destination universelle des biens

171. Parmi les multiples implications du bien commun, le principe de la destination universelle des biens revêt une importance immédiate : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité ». (Gaudium et Spes, 69.) Ce principe est basé sur le fait que « la première origine de tout bien est l'acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l'homme, et qui a donné la terre à l'homme pour qu'il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1,28-29).

Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est là l'origine de la destination universelle des biens de la terre... En effet, la personne ne peut pas se passer des biens matériels qui répondent à ses besoins primaires et constituent les conditions de base de son existence ; ces biens lui sont absolument indispensables pour se nourrir et croître, pour communiquer, pour s'associer, et pour pouvoir réaliser les plus hautes finalités auxquelles elle est appelée. (Cf. Pie XII, Radio Message du 1er juin 1941.)

172. Le principe de la destination universelle des biens de la terre est à la base du droit universel à l'usage des biens. Chaque homme doit avoir la possibilité de jouir du bien-être nécessaire à son plein développement : le principe de l'usage commun des biens est le « premier principe de tout l'ordre éthico-social » et « principe caractéristique de la doctrine sociale chrétienne ». (Jean-Paul II, encyclique Sollicitudo Rei Socialis, 42.) 

La pauvreté en face de l'abondance

Dieu a mis sur la terre tout ce qu'il faut pour nourrir tout le monde. Mais à cause du manque d'argent, les produits ne peuvent plus joindre les gens qui ont faim : des montagnes de produits s'accumulent en face de millions qui meurent de faim. C'est le paradoxe de la misère en face de l'abondance : 

« De toute évidence, il y a un défaut capital, ou plutôt un ensemble de défauts et même un mécanisme défectueux à la base de l'économie contemporaine et de la civilisation matérialiste, qui ne permettent pas à la famille humaine de se sortir, dirais-je, de situations aussi radicalement injustes. » (Jean-Paul II,  encyclique Dives in Misericordia, 30 novembre 1980, n. 11.) 

La misère en face de l'abondance... « représente en quelque sorte un gigantesque développement de la parabole biblique du riche qui festoie et du pauvre Lazare. L'ampleur du phénomène met en cause les structures et les mécanismes financiers, monétaires, productifs et commerciaux qui, appuyés sur des pressions politiques diverses, régissent l'économie mondiale ; ils s'avèrent incapables de résorber les injustices héritées du passé et de faire face aux défis urgents et aux exigences éthiques du présent... Nous sommes ici en face d'un drame dont l'ampleur ne peut laisser personne indifférent. » (Jean-Paul II, Redemptor hominis, n. 15.) 

Réforme du système financier

Les Papes dénoncent la dictature de l'argent rare et demandent une réforme des systèmes financiers et économiques, l'établissement d'un système économique au service de l'homme : 

« Il est nécessaire de dénoncer l'existence de mécanismes économiques, financiers et sociaux qui, bien que menés par la volonté des hommes, fonctionnent souvent d'une manière quasi automatique, rendant plus rigides les situations de richesse des uns et de pauvreté des autres. » (Jean-Paul II, encyclique Sollicitudo Rei Socialis, n. 16.) 

« Je fais appel à tous les chargés de pouvoir afin qu'ensemble ils s'efforcent de trouver les solutions aux problèmes de l'heure, ce qui suppose une restructuration de l'économie de manière à ce que les besoins humains l'emportent toujours sur le gain financier. » (Jean-Paul II aux pêcheurs de St. John's, Terre-Neuve, 12 septembre 1984.) 

Le principe de subsidiarité

Nous arrivons maintenant au troisième principe de la doctrine sociale de l'Église, la subsidiarité : les niveaux supérieurs de gouvernements ne doivent pas faire ce que les niveaux inférieurs, plus près de l'individu, peuvent faire. C'est le contraire de la centralisation – et de son application la plus extrême, un gouvernement mondial, où tous les gouvernements nationaux sont abolis. Ce principe de subsidiarité signifie aussi que les gouvernements existent pour aider les parents, non pas pour prendre leur place. On peut lire dans le Compendium de la  doctrine sociale de l'Église :

186. L'exigence de protéger et de promouvoir les expressions originelles de la socialité est soulignée par l'Église dans l'encyclique Quadragesimo Anno (n. 203) dans laquelle le principe de subsidiarité est indiqué comme un principe très important de la « philosophie sociale » : « De même qu'on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s'acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d'une manière très dommageable l'ordre social, que de retirer aux groupements d'ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d'un rang plus élevé, les fonctions qu'ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L'objet naturel de toute intervention en matière sociale est d'aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber ».

Sur la base de ce principe, toutes les sociétés d'ordre supérieur doivent se mettre en attitude d'aide (« subsidium ») — donc de soutien, de promotion, de développement — par rapport aux sociétés d'ordre mineur. De la sorte, les corps sociaux intermédiaires peuvent remplir de manière appropriée les fonctions qui leur reviennent, sans devoir les céder injustement à d'autres groupes sociaux de niveau supérieur, lesquels finiraient par les absorber et les remplacer et, à la fin, leur nieraient leur dignité et leur espace vital.

À la subsidiarité comprise dans un sens positif, comme aide économique, institutionnelle, législative offerte aux entités sociales plus petites, correspond une série d'implications dans un sens négatif, qui imposent à l'État de s'abstenir de tout ce qui restreindrait, de fait, l'espace vital des cellules mineures et essentielles de la société. Leur initiative, leur liberté et leur responsabilité ne doivent pas être supplantées.

L'État-Providence

Comme l'explique Louis Even dans un de ses articles, « pour accomplir ses fonctions propres, César (l'État) ne doit pas recourir à des moyens qui empêchent les personnes, les familles d'accomplir les leurs... Parce qu'il n'accomplit pas ce redressement, que lui seul peut accomplir (casser le monopole de la création de l'argent par les banques privées et créer lui-même, pour la nation, son propre argent sans dette), César sort de son rôle, accumule des fonctions, s'en autorise, pour imposer des charges lourdes, parfois ruineuses, aux citoyens et aux familles. Il devient ainsi l'instrument d'une dictature financière qu'il devrait abattre. »

Ces fonctions que l'État accumule, au lieu de corriger le système financier, créent une bureaucratie monstrueuse, avec une armée de fonctionnaires qui embête plus les citoyens qu'elle ne les sert. Dans son encyclique Centesimus Annus (n. 48), le Pape Jean-Paul II dénonce ces excès de l'« État-Providence » :

Corriger le système financier est certainement l'un des devoirs de l'État, c'est-à-dire, que l'argent doit être émis par la société, et non par des banquiers privés pour leur profit, tel que l'écrit Pie XI dans son encyclique Quadragesimo Anno : 

« Il y a certaines catégories de biens pour lesquelles on peut soutenir avec raison qu'ils doivent être réservés à la collectivité lorsqu'ils en viennent à conférer une puissance économique telle qu'elle ne peut, sans danger pour le bien public, être laissée entre les mains de personnes privées. » 

La famille, première société

Le principe de subsidiarité implique aussi que les parents ont préséance sur l'État, et que les gouvernements ne doivent pas détruire les familles ni l'autorité des parents. Comme l'Église l'enseigne, les enfants appartiennent aux parents, et non à l'État :

« Aussi bien que la société civile, la famille est une société proprement dite, avec son autorité et son gouvernement propre, l'autorité et le gouvernement paternel... La société domestique a sur la société civile une priorité logique et une priorité réelle... Vouloir donc que le pouvoir civil envahisse arbitrairement jusqu'au sanctuaire de la famille, c'est une erreur grave et funeste... L'autorité paternelle ne saurait être abolie, ni absorbée par l'État... Ainsi, en substituant à la providence paternelle la providence de l'État, les socialistes vont contre la justice naturelle et brisent les liens de la famille. » (Léon XIII, encyclique Rerum Novarum, n. 12-14)

« Le principe de solidarité »

La solidarité — quatrième principe de la doctrine sociale de l'Église — est un autre mot pour désigner l'amour du prochain. Comme chrétiens, nous devons nous soucier du sort de tous nos frères et sœurs dans le Christ, car c'est sur cet amour du prochain que l'on sera jugés à la fin de notre vie sur cette terre :

« C'est à ce qu'ils auront fait pour les pauvres que Jésus-Christ reconnaîtra ses élus… Entre-temps, les pauvres nous sont confiés et c'est sur cette responsabilité que nous serons jugés à la fin (cf. Mt 25, 31-46) :'Notre-Seigneur nous avertit que nous serons séparés de lui si nous omettons de rencontrer les besoins graves des pauvres et des petits qui sont ses frères' ». (Compendium de la doctrine sociale de l'Église, n. 183)

Le devoir de tout chrétien

C'est un devoir et une obligation pour tout chrétien de travailler à l'établissement de la justice et d'un meilleur système économique : 

« Celui qui voudrait renoncer à la tâche, difficile mais exaltante, d'améliorer le sort de tout l'homme et de tous les hommes, sous prétexte du poids trop lourd de la lutte et de l'effort incessant pour se dépasser, ou même parce qu'on a expérimenté l'échec et le retour au point de départ, celui-là ne répondrait pas à la volonté de Dieu créateur. » (Jean-Paul II, Sollicitudo Rei Socialis, n. 30.) 

« La tâche n'est pas impossible. Le principe de solidarité, au sens large, doit inspirer la recherche efficace d'institutions et de mécanismes appropriés : il s'agit aussi bien de l'ordre des échanges, où il faut se laisser guider par les lois d'une saine compétition, que de l'ordre d'une plus ample et plus immédiate redistribution des richesses. » (Jean-Paul II, Redemptor Hominis, n. 16.) 

Il existe bien sûr plusieurs façons de venir en aide à nos frères dans le besoin : donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, loger les sans-abri, visiter les malades et les prisonniers, etc. Certains enverront des dons à des organismes de charité, que ce soit pour aider des pauvres d'ici ou du Tiers-Monde. Mais si ces dons peuvent soulager quelques pauvres pendant quelques jours ou quelques semaines, cela ne supprime pas pour autant les causes de la pauvreté.

Ce qui est infiniment mieux, c'est de corriger le problème à sa source, de s'attaquer aux causes mêmes de la pauvreté, et de rétablir chaque être humain dans ses droits et sa dignité de personne créée à l'image de Dieu, ayant droit au moins au nécessaire pour vivre :

« Plus que quiconque, celui qui est animé d'une vraie charité est ingénieux à découvrir les causes de la misère, à trouver les moyens de la combattre, à la vaincre résolument. Faiseur de paix, il poursuivra son chemin, allumant la joie et versant la lumière et la grâce au cœur des hommes sur toute la surface de la terre, leur faisant découvrir, par-delà toutes les frontières, des visages de frères, des visages d'amis. » (Paul VI, encyclique Populorum Progressio, 75.)

Ce qu'il faut, ce sont des apôtres pour éduquer la population sur la doctrine sociale de l'Église et sur des moyens, des solutions concrètes pour l'appliquer (comme les propositions financières de la Démocratie économique, enseignées par Vers Demain). Saint  Paul VI écrivait, toujours dans Populorum Progressio (n. 86) :

« Vous tous qui avez entendu l'appel des peuples souffrants, vous tous qui travaillez à y répondre, vous êtes les apôtres du bon et vrai développement qui n'est pas la richesse égoïste et aimée pour elle-même, mais l'économie au service de l'homme, le pain quotidien distribué à tous, comme source de fraternité et signe de la Providence. »

Et dans son encyclique Sollicitudo Rei Socialis,  le Pape Jean-Paul II écrivait (n. 38.) :

« Ces attitudes et ces "structures de péché" (la soif d'argent et de pouvoir) ne peuvent être vaincues — bien entendu avec l'aide de la grâce divine — que par une attitude diamétralement opposée : se dépenser pour le bien du prochain. » 

Principes et application

L'Église ne peut rester indifférente à des situations telles que la faim dans le monde et l'endettement, qui mettent en péril le salut des âmes, et c'est pourquoi elle demande une réforme des systèmes financiers et économiques, afin qu'ils soient mis au service de l'homme. L'Église présente donc les principes moraux sur lesquels doit être jugé tout système économique et financier. 

Et afin que ces principes soient appliqués de manière concrète, l'Église fait appel aux fidèles laïcs — dont le rôle propre, selon le Concile Vatican Il, est justement de renouveler l'ordre temporel et de l'ordonner selon le plan de Dieu — pour travailler à la recherche de solutions concrètes et l'établissement d'un système économique conforme à l'enseignement de l'Évangile et aux principes de la doctrine sociale de l'Église. 

Un système économique sera donc bon ou non dans la mesure où il applique ces principes de justice enseignés par l'Église. C'est la raison pour laquelle le Pape Jean-Paul II écrivait en 1987, dans son encyclique Solicitudo Rei Socialis, que l'Église « adopte une attitude critique vis-à-vis du capitalisme libéral et du collectivisme marxiste... deux conceptions du développement imparfaites et ayant besoin d'être radicalement corrigées. »

Il est facile à comprendre pourquoi l'Église condamne le communisme, ou collectivisme marxiste qui, comme le rappelait le Pape Pie XI, est « intrinsèquement pervers » et anti-chrétien (encyclique Divini Redemptoris, 19 mars 1937), puisque son but avoué est la destruction complète de la propriété privée, de la famille, et de la religion. Mais pourquoi l'Église condamnerait-elle le capitalisme ? Le capitalisme ne vaudrait pas mieux que le communisme ? C'est ce que nous verrons dans l'article suivant, La Démocratie économique vue à la lumière de la doctrine sociale de l'Église.

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