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Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi en Europe ?

le mercredi, 01 octobre 2003. Dans Jean-Paul II

Le 28 juin 2003, à la suite du Synode des Évêques d'Europe, le Pape Jean-Paul II signait l'Exhortation Apostolique « Ecclesia in Europa » (L'Église en Europe). Ses commentaires s'appliquent aussi au Canada, ou plusieurs personnes vivent « comme si Dieu n'existait pas ». Voici des extraits de ce document :

Une époque d'égarement

En annonçant à l'Europe l'Évangile de l'espérance, je prendrai pour guide le Livre de l'Apocalypse, « révélation prophétique » qui révèle à la communauté des croyants le sens caché et profond de ce qui arrivera (cf. Ap 1, 1) (...) Nous nous trouvons face à une parole qui engage à vivre en abandonnant la tentation permanente de bâtir la cité des hommes sans tenir compte de Dieu ou même contre lui. (...) L'Apocalypse contient un encouragement adressé aux croyants : au-delà de toute apparence, et même si l'on n'en voit pas encore les effets, la victoire du Christ est déjà advenue et elle est définitive. Il s'ensuit une tendance à se placer face aux vicissitudes humaines dans une attitude de confiance fondamentale, qui découle de la foi dans le Ressuscité, présent et agissant dans l'histoire.

Le temps que nous vivons, avec les défis qui lui sont propres, apparaît comme une époque d'égarement. Beaucoup d'hommes et de femmes semblent désorientés, incertains, sans espérance, et de nombreux chrétiens partagent ces états d'âme.

Parmi les nombreux aspects, amplement rappelés aussi à l'occasion du Synode, je voudrais mentionner la perte de la mémoire et de l'héritage chrétiens, accompagnée d'une sorte d'agnosticisme pratique et d'indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par l'histoire. On n'est donc plus tellement étonné par les tentatives de donner à l'Europe un visage qui exclut son héritage religieux, en particulier son âme profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent sans les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme.

Certes, les prestigieux symboles de la présence chrétienne ne manquent pas dans le continent européen, mais avec l'expansion lente et progressive de la sécularisation, ils risquent de devenir un pur vestige du passé. Beaucoup n'arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l'expérience quotidienne ; il est de plus en plus difficile de vivre la foi en Jésus dans un contexte social et culturel où le projet chrétien de vie est continuellement mis au défi et menacé ; dans de nombreux milieux de vie, il est plus facile de se dire athée que croyant ; on a l'impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni escomptée.

À la racine de la perte de l'espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ. Cette manière de penser a conduit à considérer l'homme comme « le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n'est pas l'homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l'homme. (...) La culture européenne donne l'impression d'une « apostasie silencieuse » de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas.

Église d'Europe, réveille-toi !

Que l'ensemble de l'Église en Europe entende comme lui étant adressés le commandement et l'invitation du Seigneur : reviens à moi, convertis-toi, « Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante ! » (Ap 3, 2). C'est une exigence qui se fait jour aussi lorsqu'on observe notre temps : « La grave situation d'indifférence religieuse de tant d'Européens, le grand nombre de ceux qui, sur notre continent aussi, ne connaissent pas encore Jésus-Christ et son Église, et qui ne sont pas encore baptisés, le sécularisme qui gagne une large frange de chrétiens qui pensent, décident et vivent de manière habituelle comme si "le Christ n'existait pas", tout cela, loin d'éteindre notre espérance, la rend plus humble et plus capable de se fier à Dieu seul. De sa miséricorde, nous recevons la grâce et l'engagement de la conversion »,

Même si parfois, comme dans l'épisode évangélique de la tempête apaisée (cf. Mc 4, 35-41 ; Lc 8, 22-25), on a l'impression que le Christ dort et abandonne sa barque à la fureur des vagues, il est demandé à l'Église en Europe de cultiver la certitude que le Seigneur, par le don de son Esprit, est toujours présent et agit toujours en elle et dans l'histoire de l'humanité. Il prolonge sa mission dans le temps, faisant de l'Église un fleuve de vie nouvelle qui se répand dans la vie de l'humanité comme un signe d'espérance pour tous.

Le célibat sacerdotal : un don inestimable

De ce point de vue, le célibat sacerdotal prend un relief particulier comme signe d'une espérance fondée totalement sur le Seigneur. Le célibat n'est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l'autorité ; au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l'Église, valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le Christ pour son Église, source de vie spirituelle intense et de fécondité pastorale, témoignage du Royaume eschatologique, signe de l'amour de Dieu envers ce monde en même temps que signe de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son peuple. Vécu comme réponse au don de Dieu et dépassement des tentations d'une société hédoniste, non seulement le célibat favorise l'épanouissement humain de celui qui y est appelé, mais il se révèle un facteur de croissance pour les autres aussi.

Estimé dans toute l'Église comme un bien pour le sacerdoce, exigé comme une obligation par l'Église latine, tenu en grand respect par les Églises orientales, le célibat, dans le contexte de la culture actuelle, apparaît comme un signe éloquent qui doit être conservé comme un bien précieux pour l'Église. Une révision de la discipline actuelle en ce domaine ne permettrait pas de résoudre la crise des vocations au presbytérat à laquelle on assiste en de nombreuses régions d'Europe. Le service de l'Évangile de l'espérance requiert aussi que, dans l'Église, on s'efforce de présenter le célibat dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle.

Ré-évangéliser ceux qui sont déjà baptisés

Dans différentes parties de l'Europe, une première annonce de l'Évangile est nécessaire : le nombre des personnes non baptisées grandit, soit en raison de la présence notable de personnes immigrées appartenant à d'autres religions, soit encore parce que les enfants de familles de tradition chrétienne n'ont pas reçu le Baptême ou à cause de la domination communiste ou d'une indifférence religieuse diffuse. En réalité, l'Europe se situe désormais parmi les lieux traditionnellement chrétiens dans lesquels, hormis une nouvelle évangélisation, s'impose dans certains cas une première évangélisation.

Partout se fait sentir le besoin d'une annonce renouvelée, même pour ceux qui sont déjà baptisés. Beaucoup d'Européens d'aujourd'hui pensent savoir ce qu'est le christianisme mais ils ne le connaissent pas réellement. Souvent même, les notions et les éléments les plus fondamentaux de la foi ne sont plus connus. De nombreux baptisés vivent comme si le Christ n'existait pas : on répète les gestes et les signes de la foi, spécialement à travers les pratiques du culte, mais, à ces signes, ne correspondent ni un véritable accueil du contenu de la foi, ni une adhésion à la personne de Jésus. Des formes variées d'agnosticisme et d'athéisme pratique se diffusent, contribuant à aggraver l'écart entre la foi et la vie ; on assiste à une sorte d'interprétation sécularisante de la foi chrétienne qui la ronge et à laquelle s'ajoute une profonde crise de la conscience et de la pratique morale chrétienne. Les grandes valeurs qui ont amplement inspiré la culture européenne ont été séparées de l'Évangile, perdant ainsi leur âme la plus profonde et laissant le champ libre à de nombreuses déviations.

« Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8). La trouvera-t-il sur cette terre de notre Europe de vieille tradition chrétienne ? C'est une question ouverte qui indique avec lucidité la profondeur et le caractère dramatique de l'un des défis les plus graves que nos Églises sont appelées à affronter. On peut dire – comme le Synode l'a souligné - qu'un tel défi consiste souvent non pas tant à baptiser les nouveaux convertis qu'à conduire les baptisés à se convertir au Christ et à son Évangile : dans nos communautés, il faut se préoccuper sérieusement d'apporter l'Évangile de l'espérance à ceux qui sont loin de la foi ou qui se sont éloignés de la pratique chrétienne.

Les chrétiens sont donc appelés à avoir une foi qui leur permette de se confronter de manière critique à la culture actuelle, résistant à ses séductions ; d'influer avec efficacité sur les milieux culturels, économiques, sociaux et politiques ; de manifester que la communion entre les membres de l'Église catholique et avec les autres chrétiens est plus forte que tout lien ethnique ; de transmettre avec joie la foi aux nouvelles générations ; d'édifier une culture chrétienne capable d'évangéliser la culture toujours plus vaste dans laquelle nous vivons.

Le sacrement de la Réconciliation

Il est nécessaire que dans l'Église en Europe le sacrement de la Réconciliation soit ravivé. Il faut cependant redire que la forme du sacrement est la confession personnelle des péchés, suivie de l'absolution individuelle. Cette rencontre entre le pénitent et le prêtre doit être favorisée, quelles que soient les formes prévues du rite du Sacrement. Face à la perte largement répandue du sens du péché et à l'affirmation d'une mentalité marquée par le relativisme et le subjectivisme dans le domaine moral, il est nécessaire que, dans toute communauté ecclésiale, on pourvoie à une sérieuse formation des consciences. Les Pères du Synode ont insisté pour que l'on reconnaisse clairement la vérité du péché personnel et la nécessité du pardon personnel de Dieu à travers le ministère du prêtre. Les absolutions collectives ne sont pas une modalité laissée à la libre appréciation dans l'administration du sacrement de la Réconciliation.

La vérité sur le mariage et la famille

L'Église en Europe, dans toutes ses composantes, doit proposer à nouveau, avec fidélité, la vérité sur le mariage et la famille. (...) De nombreux facteurs culturels, sociaux et politiques contribuent en effet à provoquer une crise, toujours plus évidente, de la famille. Ils compromettent, dans certaines mesures, la vérité et la dignité de la personne humaine, et ils remettent en cause, en la dénaturant, l'idée même de famille. La valeur de l'indissolubilité du mariage est de plus en plus méconnue ; on revendique des formes de reconnaissance légale des unions de fait, les mettant sur le même plan que les mariages légitimes ; on observe même des tentatives visant à faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne serait plus essentielle.

Dans ce contexte, il est demandé à l'Église d'annoncer avec une vigueur renouvelée ce que dit l'Évangile sur le mariage et la famille, pour en saisir la signification et la valeur dans le dessein salvifique de Dieu. Il est en particulier nécessaire de réaffirmer que ces institutions sont des réalités qui proviennent de la volonté de Dieu. Il faut redécouvrir la vérité de la famille, en tant que communauté intime de vie et d'amour, ouverte à la génération de nouvelles vies ; et aussi sa dignité « d'Église domestique » et sa participation à la mission de l'Église et à la vie de la société.

Animés par ces certitudes de foi, engageons-nous à construire une cité digne de l'homme ! Même s'il n'est pas possible de réaliser dans l'histoire un ordre social parfait, nous savons pourtant que tout effort sincère pour construire un monde meilleur est accompagné de la bénédiction de Dieu et que toute semence de justice et d'amour plantée dans le temps présent donnera son fruit dans l'éternité.

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