Le 16 janvier 2003, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dirigée par le Cardinal Joseph Ratzinger, rendait public un document de 18 pages intitulé « Note doctrinale à propos de questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique ». Dans ce document, daté du 24 novembre 2002, Solennité du Christ Roi de l'Univers, l'Église incite les catholiques, surtout ceux impliqués dans la vie politique, à ne pas avoir honte de défendre les principes chrétiens. Voici des extraits de ce document :
L'Église vénère, parmi ses saints, bien des hommes et des femmes qui ont servi Dieu par leur engagement généreux dans les activités politiques et de gouvernement. Parmi ceux-ci, saint Thomas More, proclamé Patron des Gouvernants et des Politiciens, a su témoigner jusqu'à la mort « la dignité inaliénable de la conscience ». Il a refusé tout compromis, bien que soumis à diverses formes de pression psychologiques. Sans renier "la fidélité constante à l'autorité et aux institutions légitimes" qui l'avait distingué, il a affirmé par sa vie et sa mort, que « l'homme ne peut séparer de Dieu, ni la politique, ni la morale ».
Sous prétexte de respecter toutes les croyances (pluralisme), les gouvernements agissent aujourd'hui comme s'il n'existait pas de vérité définitive, ni aucune loi morale devant être respectée. De plus, on demande aujourd'hui aux catholiques de ne pas imposer leurs valeurs aux autres personnes qui pensent différemment, au nom de la « tolérance ». Ce document dénonce ces faits.
On assiste à des tentatives de législation qui veulent briser l'intangibilité de la vie humaine et qui ne se soucient pas des conséquences qui en dérivent dans la formation de la culture et des comportements sociaux, pour l'existence et l'avenir des peuples.
Les catholiques ont le droit et le devoir d'intervenir dans ce déferlement, pour rappeler au sens le plus profond de la vie et à la responsabilité qui incombe à tous en cette matière. Dans la continuité à l'enseignement constant de l'Église, Jean-Paul II a maintes fois répété que ceux qui sont engagés directement dans les instances législatives ont « une obligation grave et précise de s'opposer » à toute loi qui s'avère un attentat à la vie humaine. Pour eux, comme pour tout catholique, existe l'impossibilité de participer à une campagne en leur faveur, et il n'est permis à personne de les soutenir par son vote.
Dans ce contexte, il est nécessaire d'ajouter, que la conscience chrétienne bien formée ne permet à personne de favoriser par son vote, la mise en acte d'une loi ou d'un programme politique, dans lequel les contenus fondamentaux de la foi et de la morale sont détruits par la présence de propositions qui leurs sont alternatives ou opposées.
Quand l'action politique se confronte avec des principes moraux qui ne permettent pas de dérogation, d'exception, ni aucun compromis, alors l'engagement politique des catholiques devient plus évident et chargé de responsabilités. En face de ces exigences éthiques fondamentales, auxquelles on ne peut renoncer, les chrétiens doivent savoir en effet qu'est en jeu l'essence de l'ordre moral, qui concerne le bien intégral de la personne.
C'est le cas, par exemple, des lois civiles en matière d'avortement et d'euthanasie (à ne pas confondre avec le renoncement à l'acharnement thérapeutique, qui du point de vue moral est aussi légitime). Ces lois doivent protéger le droit primordial à la vie à partir de la conception jusqu'à son terme naturel. De la même manière, il faut rappeler le devoir de respecter l'embryon humain et de protéger ses droits.
De façon analogue, il faut sauvegarder la protection et la promotion de la famille, fondée sur le mariage monogame entre personnes de sexe différent, et la préserver dans son unité et sa stabilité, en face des lois modernes sur le divorce : d'autres formes de convivence ne peuvent lui être égalée juridiquement en aucune manière, ni recevoir en tant que telles une reconnaissance légale.
De même, la garantie de la liberté d'éducation des enfants est un droit inaliénable des parents, reconnu entre autre par les Déclarations internationales des droits de l'homme. On devrait penser aussi à la protection sociale des mineurs et à la libération des victimes des formes modernes d'esclavage (par exemple, la drogue et l'exploitation de la prostitution). On ne peut exclure de cette liste le droit à la liberté religieuse et le développement dans le sens d'une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, du principe de solidarité humaine et de la subsidiarité, qui veut que « les droits de toutes les personnes, des familles et des groupes, ainsi que leur exercice, soient reconnus, respectés et valorisés ».
En soi, il ne s'agit pas de "valeurs confessionnelles". En effet ces exigences éthiques s'enracinent dans l'être humain et appartiennent à la loi morale naturelle. Elles n'exigent pas que celui qui les défend, professe la foi chrétienne, même si la doctrine de l'Église les confirme et les protège toujours et partout, comme service désintéressé à la vérité sur l'homme et au bien commun de la société civile. D'autre part, on ne peut nier que la politique doit aussi se référer à des principes qui possèdent une valeur absolue justement parce qu'ils sont au service de la dignité de la personne et du vrai progrès humain.
La promotion en conscience du bien commun de la société politique n'a rien à voir avec le « confessionnalisme » ou l'intolérance religieuse. Pour la doctrine morale catholique la laïcité est comprise comme une autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique, mais pas par rapport à la sphère morale. C'est une valeur, reconnue par l'Église, que l'on acquiert et qui fait partie du patrimoine de civilisation obtenu.
Par son intervention dans ce domaine, le Magistère de l'Église ne veut pas exercer un pouvoir politique ni éliminer la liberté d'opinion des catholiques sur des questions contingentes. Il veut au contraire - comme c'est son devoir - former et illuminer la conscience des fidèles, surtout quand ils se consacrent à un engagement dans la vie politique pour que leur action reste toujours au service de la promotion intégrale de la personne et du bien commun.
L'enseignement social de l'Église n'est pas une ingérence dans le gouvernement des différents pays. Il propose certainement un devoir moral de cohérence pour les fidèles laïcs, à l'intérieur de leur conscience, une et unique. « Dans leur existence, il ne peut y avoir deux vies parallèles, d'un côté la vie qu'on nomme "spirituelle" avec ses valeurs et ses exigences ; et de l'autre, la vie dite "séculière", c'est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d'engagement politique, d'activités culturelles. Le sarment greffé sur la vigne qui est le Christ, donne ses fruits en tout secteur de l'activité et de l'existence. Tous les secteurs de la vie laïque, en effet, rentrent dans le dessein de Dieu, qui veut comme "lieu historique" de la révélation et de la réalisation de la charité de Jésus-Christ à la gloire du Père et au service des frères. Toute activité, toute situation, tout engagement concret - comme, par exemple, la compétence et la solidarité dans le travail, l'amour et le dévouement dans la famille et dans l'éducation des enfants, le service social et politique, la présentation de la vérité dans le monde de la culture - tout cela est une occasion providentielle pour "un exercice continuel de la foi, de l'espérance et de la charité »
(Concile Vatican II, Décret Apostolicam actuositatem, n. 4.).
Ils entérineraient une forme de laïcisme intolérant, ceux qui, au nom de la conscience individuelle, voudraient voir dans le devoir moral. qu'ont les chrétiens d'être cohérents avec leur conscience, un signal pour les disqualifier politiquement et leur refuser le droit d'agir en politique conformément à leurs convictions sur le bien commun. Dans cette perspective, on nierait non seulement toute importance politique et culturelle à la foi chrétienne, mais aussi la possibilité même d'une éthique naturelle. S'il en était ainsi, la voie serait ouverte à une anarchie morale qui ne pourrait jamais être identifiée avec aucune forme de pluralisme légitime. La domination du plus fort sur le faible serait la conséquence évidente d'un tel choix de société.
Il est bon de rappeler une vérité qui n'est. pas toujours perçue et n'est pas formulée comme il se doit dans l'opinion publique commune : le droit à la liberté de conscience et spécialement à la liberté religieuse, proclamé par la Déclaration Dignitatis Humanae du Concile Vatican II, se fonde sur la dignité ontologique de la personne humaine, et non certes sur une égalité entre les religions, ou entre les systèmes culturels humains. Cette égalité n'existe pas.
Dans la même ligne, le Pape Paul VI a affirmé que « le Concile ne fonde en aucune manière ce droit à la liberté religieuse sur le fait que toutes les religions et toutes les doctrines, même erronées, auraient une valeur plus ou moins égale ; il le fonde, au contraire, sur la dignité de la personne humaine, qui requiert de n'être pas soumise à des contraintes extérieures qui tendent à opprimer la conscience dans sa recherche de la vraie religion et sa soumission à celle-ci ».
Les orientations données dans cette Note veulent éclairer un des aspects les plus importants de l'unité de la vie chrétienne, rappelée par le Concile Vatican II : la cohérence entre la foi et la vie, entre l'Évangile et la culture. Le Concile exhorte les fidèles à « remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se laissant conduire par l'esprit de l'Évangile. Ils s'éloignent de la vérité ceux qui, sachant que nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, mais que nous marchons vers la cité future, croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches humaines sans s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de chacun, leur en fait un devoir pressant ». Que les fidèles soient désireux de pouvoir « mener leurs activités terrestres en unissant dans une synthèse vitale tous les efforts humains et familiaux, professionnels, scientifiques, techniques, avec les valeurs religieuses sous la souveraine ordonnance desquelles tout se trouve coordonné à la gloire de Dieu »,
† JOSEPH CARD.RATZINGER