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Responsable

Gilberte Côté-Mercier le lundi, 15 janvier 1945. Dans Éditorial

De ce temps-ci, nous adorons un Enfant dans une étable, dans une crèche, gardé par deux pau­vres et deux bêtes.

Un Enfant dans l'humiliation, mais un Enfant qui est un Dieu.

Pourquoi donc un Dieu s'est-il fait si petit, si rien-du-tout ? Pourquoi un Dieu a-t-il renoncé à sa gloire et s'est-il soumis au mépris de ses créatures ?

Pourquoi ? Parce que ce Dieu a pris sur lui les péchés des hommes.

Ce Dieu a pris la responsabilité d'expier les pé­chés des hommes. Il a pris la responsabilité. Il s'est déclaré Responsable. Et Il a décidé de tout entre­prendre pour faire honneur à sa responsabilité.

Il est Responsable. Et parce qu'Il est responsable, il renonce à Lui-même pour ne plus songer et vivre qu'en vue de remplir ses fonctions de Responsable.

Il renonce pour ainsi dire à sa vie propre, puis­qu'Il quitte le ciel. Il se fait homme, même petit Enfant, il emprisonne son Être infini dans un petit corps de matière et dans une âme bornée par les sens.

Tout cela parce qu'Il est Responsable. Il prend sur Lui la nature des hommes.

La nature, que dis-je, la nature ? Mais si ce n'é­tait que cela ! Ce n'est pas de la nature des hom­mes que le Christ se rend responsable. Ce sont les péchés des hommes qu'Il prend sur Lui.

Les péchés, l'erreur, la lâcheté, la bassesse, l'i­gnominie, c'est cela que le Christ endosse.

Aussi, il renoncera même à sa nature d'homme, il sera méprisé, bafoué, flagellé, tué. Il sera traité comme un ver de terre.

Pourquoi accepte-t-il cela, Lui, le Dieu glorieux et tout-puissant ? Mais, parce qu'il a pris sur lui les péchés des hommes, la responsabilité des péchés des hommes. Il est Responsable.

* * *

Moi, je suis un homme, je ne suis pas le Christ, mais je suis chrétien, je suis un membre du Christ. Comme le Christ, mon chef, je suis Responsable.

Je suis Responsable de la chrétienté. Je suis Res­ponsable de la justice, de la charité.

Si le monde est injuste, sans-cœur, c'est ma fau­te, c'est parce que je ne fais pas ce que je dois. C'est parce que je renonce pas à ma vie propre pour accepter l'expiation et éviter aux autres le mépris, les malheurs dus aux injustes, aux sans-cœur.

C'est ma faute si l'Europe se déchire depuis 6 ans...

C'est ma faute si l'univers entier a souffert de la faim pendant 10 ans...

C'est ma faute si le Canada est vendu, trahi par des chefs...

C'est ma faute si nos familles sont divisées, mal­traitées, tenues en esclavage...

C'est ma faute si la jeunesse de nos gars fut ba­fouée par le progrès durant la crise, et est mainte­nant débauchée par les "beautés" de la guerre...

C'est ma faute si la guerre ne peut plus finir...

C'est ma faute si l'après-guerre amène la révo­lution et le communisme...

C'est ma faute si l'avenir ne réserve à nos petits que des chaînes ensanglantées...

C'est ma faute... C'est ma faute... C'est ma grande faute...

* * *

C'est ma faute parce que je devais prendre des responsabilités que je n'ai point prises.

Mais oui, moi, le pauvre, le bûcheron, le colon, moi l'ouvrier, le cultivateur, moi le médecin, moi l'homme de loi, moi le député, moi l'éducateur, moi le prêtre, moi, moi, rien que moi, j'ai refusé d'être Responsable. Et voilà ce qui est arrivé.

* * *

Est-ce que cela va durer, est-ce que ces malheurs vont continuer et s'aggraver ? Oui, tout le mal con­tinuera si je continue de refuser mes responsabili­tés.

Mais, j'ai peur, je m'agenouille, je prie Dieu de faire un miracle.

Oui, Dieu fera un miracle, il fera de moi un homme responsable.

Gilberte Côté-Mercier

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