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Mordez en étourdis...

Gilberte Côté-Mercier le jeudi, 01 juin 1944. Dans Éditorial

Mordez, mordez, petits poissons. Regardez le beau ver qui vous invite. Sa chair est tendre et douce. Il apaisera votre faim pour maintenant et toujours dans les siècles des siècles, car c'est la nourriture de la sécurité sociale. Vous les petits, vous avez assez souffert de l'incertitude du lendemain. Ne serez-vous pas contents de vivre de ce cadeau que vous fait le parlement ? Assurances de toutes sortes pour vaincre l'insécurité. Il est vrai que le tout sera payé par votre salaire déjà maigre. Mais, on n'en parle pas : c'est l'hameçon SOUS le ver.

Mordez, mordez, en étourdis, car je voudrais en prendre d'au-au-tres, comme dans la chanson !

Mordez, mordez, moyens poissons. Plus besoin de vous casser la tête pour ramasser des trésors maintenant. Le gouvernement y pourvoit. Il vous sert le banquet perpétuel de la munificente sécurité sociale ! Les richesses que vous possédez, remettez-les au gouvernement sous diverses formes de taxes. Mais, soyez sans crainte, le tout vous sera rendu au centuple. Ce ver, ce ver tout rouge de sang vivifiant, ce ver déjà vous est offert. Mordez, mor­dez, en étourdis, car je voudrais en prendre d'au-au-tres !

Mordez, mordez, les gros poissons. Vous les gros, gros, man­geurs de petits, ne vous tourmentez pas. Cette sécurité sociale pro­mise à tous ne vous enlèvera rien de votre pouvoir. Au contraire, le gouvernement, avec sa police, ses lois et son armée, sera le pa­ravent de tous vos droits. Vous souffrirez peut-être quelques égra­tignures, si vous manquez de souplesse, car il est aigu et rigide l'hameçon du socialisme. Comme tous les instruments de l'enfer, il se détruit lui-même et écrase ceux mêmes qui l'ont forgé. Mais, cet hameçon, vous ne le voyez tout de même pas. Mordez, mordez, en étourdis, car je voudrais en prendre d'au-au-tres.

Mordez, mordez, tous les poissons. Venez vous rassasier de ce met délicieux que vous sert votre paternel parlement.

Voyez-le, ce bon papa de parlement. Voyez-le soucieux de votre bien-être. Que n'inventera-t-il pas pour vous rendre heureux ?

Afin que vous ayez de quoi vivre pendant le chômage, il établit l'assurance-chômage. Il y a bien dans l'assurance-chômage un petit règlement qui rogne sur votre salaire de maintenant, et par con­séquent vous empêche de vivre maintenant. Mais, qu'importe pourvu que vous mangiez plus tard !

Afin que le médecin vienne à vous dans vos maladies, le par­lement établit l'assurance-maladie. Évidemment, il faut que vous versiez votre cotisation dès maintenant. Ça peut vous paraître payer le médecin avant d'être malade, même au risque de n'être pas malade mais qu'importe, pourvu que vous soyiez soignés gratuitement plus tard !

Afin que vous ne manquiez jamais d'ouvrage, monsieur King instaure le génial Service sélectif. Vous y avez goûté. Vous trouvez peut-être que c'est un peu rude comme l'hameçon sous le ver, mais ne vous troublez pas, même si c'est de digestion difficile. Ça ne fait pas de mal, puisque ça vous donnera de l'ouvrage autant qu'il y aura moyen, même en temps de crise.

Et combien d'autres plans notre bon papa de parlement ne trace-t-il pas ?

Tous ces plans sont aussi délicieux que ce ver luisant qui brille à vos yeux, tous les poissons.

Mais, mordez donc en étourdis. Soyez sans crainte. Qu'importe l'hameçon qui vous étranglera, qu'importe l'hameçon qui tuera votre liberté ; qu'importe, pourvu que vous mangiez !

Gilberte Côté-Mercier

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