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Les morts se parlent

le lundi, 01 mai 1944. Dans Éditorial

Tous les deux furent soldats. Soldats de l'autre guerre. Tous les deux donnèrent leur vie pour sauver la liberté, pour assurer au monde la prospérité et la paix perpétuelles.

Et pendant vingt ans, des messagers de la surface descendi­rent les uns après les autres vers la retraite de nos deux héros.

Mais les messages ne justifiaient point du tout les promesses. Pendant dix années surtout, des hommes et des femmes morts avant le temps racontaient aux victimes de 1914 à 1918 la tristesse d'une terre où l'on chômait en face des besoins, où l'on mourait de faim devant des montagnes de nourriture.

Vint 1939, et la nouvelle croisade pour la civilisation et la li­berté. De jeunes soldats, fauchés pour la grande cause, appor­taient de meilleures nouvelles aux deux vieux.

Cette fois, c'était la vraie lutte, la lutte pour mettre au monde un ordre nouveau.

Et l'ordre nouveau est déjà en formation, assure un dernier mort de 1944. Le premier-ministre du Canada, Mackenzie King, l'avait dit : "Si l'ordre nouveau n'est pas commencé avant la fin de la guerre, c'est en vain qu'il faudra le chercher après la guer­re." Donc la structure est commencée.

Du coup, nos deux vétérans n'y tiennent plus. L'un d'eux braque un télescope que six pieds de terre n'empêchent pas de re­cevoir les images du ciel de l'ordre nouveau.

Il promène sa lentille de l'ouest à l'est. Hélas ! à son confrè­re avide de savoir, il doit déclarer tristement :

"Mon vieux, c'est affreux, ce qui se bâtit sur la terre. Nos frères les hommes sont tous prisonniers.

"Ce sont les travaux forcés pour tous. Ils appellent ça l'em­bauchage obligatoire.

"C'est le rationnement des vivres. Ils appellent ça les cou­pons obligatoires.

"C'est le dossier intime de chacun dressé par les vétérinaires du gouvernement. Ils appellent ça l'examen médical obligatoire.

"C'est l'espionnage général, même au sein de la famille. Ils appellent ça la délation obligatoire.

"C'est la conscription de l'argent. Ils appellent ça les assu­rances obligatoires,

"Ce sont les galères pour tous. Ils appellent ça le service sé­lectif obligatoire.

"C'est l'enrégimentation de l'enfance. Ils appellent ça la sco­larité obligatoire.

"Ce sont les privations commandées. Ils appellent ça l'épar­gne obligatoire.

"Ce sont les permis nécessaires pour bouger, pour respirer. Ils appellent ça les licences obligatoires.

"Ouf ! qu'en penses-tu, mon frère d'armes ? Ne trouves-tu pas que la paix de notre tombeau vaut encore mieux que toutes ces chaînes forgées pour étrangler les vivants ?"

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