La conférence interprovinciale convoquée pour disposer du rapport Sirois n'a duré que deux jours et s'est terminée on sait comment.
Deux jours seulement pour accomplir une bonne action : c'est, en démocratie, un record qui mérite d'être souligné. Cela prouve que, même sans dictature, on peut prendre des décisions rapides lorsque, comme dans ce cas, une opinion publique éclairée et vigilante se fait sentir derrière les représentants.
Donc, 15 janvier 1941, première victoire contre la centralisation : sursis de sentence.
Sursis, seulement. L'idée, comme le remarque le ministre de la Justice, est toujours là. Et l'on connaît la ténacité des forces à l'œuvre pour placer l'univers sous le contrôle d'une finance centrale.
Sursis seulement. Les causes qui ont suscité toute cette mise en scène, depuis la nomination de la commission d'enquête jusqu'à l'appel du rapport devant ses juges, sont toujours là.
Il ne s'agit pas, on ne saurait trop le redire, d'une mesure de guerre. On n'était pas en guerre en 1937.
Il s'agit d'une situation financière qu'on cherche à régler par une redistribution des pouvoirs fiscaux.
Nullement question de supprimer les sources des dettes ni d'exempter le citoyen canadien de ses servitudes envers les contrôleurs de son crédit.
Simplement de décider qui, des petits gouvernements ou du gros gouvernement, aura le privilège de saigner le contribuable pour abreuver le Moloch assoiffé.
Au point de vue final, si l'on ne considère que la condition du porte-monnaie, c'est collectivement assez semblable.
Collectivement. Certaines provinces, par suite d'un développement plus précipité, sont plus chargées de dettes sous un régime où développement est synonyme d'endettement. Plus jeunes aussi, et surtout plus éloignées des centres où trônent les directeurs financiers du pays, elles hébergent moins de millionnaires ; et l'on sait si le départ d'un millionnaire pour le royaume des ombres apporte un rayon de joie au bureau d'un trésorier provincial.
On comprend que, pour ces provinces-là, avec le spectre d'échéances d'obligations à l'horizon, l'appât d'une mise en commun du passif financier était de nature à leur faire oublier des privilèges d'un ordre plus élevé. Pour qui a bien faim, un plat de lentilles prend une valeur considérable. Ce qui explique l'insistance de la Saskatchewan et du Manitoba à l'adoption rapide des conclusions du rapport Sirois.
Si l'Alberta n'est pas de l'avis de ses sœurs de la prairie, c'est que le Crédit Social a placé une autre philosophie dans cette province. On n'y admet plus que la finance doive dominer la vie de l'homme et exiger le sacrifice de ses libertés.
On a donc remis à plus tard ce qu'on décorait du nom de "révision de la constitution", n'osant pas dire "trafic de dettes contre autonomie". Mais on y reviendra sûrement : la cause est toujours là.
Banco continue de placer des sacs sur les épaules. Si le poids des sacs change pendant la guerre, il y a cent chances contre zéro que ce sera vers la hausse. Sous un fardeau de plus en plus écrasant, qui donc résistera à la tentation de déposer le sac, même s'il faut accepter le licou ?
Louis EVEN