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Vers la persécution

Gilberte Côté-Mercier le lundi, 01 mai 1944. Dans Réflexions

Les hommes à qui il reste encore un peu de cœur se révoltent contre la loi inique du Canada qui oblige les pères de famille à dénoncer leurs fils délinquants ou déserteurs.

C'est révoltant en effet, ultra-révoltant !

Il nous semble que le code criminel n'oblige pas un parent à témoigner contre son propre sang. Et voilà que notre code de guerre ne se soucie plus de la famille. D'ailleurs, il y a longtemps qu'il l'a écrasée, la famille, notre code de guerre ! Il conti­nue dans la même ligne.

Dénoncer son propre fils, son frère, ça répugne aux êtres les plus vils. Voilà pourquoi tant de voix se sont élevées contre cette iniquité.

* * *

La délation est une injustice, a-t-on dit avec rai­son, à l'occasion de cette sorte de délation fami­liale. Et on a bien fait de s'exaspérer et de crier fort son dégoût. Il y a de quoi.

Mais, si la délation de ses proches est ignoble, il n'en faut pas dire moins de tout autre délation, de la délation contre le prochain, selon l'expres­sion de l'Évangile, de celui-là qui n'est ni un pa­rent ni un ami, mais un frère en Jésus-Christ tout simplement.

Aller dénoncer son fils, c'est affreux et inadmis­sible. Aller dénoncer les autres qui ne nous tien­nent pas au cœur, on ne peut pas dire que c'est moins ignominieux et que c'est chrétien.

Tous ceux qui crient contre la délation qu'on nous impose actuellement se sont-ils levés déjà pour crier contre toutes les autres sortes de déla­tion qu'on nous impose depuis le commencement de la guerre ? Sinon pourquoi pas ? Ne les ont-ils point vues, les délations de mouchards à commis­sions, de fonctionnaires créchards, de patrons me­nacés de faillite et de délinquants récompensés ?

La loi de délation qui entrera en vigueur le pre­mier mai n'est que le couronnement de tous les ac­tes de délation commis sous l'œil encourageant et généreux d'un gouvernement qui sollicitait la col­laboration de tous pour appliquer sa politique de salut de la chrétienté. Il est facile pour un gouver­nement de promulguer une loi quand l'essai de cette loi a si bien réussi.

À qui la faute si cette loi peut être faite ? Aux mouchards de tout calibre dans le passé, et aussi à ceux qui ont laissé faire les mouchards.

Certes, cette loi est barbare et injuste. Mais, il y eut d'autres lois barbares et injustes contre les­quelles les effrayés d'aujourd'hui n'ont rien dit ni rien fait.

Laisser crever de faim des masses de peuple en face de l'abondance qu'on détruisait pendant 10 ans, n'était-ce point injuste ? Et qu'en ont-ils dit, les indignés d'aujourd'hui ? II y en eut peut-être même parmi eux qui furent des profiteurs de ce système de "mange ton prochain pour vivre".

Que penserions-nous d'un homme qui nous as­sommerait lorsque nous passons sur la rue, et qui s'excuserait auprès de nous en nous disant : "Par­donnez-moi, je fais cela pour gagner ma vie !"

Combien y en a-t-il qui trouvent leur vie en as­sommant les autres ? Et où sont ceux qui protestent contre cet odieux système qui force à tant d'injus­tices ? Tous les indignés d'aujourd'hui ont-ils fait leur part contre ces injustices ?

La délation obligatoire d'aujourd'hui est odieu­se, et on ne protestera jamais assez fort contre elle. Et bénis soient ceux qui protestent.

Mais, n'y aurait-il pas lieu de faire tous ensemble un petit examen de conscience, et de nous de­mander si ce n'est pas à cause de notre lâcheté que nos gouvernants en sont rendus à une telle barbarie. N'aurions-nous pas trop longtemps ac­cepté d'autres lois aussi injustes mais qui ne nous atteignaient pas aussi directement ?

Nous avons toujours tout laissé faire, nous con­solant d'être nous-mêmes épargnés. Et maintenant, le gouvernement sait à qui il a affaire, et il ne se gêne plus.

Pauvres de nous, qu'est-ce donc que l'avenir nous prépare ? Ne sera-ce point peut-être la persé­cution religieuse, si bien commencée par la persé­cution des consciences ?

Lorsque les prêtres de chez nous seront massa­crés, on criera au scandale. Ce sera en effet un grand scandale. Mais, en attendant, il y a d'autres scandales qui mènent à celui-là et qui semblent ne révolter personne.

Gilberte Côté-Mercier

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