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Venez, les bénis

Gilberte Côté-Mercier le lundi, 15 mai 1944. Dans Réflexions

Athanase est généreux. Il peut tout donner. Il n'est pas riche du tout, même il a de la peine à joindre les deux bouts, mais il en a toujours à don­ner. Il donne de son argent, de son temps, de ses talents, de son sourire. Il met tout ce qu'il a à la dis­position de la charité. Sa maison est petite, mais il y trouve toujours une place pour en loger un autre qui est dehors. Sa table est remplie d'enfants, mais il reste toujours une fourchette pour les quêteux du Crédit Social.

L'hiver dernier, Athanase a mis son cheval à sortir tous les dimanches avec les Voltigeurs. Cet été, il a "rafistolé" un vieux "bazou" qui servira à évangéliser la région.

Athanase ne demande rien pour ses services à la société. Athanase a un grand cœur, et c'est dans sa nature de donner. Pour lui-même, il en a toujours assez. Pour les autres, il regrette toujours de ne pouvoir en faire plus.

*    *    *

Georges a moins d'enfants qu'Athanase. Il est plus à l'aise aussi comme de juste. Il fait un bon salaire, puis il perçoit des revenus assez apprécia­bles. Surtout, en temps de guerre, il brasse de très bons marchés. Avec la mouchardise si bien récom­pensée par les gouvernements, et le marché noir si bien payé par les gouvernés, Georges se ramasse de jolis magots.

Georges a de l'esprit, du temps et des mains pour prendre ce qui passe. Georges ne donne pas aux au­tres. Il prend des autres.

Ne demandez pas la charité à Georges, il vous ré­pondra qu'il n'a rien. "Comment peut-on avoir de quoi donner quand les taxes sont si élevées ?" Non, vraiment, Georges n'est pas capable d'aider ses semblables ! Que les autres se débrouillent comme lui le fait !

Oh ! si vous représentez à Georges qu'un tout pe­tit don qu'il ferait lui vaudrait de l'appréciation, et même plus tard des revenus supplémentaires, vous gagnerez Georges, parce qu'il considérera la chari­té qu'il vous fait comme un placement.

Mais, ne vous faites pas d'illusion. Cet acte de Georges, qui ne porte que les apparences de la cha­rité, est fait tout entier d'égoïsme. Il ne sera pas d'une grande efficacité pour soulager les pauvres.

L'égoïsme ne soulage pas. Au contraire. Regar­dons notre génération. N'est-elle pas couverte de gloire par ses dons à toutes sortes d'œuvres ? Et pourtant, quelle floraison de misères de toutes sor­tes, morales et physiques ! La générosité apparente de nos contemporains, bienfaiteurs à grands titres et à grosse gloire, produit des fruits de désolation. On dirait que, de nos jours, plus il y a d'œuvres de bienfaisance, plus il y a de pauvres. C'est à croire que ce sont les œuvres de bienfaisance qui créent la pauvreté. À moins que ce soient les bienfaiteurs eux-mêmes qui désirent tellement avoir des obligés qu'ils s'arrangent pour qu'un grand nombre aient besoin de leurs services. Cette charité-là n'est pas de la vraie. C'est la charité de l'égoïste Georges.

*    *   *

Avez-vous remarqué que le monde est composé d'Athanases et de Georges ? Que l'on peut classer tous les individus dans l'une des deux catégories ?

Regardez un tel. Est-ce un Athanase ou un Geor­ges ? Vous n'hésitez pas, c'est un Georges. Et l'au­tre, c'est un Athanase sans contredit.

On dirait que le monde est divisé en deux gran­des classes : ceux qui donnent aux autres et ceux qui tirent des autres. Les généreux et les égoïstes. Ceux qui pratiquent l'amour du prochain, et ceux qui pratiquent l'amour d'eux-mêmes.

Il semble qu'il n'y ait pas de milieu. Vous êtes à droite ou à gauche, pas entre les deux.

Entre les deux, il n'y a point de place. On est l'un ou l'autre.

On est parmi les bénis ou parmi les maudits, comme au jugement dernier.

*    *    *

Comme il est dit dans l'Évangile, ce jour-là le Seigneur divisera les hommes en deux camps.

Alors, le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : "Venez, les bénis de mon Père : prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli ; nu, et vous m'avez vêtu ; j'ai été malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus à moi."

Il dira aussi à ceux qui seront à sa gauche : "Al­lez-vous-en loin de moi, les maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ; j'étais étranger, et vous ne m'avez pas re­cueilli ; nu, et vous ne m'avez pas vêtu ; malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité."

*    *    *

Les deux camps existent déjà sur la terre. Il y a le camp de ceux qui donnent et le camp de ceux qui prennent. C'est tel que ce sera au jugement der­nier. Il n'y a pas de troisième camp.

Entre aujourd'hui et le jugement dernier, il n'y a qu'une différence, c'est qu'en attendant la fin du monde, les boucs sont mêlés aux brebis.

Gilberte Côté-Mercier

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