Le mouvement C. C. F. monte. Il prend de la vogue. Le résultat des élections d'Ontario en est une preuve évidente.
De ce fait, les gens logiques tirent des conclusions.
Les libéraux, ceux du moins qui n'ont pas tout à fait perdu la tête, concluent que leur politique des dernières années n'est pas prisée en Ontario.
Et que dire de la province de Québec !
Que dire de l'opinion en Nouvelle-France ? Mackenzie King et Godbout oseront-ils l'affronter ?
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Et nos moralistes du Québec, que pensent-ils de tout cela ?
Oui, nos moralistes qui condamnent toujours, et n'appuient jamais. Nos moralistes qui passent leur éloquence à énumérer tout ce qui est défendu, et oublient de dire ce qui serait bon. Nos moralistes qui disent ce qu'il ne faut pas faire, mais qui ne disent pas ce qu'il faut faire. Nos moralistes qui se lamentent sur l'état politique du pays, mais qui ne veulent pas de la réforme du Crédit Social.
Ces moralistes qui avaient condamné la C.C.F., que pensent-ils de la montée socialiste ?
Vont-ils un jour comprendre qu'il ne suffit pas de démolir, mais qu'il faut construire aussi, et se hâter de le faire ? Car, l'homme est un être, c'est-à-dire du positif, non pas quelque chose qui n'est pas, mais quelque chose qui est. On ne peut nourrir l'homme avec seulement des "Défendu de..."
Le médecin qui met son malade à la diète, en lui interdisant de manger telle ou telle chose, peut faire mourir de faim le malade. J'aime mieux le médecin qui commande de manger des vitamines.
Nos moralistes vont-ils bientôt cesser leur attitude de défaitistes ? Vont-ils bientôt nous montrer comment bâtir ? Ou nous laisser faire lorsque nous bâtissons ?
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"C'est la doctrine sociale de l'Église qui construira", dit-on.
Très bien. Mais, la doctrine de l'Église est un ensemble de principes, non pas une méthode.
Les principes de justice et de charité sont les bons principes. Mais encore faudrait-il savoir comment appliquer ces principes.
Nous connaissons un marchand catholique qui va à la messe tous les dimanches, et même y communie, nourrit son âme des principes de justice et de charité. Mais, il reste le corps à nourrir, et le corps a besoin de pain.
Il faut au marchand le moyen de gagner son pain en observant les principes de justice et de charité. Le moyen, oui, la méthode.
Le principe et la méthode, ce n'est pas même chose.
On ne mange pas de la justice, on ne s'habille pas avec de la justice. Mais on mange du pain, on s'habille avec des habits.
Et lorsqu'il n'y a pas moyen d'obtenir honnêtement son pain, on est forcé de l'obtenir malhonnêtement, injustement.
Le marchand de tout à l'heure est catholique dans son âme, mais de ce temps-ci, la marchandise lui est mesurée. Rationnement ! Il apprend un jour que s'il était franc-maçon, il aurait toute la marchandise qu'il désire — c'est peut-être pour cela que les aptrides ne manquent de rien.
Et notre marchand se demande avec tristesse s'il devra se faire franc-maçon pour vivre. Et le marchand constatant que lui-même et ses enfants ne mangent pas de la justice en principe, mais du pain gagné justement ou injustement — comme on peut — le marchand se fait franc-maçon. Nous pourrions écrire ici le nom du marchand. Et nous croyons qu'il est un exemple entre mille.
Ce marchand aimerait beaucoup mieux gagner son pain sans faire mal à ses principes, mais il n'en connaît pas le moyen.
Il en est sans doute de même de tous ceux qui votent pour la C.C.F.. Il en sera sans doute de même pour tous les bons catholiques de la province de Québec qui peut-être voteront pour la C.C.F.. Ils resteront catholiques dans leur âme, mais ils garderont leur corps de chair, se nourrissant de pain. Et comme ils ne connaissent pas le moyen de vivre avec justice, comme ils ne peuvent pas ne pas vivre, ils vivront en dehors de la justice. Ils sacrifieront leurs principes et voteront pour la C.C.F..
À moins que nos moralistes se ravisent et prêchent du constructif, ou au moins cessent d'écraser par tous les moyens ceux qui bâtissent à côté des ruines actuelles.
À moins que nos moralistes ne comprennent que le Crédit Social, loin de faire du mal à la doctrine sociale de l'Église, donne une technique pour appliquer ses principes.
Nos moralistes qui ont peur du dividende gratuit, vont-ils préférer le dividende qu'on reçoit au prix de son âme ? Ne vaut-il pas mieux recevoir de l'argent sans conditions que d'être obligé de payer de son salut éternel l'argent qu'on reçoit ?
Nous souhaitons que les progrès de la C.C.F. soient au moins une leçon à nos gouvernants et à nos moralistes de la province.