Il fut un temps où l'homme devait se vêtir de peaux de bêtes, vivre dans des cavernes, et manger des racines ou la chair des animaux qu'il pouvait atteindre de ses flèches. Vous conviendrez avec moi que c'était une vie plutôt rustique que nul d'entre nous ne voudrait entreprendre.
Et pourtant, cet homme des cavernes finissait toujours par trouver sa subsistance et celle de sa famille. On peut donc conclure que même à cette époque reculée, le Divin Créateur avait mis sur notre planète de quoi faire vivre tous les êtres qui l'habitaient.
Oh, sans doute l'histoire nous apprend qu'il y eut des années de disette, des années d'abondance, des calamités, des épidémies, des conflagrations, mais jamais même dans les plus terribles années du peuple hébreu il n'a été question d'une crise où le monde mourait de faim au sein de l'abondance et uniquement parce qu'il n'y avait pas d'ouvrage... ! On n'avait même pas songé à trouver, dans les dialectes du temps, un mot qui signifiait "chômage".
Mais dans ce temps-là, le Créateur avait doué l'homme d'un minimum d'intelligence et... il s'en servait !
Aussi, l'homme des cavernes n'a-t-il pas pris beaucoup de temps à s'apercevoir qu'il pouvait se faire aider par certains animaux dressés et son travail fut moins dur et plus profitable. De même il trouva toutes sortes de moyens et de trucs pour améliorer son existence. Il réalisa qu'il lui était plus facile de gagner sa vie en compagnie de son semblable que de rester seul dans son champ et sa cabane. On fit des sociétés, des lois, des gouvernements. Dans le groupe, chacun avait des aptitudes différentes ; les hommes en vinrent à se spécialiser chacun dans la ligne qui convenait le mieux à ses aptitudes, et chacun échangeait ses surplus avec les surplus des autres.
Les plus ingénieux découvraient des moyens moins pénibles et plus fructueux pour obtenir plus de produits de leur travail, ou pour soulager leur labeur sans diminuer la production. Les autres adoptaient ces moyens en les adaptant à leurs propres occupations. Chaque génération transmettait aux descendants des méthodes de travail plus perfectionnées que celles qu'elle avait reçues.
Et les générations allaient se succédant sans cesse, en accumulant pour leurs survivants tout un bagage de procédés et de méthodes faits pour améliorer leur rude existence.
Ainsi de découverte en découverte, on s'est trouvé un beau jour, avec des sciences, des arts, de la littérature, de la musique. Il eût été impossible à un seul homme d'arriver à toutes ces merveilles en partant de zéro.
Les inventions s'accumulaient ; la vie devenait plus intéressante, moins dure à gagner. On pouvait se payer plus de luxe, plus de loisirs. On travaillait moins, on réfléchissait plus. On se raffinait, on se civilisait. Chaque siècle était plus avancé que le précédent et moins bien que le suivant.
Arrêtons-nous ici ; il y a environ six mille ans que l'homme a laissé sa caverne, ses habits de peaux de bêtes et ses repas aux racines sauvages.
Pour avoir une idée de ce qui a été fait pendant tout ce temps, pour réaliser jusqu'à quel point il a dompté les forces que le Créateur a mises à sa portée dans l'immense univers ; jusqu'à quel point il a su se faire des outils, des machineries pour les faire travailler à sa place et se créer une existence plus facile, voyons la substance de cet article de A. L. Gibson et reproduit dans "The Case for Alberta".
"Il y a 75 ans, un homme pouvait cultiver 12 acres de terre ; aujourd'hui, avec toute la machinerie moderne, il peut en exploiter 100.
"Aux États-Unis où les fermiers sont mieux équipés que nous, 4,000 hommes auraient suffi pour produire la récolte de 1929. Il y a 100 ans, le même travail aurait requis 5 millions d'hommes.
"Il y a des machines qui peuvent planter et arroser 25,000 pieds de céleri à l'heure, soit 7 plants à la seconde. L'homme le plus habile peut en planter 700 à l'heure tout au plus.
"Dans l'industrie de la cigarette, 3 personnes opérant une machine peuvent remplacer 700 ouvriers travaillant avec leurs doigts ; ils peuvent en rouler 12,000 à la minute ou 720,000 à l'heure.
"Pour ce qui est du vêtement maintenant :
"En Australie, il y a 70 ans, la toison moyenne d'un mouton était de 2½ livres ; aujourd'hui avec les méthodes nouvelles, elle est de 8½ livres.
"Lorsque cette laine arrive dans les tricoteuses, il y a une machine qui travaille 10,000 fois plus vite qu'à la main ; Une jeune fille opérant 25 machines automatiques peut nous tricoter en une seule journée 3,600 paires de bas.
"À Los Angeles, il y a une certaine machine produisant 1,000 paires de chaussures par jour. Cette machine est manœuvrée par 4 hommes
"Près de New York, dans une usine, une machine produit 650,000 ampoules électriques par jour soit une augmentation de 10,000 fois sur le travail à la main. Et cette machine prodigieuse peut être bâtie par 37 hommes en 6 semaines.
"Dans la production des boulons d'acier où il est particulièrement facile de faire travailler la mécanique, une machine opérée par un homme et un garçonnet peut produire dans une journée ce qui était autrefois fabriqué à la main par 6,000 ouvriers dans le même temps.
"Durant les 50 dernières années la production de l'acier a monté de 4 millions de tonnes à 90 millions de tonnes par année.
"En 1904, ça prenait 1,290 heures d'ouvrier pour construire, une automobile ; en 1929, on ne mettait que 90 heures pour donner le jour à une belle limousine.
"Et M. Gibson finit avec ceci : Si toutes les ressources des États-Unis étaient utilisées, ce grand pays pourrait faire vivre une population 5 fois plus grande que celle qu'il y a actuellement par toute la terre."
Avec un exposé aussi étonnant que réel de notre avancement dans le domaine de la mécanique, on peut conclure sans crainte de se tromper, que tous les êtres humains sans exception devraient bénéficier dans leur vie de chaque instant, de tout ce confort, de toute cette facilité, de tout ce temps épargné par cette multitude accumulée d'inventions, de découvertes et de formules qui nous ont été léguées sans restrictions par les siècles passés.
Lorsque les grands génies, les auteurs de ces découvertes, viennent à mourir, on les appelle les bienfaiteurs de l'humanité parce qu'ils laissent à tous les êtres humains présents ou futurs, un droit de plus au confort, au bonheur ou à la santé ; et ce droit, nous l'avons de la même manière que le droit à l'eau des sources, aux rayons d'un même soleil ou à l'air d'une même atmosphère.
Notre société est organisée : Elle se donne un gouvernement pour faire les lois, protéger les droits de chacun, administrer et rendre accessibles à tous les bienfaits du patrimoine national. Ce sont des valeurs abstraites que seul le gouvernement a le droit de concrétiser par un symbole ou signe quelconque de la richesse qui, de ce temps-là s'appelle l'argent, et qui doit être distribué à tous également comme un dividende.
Mais ce patrimoine national qui nous appartient en naissant et pour lequel on nous demande aujourd'hui de sacrifier notre vie dans cette guerre infernale, il est entre les mains d'un petit groupe — toujours le même depuis tant de générations. Qu'ils soient étrangers apatrides, anglais ou allemands, banquiers ou francs-maçons, tsars ou ministres, ils ont entre les mains tous les contrôles. Tels des esprits du mal, on les voit partout : Ils souillent les élections, trament les assassinats, préparent les révolutions et les guerres, suscitent les paniques de Bourse et les crises économiques.
Notre héritage, ils l'ont entre leurs griffes et ils s'en servent pour étancher leur soif d'or et de jouissance, pendant que le reste du peuple est aux prises avec la grande misère.
Les inventions, le perfectionnement continuent de prodiguer leurs bienfaits et remplacent le labeur de l'homme, très bien ; mais ils lui enlèvent en même temps la permission de vivre parce que les financiers gardent pour eux ce minimum vital auquel il a droit. Et c'est en songeant à tout cela que le Grand Pape Pie XI s'est écrié : "Les détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent suivant leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs, mains, si bien, que sans leur consentement, nul ne peut plus respirer".
Mais l'Univers est resté sourd à l'Encyclique Quadragesimo Anno de 1931 et depuis, il n'a cessé de s'enfoncer dans son bourbier d'infection. On eût dit que ceux à qui avait été confiée la mission sublime de diffuser et de mettre en pratique la doctrine salvatrice, s'étaient ligués pour la reléguer dans l'ombre.
Aussi, malgré tous ses trésors de sciences et de perfectionnement, notre civilisation est agonisante parce qu'elle a manqué sa destinée.
Sans doute, il y a beaucoup de doctrines qui sont sorties du cerveau humain et l'on parle partout d'un Ordre Nouveau, mais il va sans dire que ces théories, cet Ordre Nouveau sont arrangés pour ne pas troubler les intouchables profiteurs sur leur trône doré.
Quant à moi, jeune catholique devant la vie, je ne trouve qu'une seule doctrine capable de donner à mon pays et à l'Univers un Ordre vraiment nouveau, une démocratie saine qui permettrait à la Personne Humaine de s'épanouir pleinement. Cette doctrine, — tous ne la connaissent pas — c'est le Crédit Social !
Roland BERTRAND