La lettre suivante est de M. Paul Privé, de St-Léon de Chicoutimi ; elle est adressée à un homme-brouillon qui envoie des circulaires où il peut, dans les milieux créditistes, pour dire que le Crédit Social est une erreur, et prôner un système de son propre cru, dans lequel la monnaie doit être fabriquée par le gouvernement, appropriée par le gouvernement et distribuée par le gouvernement seulement en paiement de travaux publics. L'homme à circulaire appelle cela "monnaie nationale".
M. Paul Privé n'est qu'un simple cultivateur. Mais il ne manque ni de logique, ni d'esprit d'observation :
C'est la deuxième lettre que je reçois de vous, avec vos circulaires contre le dividende.
Votre prétendue "monnaie nationale" est infirme, à mon point de vue. Il lui manque la santé et la pleine vie.
Comment, par exemple, ferez-vous pour distribuer du pouvoir d'achat dans une famille nombreuse, lorsqu'il n'y a qu'un homme pour travailler ? Et si cet homme tombe malade ou devient incapable de travailler ?
Votre "monnaie nationale" n'atteindra pas le quart du public acheteur, surtout à notre époque industrialisée, où les machines ont plus d'importance que les hommes dans la production.
N'avez-vous jamais remarqué le système des eaux dans la nature ? Où les mers, les lacs, les rivières, les nombreux petits cours d'eau, prennent-ils leur alimentation, sinon dans la pluie qui tombe ? Et cette pluie tombe partout, même sur les rivières, sur les lacs, sur les mers elles-mêmes, où l'on serait tenté de croire qu'il n'y en a pas besoin. Le Créateur l'a voulu ainsi, et cela fonctionne à merveille, sans enquêtes et sans classifications bureaucratiques. Si le système monétaire fonctionnait aussi bien, je serais très satisfait.
Le soleil reprend de l'eau là où elle s'accumule et la répand de nouveau partout ; et bien qu'elle tombe partout, c'est aux endroits où il y en a le plus besoin qu'elle fait le plus de bien.
L'eau qui arrose les terres coule vers la mer et enrichit l'océan pour la vie qui l'habite. Puis l'eau extraite des océans, en retombant partout, arrose les terres et les féconde.
Par le dividende national et l'escompte compensé du Crédit Social, on atteindra tous les individus du pays. L'argent coulera certainement vers des points plus que d'autres, tout comme l'eau s'écoule toujours vers les lacs et les océans. Mais la répétition du dividende fera ce que fait la répétition des pluies. Et ce sont les plus pauvres qui y trouveront le plus de réconfort.
Le soleil voit à ce que les mers ne débordent pas, mais refournissent de l'eau pour les pluies. Un mécanisme approprié doit faire la même chose dans un système monétaire bien organisé.
Sans doute qu'un système établi par les hommes ne fonctionnera pas de sitôt aussi bien que le système des eaux établi par Dieu. Sans doute qu'on verra encore des accumulations d'argent greffées sur la circulation monétaire. Mais les gouvernements n'ont-ils pas un système de taxes qui peut très bien voir à dégonfler ces accumulations lorsqu'elles deviennent dangereuses ?
Donc, inutile de m'écrire de nouveau à ce sujet. J'ai pesé le pour et le contre, et mon idée est faite. Je considère le système monétaire comme un service public : s'il ne sert pas le public, tout le public, il est faux et ne peut que perpétuer la grande masse délaissée du passé.
PAUL PRIVÉ