Nos surplus ne nous appartiennent pas d'une manière absolue. Nous n'en sommes que les gérants pour le bien de tous.
C'est parce que la gérance pour le bien de tous est oubliée par ceux qui ont des surplus, que les gouvernements sont obligés d'intervenir, même s'ils ne le font pas toujours d'une manière ordonnée ; ils confisquent les surplus par les taxes et affectent ces surplus au service de la communauté.
Dans ce cas, le gouvernement exerce un rôle supplétif, parce que les possédants oublient leur rôle de gérants de richesses pour le bien commun ; ou parce que, à cause de la complexité actuelle de l'organisation sociale, ce rôle serait mal rempli par les particuliers.
Encore une fois, cette intervention du gouvernement donne prise à bien des abus ; et c'est souvent dans le nécessaire, non plus dans les surplus, que le gouvernement puise, tout en laissant se gaspiller des biens inutilisés. Les créditistes savent pourquoi.
* * *
Mais, jusque-là, il ne s'agit que de biens matériels. Lorsqu'on entre dans le domaine des biens culturels, de l'éducation, de la science, il y a aussi des riches et des pauvres ; et les riches de l'intelligence ne sont, eux aussi, que les gérants de leurs richesses pour le bien de tous.
Ici, le gouvernement n'intervient pas. C'est à chacun de remplir son devoir de dispensateur de ses surplus. Devoir d'autant plus facile que, lorsqu'il s'agit des biens d'esprit, on ne s'appauvrit pas en les distribuant. Un savant ne devient pas moins savant en instruisant des ignorants. Au contraire ; plus il communique, plus il développe ses acquisitions.
Pourtant, c'est un devoir fort mal accompli. Que d'hommes ont des talents et ne les utilisent que pour leur enrichissement personnel ! Que d'hommes ont reçu une belle instruction, sont diplômés d'universités, et ne se soucient pas un brin d'instruire les autres ! Leur belle instruction ne leur est qu'un moyen de briller, de dominer, ou de faire fortune.
Il n'est pas un homme instruit qui ne doive une bonne partie de son instruction à l'organisation sociale. Quels que soient ses talents personnels, quels qu'aient été ses efforts individuels, s'il n'y avait pas eu des écoles, des manuels d'étude, des professeurs, tous faits sans lui et avant lui ; quelle instruction aurait-il pu acquérir ?
Ceux qui ont le plus reçu de la société doivent le plus à la société. Sont-ils ceux qui rendent le plus à la société ? Ou ne sont-ils pas trop souvent ceux qui exploitent le plus la société ?
Ne constate-t-on pas fréquemment que ce sont des gens moins fortunés qui font le plus de sacrifices pour améliorer le sort de la masse ? Moins fortunés, non seulement en fait de biens matériels ; mais aussi en fait d'instruction, en fait de moyens intellectuels.
On blâme parfois les créditistes, gens du peuple, presque tous sans parchemin, d'exercer le rôle de l'élite et de vouloir éclairer et guider le peuple. C'est vrai qu'ils laissent là leurs filets et se mettent à prêcher ce qu'ils ont appris, même si leur bagage orthodoxe est plutôt mince. C'est vrai. Mais aussi, que font pendant ce temps-là nos scribes, nos pharisiens et nos docteurs de la loi ?