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Un député ébouillanté

le mercredi, 01 mars 1944. Dans La politique

À Granby, comté de Shefford

Dimanche dernier, 20 février, à Granby, des électeurs du comté de Shefford ont ébouillanté leur député.

Des commissaires d'écoles et des créditistes de la région s'étaient rassemblés pour considérer la menace de suppression des commissaires d'écoles et des écoles de rang.

On sait qu'il est question de cela dans les cou­lisses du parlement de Québec. L'an passé, on nous a servi l'école obligatoire. Ce qui veut dire des chaînes. Cette année, on veut nous enlever nos commissaires d'écoles. Ce qui veut dire dimi­nuer le pouvoir du peuple. On veut nous enlever aussi nos écoles de rangs. Ce qui veut dire centra­liser. C'est la même chose que diminuer le pouvoir du peuple.

Or, l'assemblée de Granby avait bien examiné la question, et en était venue à la conclusion de demander au député de Shefford de lutter pour le maintien des commissaires d'écoles dans leurs fonctions et le maintien des écoles de rangs, et pour que les commissaires d'écoles soient consul­tés à chaque fois qu'il sera question d'écoles à l'Assemblée législative.

Une heure en retard

Le député provincial, monsieur C.-M. Bullock, était invité pour 4 heures de l'après-midi. À 4 heures, l'assemblée était prête à le recevoir. Mais, monsieur Bullock n'arrivait pas. Les députés sont toujours en retard ! C'est du grand monde, et par conséquent du monde poli !

Voyant que le temps passait les électeurs com­mençaient à croire que leur député leur fausserait compagnie. Ils n'en étaient pas bien surpris, car, ma foi ! un député pas fidèle, ce n'est pas nouveau ! Et la salle se vidait petit à petit de ceux qui se disaient : Le député ne viendra pas, c'est sûr !

Mais, électeurs de peu de foi, vous auriez dû patienter. Vous êtes à l'heure, vous, lorsque vous allez rencontrer votre député, parce que vous avez des faveurs à lui demander. Mais, le député, lui, n'a rien à attendre de vous. Il est donc très indépendant, et il peut vous faire attendre, vous, le vulgaire électeur.

Et de fait, monsieur Bullock, fit attendre ses électeurs une heure. Il arriva à 5 heures, exacte­ment.

Ceux qui restaient de l'assemblée se groupèrent donc de nouveau autour de leur pasteur politique.

Celui-ci s'avança cahin-caha dans la salle, puis escalada l'estrade en titubant. Il dit au prési­dent qu'il avait mal au talon. Des malins préten­dent qu'il avait plutôt mal aux cheveux.

La question

Le président de l'assemblée posa donc au dé­puté le problème :

Monsieur le député, il s'agit de savoir si vous êtes prêt :

    1) à voter pour le maintien des commissai­res d'écoles et des écoles de rangs ;

    2) à voter pour que les commissaires d'éco­les soient consultés à chaque fois qu'il sera question d'écoles, à l'Assemblée législative.

Les hésitations

Puis, le député se leva avec beaucoup de diffi­cultés, comme un vieux, qui en a porté lourd tou­te sa vie, sur les épaules.

Puis, le député ouvrit la bouche. L'auditoire était haletant, attendant avec avidité les paroles bénies qui sortiraient de cette bouche bénie.

Mais, il ne sortit que des eh. !..  he !...

Le député accompagnait son éloquent discours de petits gestes nerveux avec son crayon, et fai­sait des croix sur un papier qu'il y avait là sur le bureau.

Enfin, le député se décide. D'abord, il s'ex... ex­cuse d'arriver en retard, comme si les excuses te­naient lieu de vertu. Mais, monsieur le député avait une bonne raison pour arriver en retard. Il revenait d'un banquet, où il avait eu beaucoup de plaisir, dit-il. Le député était à manger et boire pendant que ses électeurs réfléchissaient... Et on dit que la tête du pays est au parlement, quelle erreur !

Puis, le député tortilla des mots, et des bouts de phrases qui arrachaient les oreilles et l'esprit, tellement c'était difficile à comprendre d'incohé­rence.

La réponse

Enfin, on en vint à savoir que le député était pour la consolidation des écoles, c'est-à-dire la suppression des écoles de rangs.

Le président demanda au député de préciser et de dire s'il était pour la centralisation des écoles.

Le député fit une petite distinction entre cen­tralisation et consolidation, distinction dont per­sonne ne comprit le sens. Et le député donna la grande raison pour laquelle il était pour la conso­lidation des écoles, la raison de finance. "Ah ! mes amis ! dit-il, on ne pense pas assez à la question de finance ! La finance, mes amis, la finance, c'est très important !" Ce pauvre député, il ne connaît pas les créditistes !

Oui, il est pour la consolidation des écoles, le député Bullock, parce que ça coûte moins cher. L'instruction doit être subordonnée à l'argent, dans l'esprit de ce député, comme si c'était plus facile d'éduquer un monde que de faire des pias­tres ! Système de fous qui fait nos gouvernants raisonner avec tant d'intelligence !

Le député insista que c'était son opinion à lui, et qu'il la défendrait son opinion. Les électeurs se sont élu un représentant, mais ils se sont trom­pés, les électeurs, ils n'ont pas de représentant. Leur député refuse de les représenter. C'est son opinion propre que le député va défendre à la Chambre. Et le député Bullock l'a bien dit di­manche dernier, à Granby : "Vous m'avez élu pour cinq ans. Maintenant, laissez-moi faire. Vous me reverrez à la campagne électorale, et si vous avez quelque chose à me dire, vous me le direz dans ce temps-là. Car, dans ce temps-là, je serai organisé pour vous répondre". Le député a bel et bien dit cela. Et il a ajouté : "Je ne reviendrai plus vous parler en assemblée publique. Je vous parlerai un à un."

Le député, représentant du député

Le député voulait dire : Je suis votre représen­tant, mais je ne vous représente pas. Vous avez voté pour moi, et non pas pour vous. Vous n'avez pas voté pour avoir ce que vous voulez, mais ce que je veux, puisque c'est pour moi que vous avez voté.

Or, quelqu'un dans la salle, qui comprenait très bien, demanda au député : "Ainsi, monsieur le dé­puté, c'est votre opinion que vous allez défendre ? Vous ne vous occuperez pas de ce que veulent vos électeurs ?"

Et le député a répondu : "Oui, monsieur c'est cela".

On voyait bien que le député était dans l'eau bouillante, et qu'il devenait de plus en plus sot. Il disait à ses électeurs tout ce qu'il pensait, chose qu'un député de parti ne devrait jamais faire.

Et le président tira tout haut la conclusion : Les électeurs de Shefford savent à quoi s'en tenir sur leur député. C'est ce que nous voulions.

Et monsieur Bullock donna à ses électeurs ren­dez-vous à la prochaine campagne électorale.

Nos conclusions

    1) Un député pris de court dit à ses électeurs qu'il est au parlement pour défendre une autre cause que la cause de ses électeurs. 

    2) Les députés de partis ne veulent pas ren­contrer leurs électeurs en dehors de la campagne électorale, parce que, en temps de campagne, ils sont organisés. Donc, ce ne sont pas les électeurs qui choisissent leur député, mais la machine élec­torale. Il serait curieux de savoir combien il y a de députés, dans la province de Québec, qui fu­rent vraiment élus par le peuple.

    3) Il se trame, à Québec, dans les coulisses, une terrible machination contre nos écoles. Sous

prétexte de nous instruire, les francs-maçons nous mènent à un joli contrôle de l'enseignement. Nous n'en connaîtrons les résultats qu'une fois les mau­vais coups réalisés, comme la scolarité obligatoire ne nous fut présentée que comme fait accompli. Nul commissaire n'a été consulté pour cela. Mon­sieur Bullock a dit que le surintendant de l'Ins­truction publique se préparait à envoyer aux commissaires d'écoles des questionnaires à rem­plir. Nous redoutons ces questionnaires qui seront présentés sous forme de propagande sans doute, parce qu'ils sont préparés par des gens qui ont tiré leurs conclusions d'avance, comme le député Bullock.

    4) Il est urgent de former un organisme qui fera entendre à tous les députés, à chacun et à tous, la voix des électeurs. Les députés n'y sont pas habitués, mais ils y viendront. Cet organisme est en train de se former, c'est l'Union des Électeurs.

    5) Il est temps aussi que le peuple demande à ses représentants, de la dignité et du dévouement, choses qui ne se trouvent ni dans les partis poli­tiques ni dans les banquets, mais dans la pratique des vertus de désintéressement et de charité.

Une autre manière

Nous relatons ailleurs la rencontre du député provincial de Shefford avec des membres de l'Union des Électeurs de son comté, à Granby.

Pour exercer sa pression, l'Union des Électeurs commence par étudier le sujet qui l'intéresse ; puis elle demande son député pour lui exprimer sa con­clusion et le prier de représenter sa volonté à la Chambre.

On peut voir, par les réponses du député de Shefford, que la pression des électeurs, au moins à cette occasion, le laissa indifférent.

Il faudra des pressions plus fortes, sans doute, dans ce sens-là, parce que nos politiciens sont ha­bitués à d'autres pressions, exercées d'une autre manière.

Contons un fait.

* * *

Il y a moins d'un an, une douzaine de représen­tants de diverses mines du nord se rencontraient dans un village minier de la province. Deux hôtes d'honneur : le premier-ministre de la province, l'honorable Adélard Godbout, et le ministre du Travail et des Mines, l'honorable Edgar Rochette.

Le soir, petit banquet. Banquet de temps de guerre, donc très modeste, mais assez bien arrosé. Qu'on en juge :

Vin

Cocktail aux fruits

Scotch

Viande (canard) et accompagnement Chartreuse

Dessert

Champagne

Cigares et cigarettes

Café au salon

Gageons qu'après, un traitement aussi amène, nos non-Lacordaires du gouvernement sont plus sensibles à la pression de leurs amphytrions qu'à celle de tout un électorat.

Le député de Shefford sortait, lui aussi, d'un banquet lorsqu'il vint à la salle de Granby ; mais ce n'est pas l'Union des Électeurs qui l'avait traité.

Le cher monsieur Bullock nous explique qu'un député est nommé pour un terme et que, une fois élu, il n'a pas à s'occuper de savoir ce que veulent ses électeurs. Il arrive tout de même que les gou­vernements savent fort bien s'occuper de ce que veulent certaines puissances. "Les grosses têtes et les grosses poches" ne passent pas absolument inaperçues.

N'allez pas croire, non plus, que la pensée de colons pauvres, à quelques milles de la table à scotch, à chartreuse et à champagne, ait effleuré le moins du monde la quiétude de nos deux minis­tres. Si le groupe sut faire venir le curé de l'en­droit à onze heures ce soir-là, ce ne fut nullement pour se confesser. 

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