Dans son livre "Le Corps Mystique de l'Antéchrist", l'apôtre anticommuniste, René Bergeron, cite une page de Féli de Lamennais ;, ou plutôt, comme il le dit, il cite, au lieu du texte original, une paraphrase de ce texte, qu'il emprunte à "Paillettes d'Or".
Il s'agit de la Vision Infernale décrite dans Les Paroles d'un Croyant. Nous regrettons que le texte original n'ait pas été respecté : il est beaucoup plus juste et plus frappant que la paraphrase.
Exemple, ce passage :
"Et celui qui avait semblé près de défaillir étendit la main, saisit le vase plein de sang, en versa dans le crâne et but.
"Cette boisson parut le fortifier.
"Et, dressant la tête, ce cri partit de sa poitrine, comme un sourd râlement :
"Maudit soit le Christ, qui nous a enlevé la liberté de la chair et la liberté du péché !"
Dans le texte de Féli de Lamennais, la dernière phrase se lit ainsi :
"Maudit soit le Christ qui a ramené sur terre la Liberté !"
La pudeur du paraphraseur lui a fait tort. Il nous sert du négatif au lieu du positif. Est-ce que le Sauveur n'a pas apporté au monde la Liberté que le péché du premier père avait enlevée ? Pourquoi veut-on faire abhorrer le mot Liberté, au lieu de l'expliquer ? Est-ce parce qu'on est habitué à un régime qui, ignorant la pratique de l'Évangile, foule aux pieds la liberté de la personne humaine ?
* * *
Mais, c'est surtout lorsqu'il reproduit les paroles du septième personnage du conseil infernal, que le paraphraseur détruit l'effet de l'original. Voici la paraphrase :
"Alors, le septième ayant, comme les autres, bu dans le crâne humain, parla de la sorte, les pieds sur le crucifix :
"Plus de Christ, mort à l'infâme et guerre éternelle entre lui et nous !
"Mais comment détacher de lui les peuples ? Pendant qu'il y aura des temples, des autels et des prêtres du Christ, vain espoir.
"Écoutez-moi : Abattons les temples, dissipons le patrimoine de l'autel et persécutons les prêtres.
"Et il n'y aura plus personne qui soutienne les droits du Christ, et rien qui le rappelle au souvenir des peuples.
"Et le peuple sera un troupeau sans pasteur, et nous régnerons sur les temples abattus et sur les peuples dépravés".
Le conseil de Satan, tel que rapporté par Féli de Lamennais, est beaucoup plus astucieux, plus pernicieux. Plus diaboliquement efficace. Abattre les temples, dissiper le patrimoine de l'autel et persécuter les prêtres, c'est vieux jeu. Le mal momentané risque d'être compensé par la purification, par l'ardeur des fervents que rallume toujours la persécution.
Lamennais interprète mieux la perfidie de Satan, lorsqu'il fait dire au septième conseiller :
"Il faut gagner les prêtres du Christ avec des biens, des honneurs, de la puissance.
"Et ils commanderont au peuple, de la part du Christ, de nous être soumis en tout, quoi que nous fassions, quoi que nous ordonnions ;
"Et le peuple les croira, et il obéira par conscience, et notre pouvoir sera plus affermi qu'auparavant.
"Et tous répondirent : Il est vrai. Gagnons les prêtres du Christ".
On voit la différence. Le Satan de Lamennais pourrait dire au Satan du paraphraseur : "Tu n'es qu'un novice ! Ne te mets donc pas en peine de susciter des incendiaires et des assassins, j'ai des moyens plus doux pour faire mieux. Au lieu de supprimer les prêtres, je les comble de biens, je les gagne et je les fais travailler pour moi dans l'exercice même de leurs fonctions. Je garde les temples et je les fais servir à mes fins".
Bien qu'extrait d'un livre mis à l'index, ce récit d'un conseil infernal demeure une des belles pages de Féli de Lamennais.
Pour que le lecteur ne sorte pas écrasé et désespéré de la contemplation de ce tableau, l'auteur, le véritable, termine ainsi :
"Et tout à coup, la lampe qui éclairait la salle s'éteignit et les sept hommes se séparèrent dans les ténèbres.
"Et il fut dit à un juste qui veillait et priait devant la croix : Mon jour approche. Adore et ne crains rien".
L'Église a les promesses de vie contre toutes les puissances de l'enfer. Les plans les plus astucieux du démon ne peuvent avoir le dernier mot. Il peut réussir temporairement dans un pays ou dans un autre, dans plusieurs même à la fois ; il ne pourra jamais corrompre tous les pasteurs : c'est Jésus lui-même qui est avec son Église jusqu'à la consommation des siècles.
