Est-il un seul lecteur de Vers Demain — et d'autres aussi — qui ne se soit arrêté une fois ou l'autre à se poser la question : "Qui donc mène le monde et le mène si mal ?"
Une quarantaine de nations sont actuellement en guerre.
Qui veut la guerre ? Sûrement pas l'homme, la femme, le jeune homme ou la jeune fille du Canada ? Sûrement pas l'homme, la femme, le jeune homme ou la jeune fille des États-Unis. Pas davantage l'Anglais ou l'Anglaise. Pas davantage l'Allemand ou l'Allemande. Pas davantage l'Italien ou l'Italienne. Pas même le Japonais ou la Japonaise. Ni le Russe ni la Russe. Ni le Chinois ni la Chinoise. Ni aucun de ces hommes, ni aucune de ces femmes qui peuplent les républiques de l'Amérique du Sud ou les États, grands ou petits, de l'Europe Centrale, du continent africain ni des îles australiennes.
Et pourtant une quarantaine de nations sont en guerre ! Et dans quelle guerre !
* *
La guerre actuelle fut précédée par dix années de crise universelle. Là encore, la même question pouvait se poser.
Pas un homme normal, pas une femme normale, ne voulait des familles dénuées de tout en face de magasins regorgeant de tout. Pas un Canadien, pas une Canadienne, par un Américain,, pas une Américaine, pas un Anglais, pas une Anglaise, pas un Français, pas une Française — pas un être humain raisonnable ne désirait une armée de chômeurs en face de besoins criants. Pas un seul ne pouvait trouver logique ou humain de détruire des oranges, des vignes, des champs de blé ou de coton, des milliers d'animaux, ou de jeter le lait aux égouts, lorsque tant d'hommes, de femmes et d'enfants souffraient de la faim et s'habillaient de guenilles.
Et pourtant, pendant dix années, dans tous les pays civilisés, des millions d'êtres humains vécurent dans la privation devant les montagnes de biens, errèrent sans emploi avec des besoins non satisfaits, et la destruction continua son train sous les yeux rougis par les larmes de mères de familles qui n'avaient pas de quoi nourrir leurs enfants.
Qui voulait cela ? Qui ?
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Les hommes, tous les hommes, aiment la liberté. La liberté, non pas la débandade anarchique. Les hommes recherchent l'association par nature. Ils se groupent en corporations. Ils se groupent en villes. Ils se groupent en communautés rurales. Ils se groupent en nations. Mais ils ne le font pas pour être moins libres. Au contraire, c'est pour que, triomphant des difficultés plus facilement en groupe qu'isolément, ils puissent avoir plus de sécurité, plus de loisirs, plus de liberté pour orienter leur vie intégrale.
Oui, tout le monde chérit la liberté. Le mot liberté est dans toutes les bouches. Les nations-unies en font leur mot d'ordre.
Et pourtant, la liberté s'en va aussi vite qu'on se bat pour elle. Et les gouvernements champions de la liberté se hâtent déjà de mobiliser des faiseurs de plans d'après-guerre pour mouler la vie de leurs administrés. Y a-t-il beaucoup de liberté dans un moule ?
Pour que les hommes aient de moins en moins un gouvernement à leur goût, on prend partout le moyen d'éloigner de plus en plus d'eux le centre de leur gouvernement.
Il paraît même de plus en plus clairement, à quiconque a des yeux pour regarder, que le monde est conduit vers un gouvernement supra-national universel, auquel les gouvernements nationaux devront sacrifier des portions toujours grossissantes de leur souveraineté. Et l'on voit non moins clairement que, dans cette orientation, les devants sont pris par la finance internationale.
Où est le Canadien de Nouvelle-France, ou de la confédération des provinces, qui aime mieux être gouverné par Washington ou Genève que par Québec ou Ottawa ?
On pourrait poser la même question aux millions d'hommes et de femmes des pays qui sacrifient tant aujourd'hui à l'appel des harangueurs de la liberté.
Sont-ils loin de la vérité, ceux qui soupçonnent l'existence d'une clique secrète, qui renouvelle ses membres d'une génération à l'autre, mais poursuit avec persistance un objectif tracé d'avance, tirant des hommes et des circonstances tout le parti possible, et déviant le moins possible de la ligne jalonnée ?
Qui conduit le monde où personne ne veut aller ? S'il y a la finance organisée derrière les gouvernements et au-dessus d'eux, il y a une intelligence ou des intelligences organisées derrière l'objectif de la finance centralisatrice. Une continuité de conduite, contraire aux aspirations générales, ne peut être l'effet du hasard.
La guerre mondiale No 2 n'est pas terminée que des hommes au courant commencent déjà à parler d'une guerre mondiale No 3. Pourquoi une guerre mondiale No 3 ? Parce que la guerre mondiale No 2 n'aura pas suffi pour placer l'univers entier sous le sceptre qui convoite rien moins que tout l'univers.
Pour une œuvre aussi gigantesque, on comprend qu'il y ait des étapes nécessaires. Un plan qui embrasse et lie le monde entier ne s'élabore pas et surtout ne se fait pas accepter, à l'encontre des aspirations communes, sans beaucoup de préparatifs et sans des circonstances favorables.
La guerre, la guerre totale surtout, crée sûrement une atmosphère exceptionnellement favorable. La guerre appelle des mesures de guerre. Les mesures de guerre, après avoir donné des résultats pour la période de guerre, sont considérées urgentes pour la période de rétablissement, puis finissent en grand nombre par entrer dans les mœurs ou au moins dans les lois permanentes.
Le financier apatride Moïse Sieff, et d'autres oracles du P.E.P. (Political Economical Planning) assurent que l'état de guerre est l'occasion idéale, peut-être la seule, pour enchaîner dans un plan des peuples qui, comme le peuple anglais, aiment la liberté.
Mais, avec toute la vitesse qu'ils y mettent, les grands bureaucratisants n'arrivent pas, même en quatre années de guerre, au bout de leurs desseins. De chaque guerre, le monde sort bien avec plus, beaucoup plus de bureaucratie enterrant les libertés sous prétexte de sécurité. Mais pour une entreprise d'envergure universelle, on commence à calculer qu'il faudra au moins une troisième guerre. Et encore !
Le complot satanique contre la liberté de la personne humaine réussira-t-il ?
On ne violente pas indéfiniment un être créé libre sans qu'il cherche à secouer le joug. Les amants de la liberté rebondissent toujours. Et ceux qui, comme les créditistes, voient de plus en plus clair dans le jeu diabolique, donneront jusqu'à la dernière once de leurs énergies pour y faire obstacle.