EnglishEspañolPolskie

Que nous vaudra la fin de la guerre ?

Louis Even le vendredi, 15 septembre 1944. Dans La politique

La peur de l'après-guerre

Phénomène étrange — la perspective de la fin prochaine d'une guerre longue et cruelle n'apporte pas une joie sans mélange.

Êtes-vous entré quelquefois dans un établisse­ment de la Commission des Prix ? Comptez les hommes, les filles, tout le personnel employé là, à manipuler les formules et les dossiers des permis, des rationnements, des plafonds de prix, des con­tingentements, et autres paperasses qui, même si l'objectif est justifiable, font perdre tant de temps précieux aux commerçants, aux hommes d'affaires et aux simples familles.

La même chose au Service Sélectif.

Qui tient à la perpétuation de ces établissements de contrôle ? Personne. Personne, excepté, sans doute, ceux et celles qui y trouvent leur salaire hebdomadaire ou mensuel.

Que vont devenir ces centaines d'employés de la bureaucratie, si la volumineuse bureaucratie intro­duite comme mesure de guerre disparaît lorsque reviendra la paix ?

Et les 800,000 employés des usines de guerre, donc ? Que vont-ils devenir si les gouvernements cessent de commander des obus, des canons, des chars d'assaut, des corvettes, des avions de guerre et autres articles de cette sorte ?

Et les 750,000 soldats ? Que vont-ils devenir si le gouvernement cesse de les habiller, de les nour­rir, de les loger, et de leur verser une solde quoti­dienne ?

Les gouvernements inquiets

Toutes ces questions préoccupent naturelle­ment les individus qui seront frappés dans leur gagne-pain par la fin des hostilités. Mais ces pro­blèmes préoccupent aussi les gouvernements qui sentent trop bien que, s'il faut sortir de la guerre pour retomber dans la misère de la crise, c'est la révolution à brève échéance.

Aussi voit-on les gouvernements chercher des solutions, consulter les faiseurs de plans, songer à maintenir les commissions de contrôle et tracer des programmes pour conduire le Canada en régi­me civil comme ils l'ont conduit en régime mili­taire.

Mais est-ce bien dans le goût des Canadiens, de continuer à subir des mesures d'interventions gouvernementales, d'enrégimentation, de bureau­cratisation, qu'ils n'ont acceptées que comme né­cessités désagréables appelées mesures de guerre ? Faudra-t-il introduire au Canada les manières des pays que nous avons combattus ?

Pourquoi donc, aussi, l'après-guerre cause-t-elle tant d'appréhensions ? Ne devrait-on pas se ré­jouir du retour de nos meilleurs bras et de nos meilleurs cerveaux à la production des choses uti­les ? Est-ce qu'ils ne vont pas être disponibles pour augmenter la richesse du Canada ? Est-ce que ces bras et ces cerveaux ne sont pas bienve­nus pour placer devant les consommateurs plus de bonne nourriture, plus de bons articles de tou­tes sortes ?

Et pourtant, encore une fois, les gouvernements sont inquiets, comme sont inquiets tous ces indi­vidus pour qui les cloches de l'armistice sonneront la fin d'un emploi de guerre.

La cause de la frayeur

Pourquoi cette terreur en face de moyens plus abondants pour augmenter la production utile du pays ?

C'est parce que, dans le monde moderne, ce qui compte, ce n'est pas tant ce que le pays peut pro­duire. Cela ne fait pas défaut ; c'est la moindre des difficultés. Notre Canada a prouvé qu'il peut produire pratiquement tout ce qu'en lui demande, à saturation de la demande raisonnable.

Mais ce qui compte bien davantage dans le monde moderne, c'est ce que l'individu peut ob­tenir de l'immense production offerte par son pays.

Voilà le problème qui tourmente bien des gens, bien des familles. Et parce que ceux qui sont ainsi tourmentés vont être de plus en plus nombreux après la guerre, les gouvernements sont à bon droit sur les épines.

Jamais, au grand jamais, une seule famille, une seule personne sensée ne se demande aujourd'hui si le Canada est bien capable de produire assez de blé pour elle. Pas une seule famille ne se demande si les manufactures du Canada sont capables de fournir assez de chaussures, assez de vêtements, pour chausser et habiller tous les membres de la famille.

Jamais, au grand jamais, un seul Canadien doute qu'il y ait assez d'espace et assez de maté­riel de construction au Canada, pour y bâtir une maison assez grande pour chaque famille.

Non. Non. Le problème n'est pas là. Personne ne se demande où seront les produits ; mais bien des gens se demandent où sera l'argent pour ache­ter les produits.

Personne ne se demande où l'on va trouver des travailleurs après la guerre ; mais tout le monde se demande où on va les mettre.

Les gouvernements n'ont pas du tout peur de manquer de bras après la guerre ; ils ont peur d'en avoir trop.

Quand des trous s'ouvraient béants pour en­gouffrer des vies, on pouvait se demander où trou­ver des soldats pour remplacer ceux qui disparais­saient. Mais quand le canon ne tonnera plus, ce ne sera plus la course aux hommes, ce sera l'effroi devant le nombre d'hommes disponibles.

Supplice infernal

Pourrait-on concevoir pareille stupidité si elle n'existait pas ?

Des romanciers ont inventé des situations de toutes sortes. Daniel de Fœ a écrit l'histoire d'un Robinson Crusoé, pour nous montrer les souf­frances, puis la débrouillardise d'un homme aux prises avec l'absence de production.

Mais quel auteur aurait jamais eu l'idée d'in­venter l'histoire d'une société aux prises avec l'a­bondance ? L'histoire d'un monde où les hommes ne peuvent manger à leur faim, parce qu'il y a trop de nourriture accumulée, où ils ne peuvent s'habiller, parce qu'il y a trop de vêtements qui les attendent ; où leur vie est misérable, parce qu'il y a trop de bras, de machines, de cerveaux offerts pour servir ?

Ah ! oui. Dans la peinture des tourments de l'enfer, on a fait le tableau de damnés se tordant de faim en face de tables chargées, parce que les démons maintenaient juste assez de distance en­tre la nourriture étalée et les damnés affamés, pour que les yeux voient, mais que les mains ne puissent saisir.

Quels démons ont donc transporté cette scène de l'enfer sur la terre des vivants, dans notre monde civilisé ? Quels démons ont donc condam­né notre monde à souffrir devant l'étalage de sa propre production, n'ayant bien le droit d'y tou­cher qu'à condition d'employer le meilleur de ses hommes et de ses jeunes gens à détruire hommes et choses ?

C'est la présence de ces démons-là dans notre économie, où ils guettent l'heure du retour à la paix pour recommencer leur jeu diabolique, qui cause les inquiétudes des futures victimes et des gouvernements qui craignent la révolte des victi­mes.

La liberté menacée

Dès que l'argent cesse d'entrer suffisamment dans les maisons, les gouvernements sont toujours prêts à s'en prendre à la liberté des personnes qui sont les victimes, jamais à la tyrannie qui gouverne le volume et les conditions de l'argent. Pourquoi ?

Les gouvernements seraient-ils donc à l'emploi de la tyrannie ? Recevraient-ils leurs ordres des bourreaux, alors qu'ils sont engagés et payés par les victimes ? L'affamation exaspérante par la sup­pression d'argent en face de l'abondance, aurait-elle justement comme but de faire accepter le carcan avec la promesse du râtelier ?

Prenons un exemple.

Cette année, un gouvernement découvre ce qui existait depuis toujours : que la société est faite de familles, que les familles sont composées d'hommes, de femmes et d'enfants qui doivent manger, se vêtir, se loger. Il s'aperçoit que, plus il y a d'estomacs dans une maison, plus il y faut de nourriture sur la table. Il constate par ail­leurs que les enfants ne gagnent pas de salaires, donc qu'ils n'obtiennent rien, sauf en privant leurs parents déjà assez maigrement pourvus.

La situation n'est pas nouvelle. Mais l'École Économique de Londres n'avait pas encore rendu son oracle. C'est venu avec le Plan Beveridge. Dès lors, les allocations familiales sont à l'ordre du jour.

Mais le gouvernement calcule que ça va pren­dre, disons, 200 millions de dollars par année pour alimenter les allocations familiales d'ail­leurs incomplètes. Il conclut : Il faudra donc d'a­bord tirer 200 millions du public, en taxes ou de quelque autre façon. Pour que les enfants privent moins leurs propres parents, il faut qu'ils privent le public. Priver toujours, et toujours en face d'une abondance dont on ne sait quoi faire.

Les démons dont nous parlions tout à l'heure ne sont pas dérangés. Les mesures de sécurité so­ciale, sous notre régime financier respecté, peu­vent répartir la rareté, mais elles maintiennent la rareté globale en face d'une abondance non dis­tribuée.

Puis le fédéral ajoute : Puisque c'est moi qui distribue les allocations, c'est moi qui vais taxer. Je vais donc me faire reconnaître le droit d'en­vahir le champ de l'impôt provincial.

Et voilà où mène la subordination à un plafond de chiffres artificiellement décrété, au lieu de se servir des belles réalités déployées par le pays.

Une fois l'argent pompé du public par les im­pôts, le gouvernement le redistribuera, mais à ses conditions, à la suite de ses enquêtes, de ses ins­pections ouvertes, et aussi à la suite des recom­mandations partisanes de ceux qui agissent com­me ses agents de discernement.

Plus il y aura de mesures de sécurité sociale sous un tel régime, plus il y aura de ficelles pour lier les bénéficiaires.

La solution créditiste

C'est en face de toutes ces parcimonies et de leur cortège de taxes épuisantes et de conditions vexantes, que le Crédit Social présente son programme de distribution de l'abondance, de maniè­re à garantir à tous et à chacun, périodiquement, au moins une part suffisante pour répondre au nécessaire. Et la seule condition pour avoir droit à cette part : être en vie.

Cette part ne priverait personne, elle n'ôterait rien au pouvoir d'achat actuel, puisqu'elle se base sur la surabondance faite ou possible qui embête tant les gouvernements aujourd'hui.

Il serait stupide, pour une compagnie qui, après avoir payé ses employés et toutes ses dépenses, réalise des surplus, de se désoler et de jeter ces surplus à la mer ou de fermer partiellement ses portes, afin de ne plus faire de profits.

Au contraire, elle va distribuer ses surplus en dividendes aux actionnaires. Puis continuer ses opérations de plus belle, à la grande satisfaction des salariés comme des actionnaires.

Pourquoi donc, quand un pays a des surplus, ne pourrait-il pas les distribuer, de quelque ma­nière, en dividendes à ses citoyens, au lieu de se lamenter et de se démener pour les expédier aux antipodes ?

Les démons de la scène infernale sont encore dans notre économie canadienne. Le Crédit Social les dénonce et veut les chasser de la structure éco­nomique et financière du Canada. C'est parce que les programmes les plus beaux de tous les partis politiques, anciens ou nouveaux, n'ont rien pour déranger ces démons, que l'Union Créditiste des Électeurs s'organise pour exiger leur expulsion de la vie économique et politique du pays.

Louis Even

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com