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Qu'attendre de la société ?

Jean Grenier le mercredi, 01 novembre 1944. Dans Réflexions

On sait généralement très bien ce qu'il faut attendre des affaires particulières. Par exemple, d'un manufacturier de chaussures, on attend la fabrication de chaussures capables de chausser les pieds. De la science médicale : qu'elle aide à en­tretenir la santé ou à la rendre à ceux qui l'ont perdue. D'un appareil de radio : qu'il nous per­mette d'entendre de la musique et des voix à des centaines et des milliers de milles de distance, en captant les ondes émises par un autre appareil.

Tout cela est du domaine particulier.

Mais que faut-il attendre du social, de l'orga­nisation de la société ? On est moins habitué à se poser cette question. Aussi, dans la pratique, tom­be-t-on dans bien des erreurs qui minent tout l'édifice social en le détournant de son but.

C'est une grande erreur, en effet, d'attendre de la société qu'elle règle les cas individuels. La société n'existe pas pour cela. Procurer des biens particu­liers, individuels, c'est le but des affaires particu­lières, non pas des affaires sociales.

Le but des affaires sociales est de procurer des avantages sociaux. C'est logique. Des avantages sociaux, qu'est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire qu'il faut attendre de la société que l'ensemble soit en si bon ordre que chacun puisse régler lui-même ses propres affaires à son goût. Il faut en attendre un grand cadre général, qui permette à chacun de faire son chemin plus facilement.

Un régime est donc vraiment social lorsqu'il procure des bienfaits généraux, dont chacun peut librement tirer profit. Mais si le social veut s'in­gérer dans le particulier, régenter les affaires in­dividuelles, il devient anti-social, il dévie de son but et gâte tout.

Prenez une société dans laquelle le gouverne­ment intervient pour régler la façon dont chacun doit employer ses activités, pour régler le genre de travail de chacun. Cette société-là est à l'envers, peu importe qu'on appelle le fait "dictature du travail" ou "service sélectif".

Prenez une société dans laquelle le gouverne­ment décide lui-même quelle quantité d'instruction et d'éducation chaque enfant doit recevoir, de quel âge à quel âge il doit aller à l'école. Cette société-là est encore à l'envers. Ce n'est plus de la surveillan­ce, mais de l'ingérence.

Prenez une société dans laquelle le gouverne­ment établit lui-même quelle quantité de produits chaque citoyen doit consommer et quelle sorte de produits, ou à quel prix doivent être vendus les produits de chacun. Cette société-là est encore à l'envers, parce que l'État s'infiltre dans le domaine particulier.

Prenez une société dans laquelle on ne recourt au gouvernement que pour obtenir un gagne-pain, un avantage personnel, une faveur du patronage ; cette société-là est encore bien à l'envers.

Prenez enfin une société socialiste, comme les C.C.F., et bien d'autres, cherchent à en établir une au Canada. Le gouvernement y gérerait lui-même les entreprises de production, les services de distri­bution. Cette société-là serait aussi une société à l'envers, qui n'atteindrait pas son but, peu importe qu'on appelle "nationalisation" ou "étatisation" la méthode pour y parvenir.

Aucun régime de ce genre ne peut être appelé avec raison un régime social.

Non ! Ce qu'on est en droit d'attendre de la société, c'est uniquement des conditions générales permettant à chacun de régler ses affaires par lui-même, selon son propre goût ; des conditions qui, dans le temporel, permettent à chacun de choisir lui-même ce qui lui convient pour vivre décem­ment, puisant à l'abondance de production et de services mis à sa disposition par la nature, l'indus­trie, la science et l'organisation sociale de la vie économique.

Jean Grenier

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