Dans un pays où la masse du peuple achète des obligations du gouvernement, qui donc sera débiteur, pour payer les intérêts à cette masse de créanciers ?
Mettons le problème sous une autre forme :
Si, par patriotisme ou sous des pressions difficiles à résister, à peu près toutes les familles canadiennes achètent des bons de la victoire, de quelles poches, après la guerre, sortira l'intérêt pour mettre dans les mains de toutes ces familles ?
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Pour trouver une solution assez juste, il faudrait avoir les faits exacts.
On en aura une idée en examinant le cas de "L'emprunt de la Liberté" souscrit en Australie. Comme c'est loin d'ici, nos remarques ne chatouilleront personne.
D'après le Mercury de Hobart (Tasmanie), du 19 juin 1943, M. Spender, M.H.R., a déclaré que 915 souscripteurs ont fourni près des trois quarts du total de l'emprunt. Par contre, 384,131 souscripteurs ont fourni en tout moins du dixième du total.
Il ajoute — ce qui ne doit surprendre personne — que les 915 gros souscripteurs étaient surtout des compagnies d'assurance et des institutions financières.
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Essayons maintenant de solutionner notre problème, en nous basant sur ces données australiennes, mais en parlant de piastres au lieu de livres sterling, pour être mieux compris.
Remarquons que 915 gros et 384,131 petits, c'est la même proportion que 1 gros et 420 petits. D'après M. Spender :
Sur chaque $100 de l'Emprunt de la Liberté, $75 sont fournis par un souscripteur unique ; $10 par 420 petits souscripteurs ; et les $15 qui restent par quelques gens de fortune moyenne.
La répartition des intérêts sera donc comme suit :
10 pour cent de l'intérêt iront à 420 petits, pendant que 75 pour cent de l'intérêt iront à un gros et 15 pour cent à des fortunes moyennes.
Tous paieront, puisque c'est le gouvernement qui verse l'intérêt.
Les 420 petits contribueront à payer l'intérêt, mais ils ne toucheront ensemble que 10 pour cent du total.
Le gros unique contribuera aussi à payer tout l'intérêt, et absorbera à lui seul 75 pour cent du total.
Les moyens contribueront aussi à payer tout l'intérêt et en recevront 15 pour cent.
Qui paiera l'intérêt ? Tout le monde.
Qui en bénéficiera ? Le gros pour la plus grosse tranche, pour les trois quarts du total.
Les gens de la classe moyenne fourniront peut-être à peu près autant qu'ils recevront. Ni avantagés, ni désavantagés.
Quant aux petits, ils se diviseront entre eux la toute petite partie. 420 fois plus nombreux, ils tireront en tout sept fois et demie moins. Autrement dit, chaque petit aura en moyenne 3,150 fois moins que chaque gros. Lorsque le petit recevra $1.00, le gros recevra $3,150.00.
Voit-on maintenant qui sont les débiteurs, et qui les créanciers ?
Mais il est probable que le petit, en contemplant la piastre qui lui vient du gouvernement, oubliera tout ce qu'on tire de sa poche, en taxes et en prix, pour fournir le magot de $3,150 au gros. Le petit se croira créancier alors qu'il est le véritable débiteur.
C'est-là un des résultats des emprunts "populaires" : camoufler, tout en l'accentuant, la concentration de la richesse ; puis aligner les exploités eux-mêmes à la défense d'un système qui les saigne, mais dont ils se croient les bénéficiaires.