Pierre marche dans le bois, le long d'une rivière. Voici, tout à coup, qu'il se trouve en face d'une belle chute d'eau. Le magnifique pouvoir électrique, qui est dans cette chute, pense Pierre. Il faudrait construire un barrage, installer des turbines et des fils au plus vite pour transporter ce pouvoir au village, qui en a besoin !
Construire un barrage, installer des turbines et des fils... Voilà beaucoup d'ouvrage pour un seul homme. Pierre ne pourra certainement jamais tout seul arriver au but.
Pas tout seul, non, mais avec d'autres.
"Allons en chercher d'autres", dit Pierre. Et Pierre retourne au village tout en joie. Il a découvert une richesse. Dans la rivière, il y a une puissance extraordinaire. Il ne s'agit que de dompter cette puissance, de la coordonner et de l'utiliser.
En entrant au village, Pierre rencontre Louis à qui il explique sa découverte. Mais, Louis est pris par ses problèmes de familles. Il écoute distraitement Pierre, et finit par l'interrompre en disant : "Tu me reparleras de ça une autre fois."
Et Pierre, déçu, continue sa route. "Tiens, voici Thomas !" Et, le récit recommence. Thomas, lui, n'est préoccupé par rien du tout, mais il est sceptique. Il se moque de Pierre. "Une utopie, ce pouvoir d'eau", dit-il.
Et Pierre, s'en va, moins enthousiaste. Vraiment, il croyait trouver plus de sympathie dans son village.
"Nul n'est prophète en son pays, se dit-il. J'irai au village voisin."
* * *
Pierre ne dort pas de la nuit. Pensez donc, il a trouvé un trésor ! Il en oublie tout le reste.
Le lendemain, il se lève de très bonne heure, et part pour le village voisin.
Il se rend tout de suite chez quelques-uns de ses amis, qui ne croient pas en lui non plus. Ils disent avoir déjà longé la rivière aussi, et n'avoir vu aucune chute.
Pierre est tout à fait déconcerté, lui qui avait retrouvé son ardeur de la veille.
Ni ses voisins, ni ses amis ne veulent l'entendre. Pourtant, il n'est pas fou, il a bien vu un trésor à exploiter. Qu'ont-ils donc tous ?
Et Pierre, doutant de lui-même, retourne à sa rivière et à sa chute, pour voir de nouveau.
Mais non, il n'a pas rêvé. C'est bien vrai. Oh ! qu'elle est belle encore aujourd'hui, sous les rayons de soleil ! Ces gros bouillons blancs, qu'ils contiennent d'énergie !
Oui, il avait raison, Pierre. Et son âme se reprend à vibrer. Oui, il retournera annoncer son évangile à ceux qu'il rencontrera. Il fera le tour du monde s'il le faut, mais il en trouvera bien quelques-uns qui voudront venir l'aider à sortir l'électricité de la rivière.
* * * *
Et Pierre, plein de son idéal, passe le feu qui le brûle à des âmes encore jeunes comme la sienne.
Il ne songe plus qu'à sa chute d'eau. Il oublie ses amis, qui en réalité ne furent jamais ses amis. Et il s'entoure d'une foule toujours grandissante, qu'il amène au bord de la rivière admirer le trésor.
Voyez-les tous qui regardent les richesses de leur pays. Entendez-les tous appelant l'organisation qui ordonnera les forces qui dorment là.
Ils sont trente-cinq mille chefs de famille représentant deux cent mille personnes.
* * * *
Trente-cinq mille qui désirent, ce doit être assez pour commencer la besogne.
Et Pierre qui a mûri son projet, et fait ses préparatifs, donne à chacun l'outil qu'il lui faudra pour faire le travail.
Mais, voici qu'une autre fois, le triage se fait. Sur les trente-cinq mille, onze mille seulement acceptent l'outil. Les autres disent qu'ils ne peuvent pas manier l'outil. Ils n'ont pas le temps, ou n'ont pas la force.
Onze mille qui sont prêts à s'atteler à la tâche ! Onze mille sur trente-cinq mille ! Pourquoi cette différence ? Pourquoi tant de monde qui désirent et si peu qui collaborent ?
Mais Pierre ne s'arrête pas à cet autre pourquoi. Il continue, lui, il est décidé à aller jusqu'au bout, jusqu'à la mort.
Mais, voilà bien encore que sur les onze mille qui tiennent l'outil, un grand nombre refusent de s'en servir. Et un autre grand nombre ne s'en servent pas autant qu'ils pourraient. Pourquoi donc ? Indifférence, paresse, lâcheté ou peur. Pourquoi donc tout le monde ne se sert-il pas de l'outil ? Pourquoi ?
Mais, Pierre qui commence à connaître les hommes ne s'en étonne pas davantage, et continue de conduire au succès ceux qui veulent.
Is réussiront malgré tous les lâcheurs.
* * *
Cette histoire, on la reconnaît, elle est celle du mouvement du Crédit Social dans la province de Québec.
D'abord, un homme qui trouve la vérité. Puis, qui la passe aux autres, dans le journal VERS DEMAIN.
Les trente-cinq mille abonnés à VERS DEMAIN réclament le Crédit Social comme les trente-cinq mille au bord de la rivière désirent le pouvoir électrique.
Sur ces trente-cinq mille, onze mille seulement qui prennent l'outil que sont les transferts de l'Association Créditiste.
Sur ces onze mille, pas tous se servent de l'outil qu'ils ont dans leurs mains.
Pourquoi pas trente-cinq mille sur trente-cinq mille ? Pourquoi pas ?