Les snobs sont faciles à trouver dans nos Chambres de Commerce, parmi ceux qui se piquent d'un cours classique tronqué ou non, dans les cercles où l'on juge de haut la plèbe qu'on voue à l'expiation pendant qu'on déguste du scotch, et dans d'autres milieux où seule une voix de scribe ou de docteur de la loi a des chances d'être prise au sérieux.
Les snobs haussent les épaules lorsque des créditistes alignent des arguments ; ils applaudissent lorsqu'un banquier économiste glapit ou ridiculise.
Si le premier maître du Crédit Social, le major Douglas, écrit dès 1918 : La fonction de la monnaie est analogue à celle d'un billet de chemin de fer, sauf qu'elle s'applique à tous les biens et services tandis que le billet ne s'applique qu'à un service de transport déterminé ; il est donc aussi absurde d'être privé de biens possibles à cause d'un manque d'argent, qu'il serait absurde de ne pouvoir prendre un train pourtant disponible, parce que la compagnie manquerait de billets — personne ne fait écho à ces paroles sensées.
Que le Times de Londres répète à peu près textuellement la même chose vingt-quatre ans plus tard, tout l'univers s'extasie : une économie nouvelle s'en vient, dit-on.
Les snobs font pitié. D'autant plus de pitié qu'ils se croient les luminaires de ce bas monde. S'ils n'éclairent pas tout à fait, pensent-ils, c'est parce que les humains ont un bandeau de péché sur les yeux.
Nous, les sans-façons du Crédit Social, qui n'avons pas plus de respect pour les bandits bien habillés que pour les vulgaires escrocs ; nous, les réalistes, qui pesons une phrase à sa substance, sans égard pour celui qui la prononce ; nous, les incongrus, qui crions chou sur un parcheminé dont le raisonnement titube comme la marche d'un ivrogne ; nous, les aventuriers, qui pénétrons sur des terrains de chasse réservés aux trustards de tous les domaines ; nous, les indisciplinés, qui rions des menaces autant que de ceux qui les profèrent — avouons que nous avons manqué de délicatesse à l'égard des pauvres snobs. Au lieu de condescendre à leur snobisme et de leur servir des plats à leur goût, nous les avons ou abandonnés à leur suffisance ou montrés du doigt comme des statues bien vernies mais dépourvues de cervelle.
Aujourd'hui, posons un acte méritoire de condescendance et reproduisons des remarques qui proviennent de la Fédération des Chambres de Commerce de l'Empire Britannique. Voilà qui est sonore. Il ne s'agit plus de petits créditistes faisant les docteurs sans doctorat. Ceux de nos lecteurs qui ne sont pas trop occupés pourront mettre leur habit de dimanche et porter la citation à leurs concitoyens qui ont le privilège d'être membres d'une chambre de commerce ou professeurs dans quelque école de hautes études. Ces paroles feront sans doute plus d'impression sur les snobs que les citations multipliées des encycliques papales.
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C'est aux Chambres de Commerce Associées de Nouvelle-Zélande que fut adressé le message de la Fédération des Chambres de Commerce de l'Empire Britannique dans lequel on relève ce qui suit :
"Des hommes de plus en plus nombreux réfléchissent sur ce que devra être la structure économique dans laquelle on entreprendra la reconstruction après la victoire. Le Times de cette semaine a publié deux articles... Le point le plus important, c'est que ces deux articles font écho à l'idée très répandue qu'il serait fatal, après la guerre, de vouloir revenir à la vieille économie de lutte commerciale acharnée (trade dog-fight). On se rend compte que toute reprise durable du commerce mondial exigera une nouvelle technique financière et une revision radicale de nos vieilles idées en finance et en économie.
"Une opinion grandissante juge que la production massive motorisée, les facilités de transport immensément améliorées et l'établissement de grandes amalgamations et combinaisons monopolistiques ont déjà détruit le vieux système économique. Ces développements ont produit sur nos idées en économie le même effet de désuétude que les chars d'assaut et les avions sur nos idées, notre formation et notre équipement militaires.
"En temps de guerre, les seules limites à la production sont les limites établies par les disponibilités en hommes et en matériel. La guerre est financée par des crédits qui, bien qu'émis par les banques sous formes de prêts, sont réellement du crédit national, tirant leur valeur non des stocks de métal précieux détenu par les banques, mais de la capacité du pays à fournir les biens et les services auxquels l'argent constitue un droit.
"L'opinion nouvelle soutient que nous éviterions les cauchemars des dépressions et du chômage, si nous adoptions franchement ces principes en temps de paix comme en temps de guerre et si nous faisions des changements en conséquence dans le système financier...
"Nous n'avons pas de chance de pouvoir régler nos problèmes d'après-guerre à moins de nous décider à traiter l'argent comme une technique de comptabilité, pour faciliter la production et l'échange des biens et des services, non pas comme une chose dont la quantité doive limiter le niveau des activités productives."
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Pour les créditistes, ces déclarations peuvent ressembler à du recuit. Mais pour les snobs, ce sont des oracles inédits.
Si, à la suite de ces remarques du Times et de la Fédération des Chambres de Commerce de l'Empire Britannique, le gouvernement de Londres instituait une économie créditiste, la grande presse mondiale dirait que le Times et la Fédération des Chambres de Commerce de l'Empire Britannique ont inventé le Crédit Social.
Mais ces vers-luisants de la onzième heure n'en sont pas encore là. La force des choses et des événements les contraint de penser à une comptabilité plus conforme aux faits physiques. Pas pour cela à une comptabilité qui assure à la personne la liberté en même temps que la sécurité. Ils admettront un argent en rapport avec la capacité productive, mais n'atteignant le consommateur que moyennant certaines conditions et certains règlements qui tiennent les hommes sous la dépendance de ceux qui auront le contrôle de la comptabilité.
Aussi ne les entendez-vous jamais parler de dividendes aux consommateurs, ils continuent de pivoter autour de l'emploi. Ils conçoivent une économie nouvelle qui occupe tout le monde sans fléchir, pas une économie qui libère.
Tout de même, les snobs feront bien de relire attentivement ces citations de pontifes en qui ils ont foi ; et s'ils n'ont pas été tout à fait sourds depuis dix ans, ils devront confesser dans leur for intérieur que les humbles créditistes voyaient plus clair qu'eux.