Ce qui suit concerne l'Angleterre, mais pourrait s'écrire, à peu près mot à mot du Canada, tant nous singeons Londres, ou plutôt, sans doute, parce que la même clique mène Londres, Ottawa, et combien d'autres ménageries ! C'est la reproduction d'une lettre de Glanville Carew, de Londres, publiée dans Le Progrès du Golfe de Rimouski :
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Il arrive très souvent que nous ne savons pas ce que veut la loi et nous ne savons même pas où la trouver. Il y a tellement d'articles de loi et tellement d'amendements qu'il est pratiquement impossible de tous les connaître. Ce fait a été commenté sur le banc avant la guerre et actuellement c'est plus vrai encore.
En général, autrefois, les lois étaient complètes en elles-mêmes. Tel n'est cependant pas le cas aujourd'hui. Des lois, de simples squelettes, ont été adoptées pour accorder à tel ou tel ministre ou à telle autre autorité le pouvoir de décréter des ordres... des ordres sans fin. Imaginez la joie du bureaucrate devant un tel état de choses.
Des ordres, des règles et des règlements, il doit y en avoir des milliers.
Les malins disent qu'un groupe de bureaucrates se réunissent chaque matin dans le Whitehall avant le déjeuner et alors l'un d'eux dit : "Que penseriez-vous de quelques nouveaux règlements, en ferons-nous aujourd'hui ?"
Cette administration par décrets de départements a eu pour résultat qu'aujourd'hui il est pratiquement impossible de savoir si l'on obéit bien à la loi, quoi que l'on fasse. Les hommes d'affaires et les compagnies se débattent sous une avalanche d'ordres et de règlements. Une véritable inondation de ces ordres ministériels s'appliquent à la fois aux questions financières et domestiques de chacun des citoyens de ce pays.
Certes il est possible que plusieurs de ces règlements soient devenus nécessaires à cause des conditions imposées par la guerre. Le problème est que nous sommes en danger d'être administrés, non seulement aujourd'hui mais aussi dans l'avenir, par des ordres bureaucratiques et appliqués par des fonctionnaires anonymes et sans responsabilités. Il ne serait même pas possible d'avoir recours contre leurs décisions. Un tel état de choses a déjà existé il y a quelques années et le juge en chef de l'Angleterre l'a décrit dans son livre intitulé : "Le Nouveau despotisme".
Cette description était juste alors et elle peut bien le devenir encore si nous, le public, ne prenons pas les moyens de faire disparaître cet état de choses immédiatement après la guerre. Ce ne sera pas facile. La tâche fut difficile il y a quelques années, mais elle le sera encore probablement davantage cette fois-ci, parce qu'autrefois on avait des bataillons de bureaucrates tandis qu'aujourd'hui ces bureaucrates ne forment pas seulement des divisions mais des corps d'armées.
J'ai déjà parlé des restrictions. Elles entraînent presque toutes les peines en cas de violation. Ce serait peut-être très bien si nous connaissions tous ces ordres et les peines qu'ils entraînent. Mais nous ne les connaissons pas et nous ne pouvons les découvrir qu'avec difficulté.
Prenons un exemple parmi un grand nombre de cas qui peuvent se présenter. Nous avons le rationnement du thé mais non pas du café. Les époux A et B achètent leur ration de thé. Comme toute bonne ménagère, Mme B achète aussi de temps à autre du café. Des deux boissons cependant ils préfèrent le thé et trouvent que leur maigre ration de deux onces par semaine ne leur suffit pas.
Les époux C et D, leurs voisins, achètent aussi du thé mais préfèrent le café. Pourquoi n'auraient-ils pas le droit de faire des échanges entre eux ? La consommation ne serait pas plus grande ; personne n'en souffrirait, pas même l'État. Toutefois si un voisin jaloux et bavard les dénonce, ils seront poursuivis en Cour et condamnés à payer l'amende. Cet état de choses ne tend qu'à faire naître une Gestapo amateur au sein de la population et qui l'empoisonne.
Un autre exemple : Le vicaire dans une certaine paroisse conserve sa ration de thé afin de pouvoir faire une fête aux enfants du village. Il a été menacé d'être poursuivi s'il réalisait ses projets !