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Notes sur Bretton Woods

Louis Even le vendredi, 01 février 1946. Dans L'économique

Organisme financier

Les accords de Bretton Woods établissent un organisme financier auquel sont invitées à colla­borer les nations qui n'ont pas été excommuniées par les alliés.

Les accords établissent un fonds monétaire in­ternational, brièvement appelé le Fonds, et une Banque internationale de prêts. Bornons-nous ici à parler du Fonds.

Le Fonds est composé des apports faits par les nations membres. Chaque nation a son quota à fournir, dont le quart en or et le reste en monnaie du pays.

Le Fonds montera à $8,800,000,000 (8,800 mil­lions de dollars), lorsque les 45 nations appelées à en être membres auront fait leur versement. La contribution du Canada est de 300 millions de dollars, dont 75 millions en or et 225 millions en argent canadien.

Le Fonds total se compose donc d'environ un quart en or et de trois quarts en toutes sortes de monnaies.

Le but déclaré du Fonds est quadruple :

    1. Fournir un mécanisme pour la consultation et la collaboration entre les nations, en ma­tières monétaires.

    2. Maintenir des relations de change ordonnées entre les monnaies des diverses nations.

    3. Éliminer le contrôle perturbateur du change dans les transactions internationales.

    4. Mettre à la disposition des nations-membres le moyen d'obtenir des crédits à court terme pour financer leurs achats à l'étranger.

En un mot, faciliter le commerce international, en formant un fonds commun qui puisse servir à acheter par n'importe quel pays dans n'importe quel pays, les divers argents du fonds faisant offi­ce, sinon de monnaie internationale, au moins de chambre de compensation.

On sait que la monnaie d'un pays ne circule pas bien dans un autre pays. Quand on va chez un marchand canadien, on ne le paie pas en francs, mais en piastres.

Le Fonds est une réserve commune, où les na­tions peuvent facilement et promptement trouver l'argent étranger qui leur manque en échange du leur propre.

*    *    *

Ainsi, supposons que la France achète des États-Unis. Elle doit payer en dollars américains, et non pas en francs. Pour payer en dollars américains, il faut en avoir. Pour en avoir, il faut vendre de la marchandise française aux États-Unis.

Or, la France peut avoir besoin momentanément d'importer beaucoup plus de marchandises des États-Unis qu'elle ne peut en exporter. Elle peut donc manquer de dollars américains. Va-t-elle se priver d'acheter ce dont elle a besoin des États-Unis, contribuant ainsi à la privation chez elle et à l'encombrement des produits puis au chômage aux États-Unis ?

Le Fonds est là pour éviter ce double malheur. La France va acheter du Fonds des dollars améri­cains, qu'elle va payer en francs français.

Comme le commerce international n'est pas seu­lement bilatéral, mais multilatéral, le mode de paiement est encore de beaucoup facilité par le Fonds.

Ainsi, la France, au lieu de payer les dollars en francs, peut très bien les payer en roubles russes si la Russie doit des roubles à la France.

Tout cela pouvait se faire et se faisait autrefois. Mais il fallait chercher. Il fallait se soumettre aux spéculations des courtiers en échange. Grâce au Fonds, les changes se font rondement et au pair. C'est une sorte de coopérative de change.

 Il y a beaucoup d'autres opérations financières possibles par l'entremise du Fonds.

Quelques commentaires

Tout cela paraît très bien. Et ce serait très bien si, pour commencer, l'argent de chaque pays était ce qu'il doit être et si le commerce international était réellement ce qu'il doit être.

L'argent d'un pays doit être l'expression de sa richesse réelle. Le commerce international doit être l'échange des surplus réels.

Rien de cela n'est.

L'argent d'un pays est ce que les contrôleurs privés du volume de l'argent veulent qu'il soit. On l'a vu abondant quand on manquait de produits, et on l'a vu rare quand on regorgeait de produits.

Et cela dans tous les pays du monde.

Groupez ensemble tous ces éléments désordon­nés, vous n'en ferez jamais un tout ordonné.

L'idée, concrétisée dans les accords de Bretton Woods, de lier l'argent de chaque pays à l'or, n'y change rien. Bien au contraire, la richesse n'est pas une fonction de l'or. L'or peut diminuer quand la richesse totale augmente, et il peut augmenter quand la richesse totale diminue.

Les accords de Bretton Woods ne stabilisent au­cunement la valeur des unités monétaires, c'est la valeur de l'once d'or qu'elles stabilisent. L'or avait perdu son privilège de produit commandant tou­jours la même valeur en unités monétaires ; les accords de Bretton Woods lui redonnent ce privi­lège.

Comme les États-Unis sont le pays détenteur de la plus grande partie de l'or, il n'est pas surprenant que le cachet or des accords de Bretton Woods soit venu des experts américains.

La stabilisation de la monnaie — du dollar pour les Américains, de la piastre pour les Canadiens, du franc pour les Français, de la sterling pour les Anglais, etc. — n'a pas du tout la même significa­tion pour les consommateurs qui s'en servent que pour les détenteurs d'or.

Pour celui qui possède de l'or, la piastre est sta­ble lorsqu'une once d'or lui procure toujours le même nombre de piastres.

Pour le public consommateur, la piastre est sta­ble lorsqu'elle achète toujours la même quantité de produits utiles.

Les accords de Breton Woods prennent la défi­nition du détenteur d'or, au lieu de prendre la défi­nition du public consommateur.

La monnaie sera stable pour le consommateur, donc pour le grand public, lorsque le nombre d'unités monétaires variera dans le même sens que le volume de la production, et cela n'a rien à faire avec l'or.

*    *    *

Les accords de Bretton Woods ne pourvoient donc pas à une monnaie saine, basée sur la pro­duction du pays où elle est émise, mais à une monnaie définie en grains d'or.

Ils accrochent l'argent de chaque pays au Fonds international, au lieu de le lier aux produits domestiques. Le Fonds devient l'autorité suprême pour surveiller la valeur (en fonction de l'or) de la monnaie de chaque pays membre. La nation qui voudra passer outre et régler sa propre monnaie sur sa propre production se verra, de par les règle­ments, exposée à un boycottage économique par les autres nations.

*    *    *

De plus, les accords de Bretton Woods n'intro­duisent pas du tout un commerce international sain. Ils cherchent simplement à faciliter le com­merce international malsain existant. Ils font du commerce international le grand facteur prédomi­nant de l'économie et aident à le financer.

Quant au commerce domestique, ce n'est plus qu'un sous-produit du commerce international, sous-produit qu'on laissera facilement aller aux égouts. Le commerce domestique ne vivra que si le commerce international lui apporte un peu de finance. Les accords de Bretton Woods empêchent de régler le volume d'argent de chaque pays pour financer adéquatement ses acheteurs domestiques.

Le commerce international devient l'exutoire pour débarrasser un pays des produits devenus in­vendables, invendables non pas parce que les gens du pays n'en veulent pas, mais parce qu'ils n'ont pas de quoi les payer.

On veut des débouchés à l'étranger, non pas parce que la population est saturée, mais pour que les ouvriers continuent de travailler quand la po­pulation ne peut acheter les produits qu'ils four­nissent.

Ce n'est pas à cause de surplus réels qu'on exporte, puisque la population n'est pas du tout satisfaite. On exporte pour tenir les nationaux occupés à produire, afin qu'ils puissent vivre, puis­que le revenu ne vient qu'en salaires au travail.

Ce règlement-là est universel, et il ne peut con­duire qu'à des frictions économiques et à des querelles entre les nations, malgré les accords de Bretton Woods.

C'est ce qu'a fait ressortir Walter Kuhl, à la Chambre des Communes, dans son discours sur Bretton Woods. On part de prémisses fausses, a-t-il dit, on ne peut arriver à une conclusion saine. Le mal n'est pas dans un manque de finance inter­nationale, il est pour chaque pays dans un manque de finance nationale.

Nous aimons beaucoup mieux ces objections très simples que les considérations sur les dangers que Bretton Woods apporte à la survivance de l'em­pire britannique. Nous admettons fort bien que les accords de Bretton Woods favorisent les pays créditeurs, et les États-Unis en sont, et qu'ils ne secourent nullement les pays débiteurs, et l'An­gleterre en est.

Les accords de Bretton Woods avantagent aussi le bloc du dollar et relèguent au second plan le bloc du sterling. Mais il y a bien des Canadiens que cela n'émeut guère et qui ne perdent point le sommeil du fait que l'empire britannique subit une éclipse.

Ce qui est plus grave, c'est que Bretton Woods consacre un système qui mène à l'impérialisme financier, et nous en parlons ailleurs (Page 6).

Louis Even

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