L'Union Créditiste des Électeurs, se croit assez puissante cette année pour présenter des candidats créditistes aux élections dans plusieurs comtés.
Les créditistes de ces comtés pourront se passer du conseil de M. Henri Bourassa. On sait que M. Bourassa disait à son auditoire au Palais Montcalm, le 21 mai : Votez Bloc, et là où il n'y aura pas de candidats de M. Raymond, votez C.C.F.
Dieu merci, il y a autre chose que le Bloc et que le C.C.F. dans la province de Québec.
Nous avons assez goûté à la bureaucratie, aux formules, aux enquêtes, aux inspections, et à toute la kyrielle du planisme, pour avoir le cécéeffisme en horreur.
Par ailleurs, nous sommes assez écœurés des partis politiques, nous les avons assez vus l'un après l'autre, même derrière des programmes mirobolants et pilotés par des hommes qui se canonisent de leur vivant, pour songer qu'il est temps de prendre une politique nouvelle : la politique des électeurs eux-mêmes.
Dans les comtés où nous aurons des candidats créditistes, les électeurs vont enfin avoir l'occasion de voter pour eux-mêmes, non plus pour des clans d'aspirants au pouvoir. Ils vont voter pour des choses concrètes et précises, qu'ils comprennent très bien : aussi concrètes, aussi précises, aussi compréhensibles, que l'assurance de trois repas par jour, d'un logement et de vêtements convenables, pour toutes les familles du Canada, tant que le Canada peut fournir en abondance la nourriture, le vêtement et l'espace et les matériaux pour bâtir des maisons.
Pour la première fois, les électeurs vont pouvoir voter pour que le gouvernement distribue un dividende national à tous et à chacun, au lieu d'avoir à voter pour qui taxera et gendarmera le pays en ne soignant que des amis ou des corrupteurs.
Les créditistes sont aussi patriotes que les plus forts-en-discours du parti né de l'anti-conscriptionnisme. Mais les créditistes ne sont pas des fous et ne se paient pas de mots.
Ils savent fort bien que ce ne sont pas les discours anti-conscriptionnistes qui ont manqué dans la province depuis vingt-cinq ans, et cela ne nous a pas donné grand'chose. Est-ce que le fait de changer de chanteurs change l'air de la chanson ?
Les créditistes savent aussi que ce, n'est ni la conscription, ni l'anti-conscription, qui a tenu toute une population dans la faim et le dénuement en face de greniers débordants et de magasins encombrés de produits pendant dix années. Ils savent aussi où est la cause des guerres, et où il faut porter les coups.
Les créditistes ne sont pas impérialistes. Mais ils savent bien que ce n'est pas le fait de faire une république canadienne indépendante qui va supprimer la misère en face de l'abondance. Les républiques de l'Amérique du Sud, la grande république des États-Unis, la métropole de l'Empire britannique elle-même, ont souffert de la même misère en face de la même abondance, et ça tenait à autre chose que l'impérialisme ou que le républicanisme.
Les créditistes de la province de Québec croient à la nécessité de favoriser l'épanouissement de la famille, mais ils ne sont pas des gogos, et ils savent bien que les discours de Raymond et compagnie n'y feront rien. Ils savent bien que le christianisme a été inventé avant le dérougissement du chef du Bloc.
Si la famille a été mal protégée jusqu'ici, ce n'est pas parce qu'on a manqué de baptisés dans les parlements, ni parce qu'on a manqué de production au pays. Mais c'est parce que le régime financier est fait pour lier les politiciens et paralyser l'écoulement des produits. Ce n'est donc pas le fait de remplacer des politiciens impuissants devant le régime financier par d'autres qui n'y veulent pas toucher, qu'on améliorera la situation de la famille.
Quelle peut bien être la différence entre Godbout, Duplessis et Laurendeau à Québec — ou King, Bracken, Coldwell ou Raymond à Ottawa — pour la mère de famille qui n'a pas d'argent dans la maison ?
Lorsque, dans une même enfilade, des politiciens drapés de blancheur nous parlent d'embauchage intégral et de politique familiale, les créditistes, qui ne sont pas hommes à "emplir", ne peuvent s'empêcher de sourire et de se demander si ces gens veulent nous berner avec des mots magiques.
L'embauchage intégral, on l'a eu à peu près pendant la guerre. N'est-ce pas qu'il en a fait un bel état de la famille ? Qu'on le demande à la famille qui vit dans la Beauce et dont le chef travaille à Arvida. Qu'on le demande aux foyers d'où, à six heures du matin, le père doit partir pour une usine, les grands garçons et souvent les grandes filles pour deux ou trois autres, pour toute la journée, quand ce n'est pas leur tour de faire la semaine de nuit.
Les créditistes ont adopté une autre formule que des discours sur la famille et sur l'embauchage intégral, ou que des tirades oratoires contre d'autres esclaves politiques du régime. Ils savent que, lorsque l'argent commencera dans les familles mêmes, d'après la capacité de production du pays, au lieu de commencer au crédit de grosses entreprises d'après le jugement du banquier, ce jour-là, et ce jour-là seulement, ce sont les familles qui pourront elles-mêmes dire au pays quoi produire pour elles.
Les créditistes savent, par ailleurs, qu'ils auront ce régime lorsque le peuple lui-même, organisé pour le réclamer, le réclamera, et non pas lorsque des candidats le promettront. Et ils s'organisent en conséquence.