Qui n'a eu l'occasion de constater la contradiction de ces journaux qui, en page éditoriale, dénonce le commerce de l'alcool et, au verso annonce des bières, des gins ou des brandys ? Lisez les bons conseils, mais ne tournez pas la page. Le journaliste vous dit bien de ne pas encourager les vendeurs d'alcool, mais son journal est content d'accepter une partie des recettes du vendeur d'alcool pour l'annonce destinée à promouvoir la vente.
Ou bien, c'est l'achat chez nous, sur lequel le rédacteur répand toute son âme de patriote. Ne tournez pas la page, vous y verrez étalée une belle annonce de l'Atlantic-Pacific : "Pour plus de vitamines, mangez des fruits et légumes A&P qualité supérieure garantie... Jouissez du café Bokar A&P moulu au goût..." On vous prêche l'achat chez nous, mais on est content d'avoir l'argent de l'adversaire pour vous pousser vers son magasin !
* * *
Voici encore. Un hebdomadaire du 20 août consacre une bonne partie de son premier éditorial à dénoncer le travail féminin dans les usines de guerre. L'article est très bien rédigé :
"On s'est illusionné en pensant qu'une femme vaut un homme à l'usine. Cela n'a jamais été, et cela ne sera jamais. C'est contraire au plus simple bon sens et il n'y a pas deux règles du bon sens, l'une pour les périodes de guerre, l'autre pour les périodes de paix. Il faudra bien que l'autorité civile ouvre les yeux un jour ou l'autre sur les désastreuses conséquences du travail féminin..."
Cela est écrit en page 3. Ne tournez pas à la 6. Vous y trouveriez une photographie avec le titre "Les Canadiennes au service de l'aviation". Et, en légende, sous la gravure : "...Le recrutement des femmes pour les services de terre de l'aviation est de plus en plus actif et leur participation à cet important service de guerre donne partout d'excellents résultats."
"Les désastreuses conséquences du travail féminin" d'une part. D'autre part, "la participation des femmes au travail de guerre donne partout d'excellents résultats."
Allez donc accommoder cela !
Et de nos meilleurs journaux, s'il vous plaît. Mais voilà : une place pour les idées, une autre pour la caisse. Dans la première, la plume est au service des principes ; dans la seconde, elle est au service de qui paie.
Presse libre ?
