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Matière ou esprit ?

le mardi, 01 décembre 1942. Dans Réflexions

On accuse les créditistes de matérialisme. Sous une forme ou sous une autre, l'accusation se ramène à dire : "L'argent ne change rien. Voyez : on en a plus pendant la guerre, et on n'est pas plus heureux. C'est l'esprit de l'homme qu'il faut changer d'abord."

Un homme dont la maison a des fondements pourris, aurait-il raison pour cela de considérer tout fondement comme inutile ? De même, sous un système monétaire vicié, on a beau augmenter l'argent, le vice demeure. Doit-on conclure qu'un argent plus social ne changerait rien ?

Un argent qui enchaîne

L'économie de guerre nous apporte de l'argent, mais non pas de bonheur. Rien de plus vrai.

Quand la première condition à la naissance de l'argent est de placer le pays et ceux qui l'habitent sous la tutelle des banques, chaque nouvelle piastre accentue notre esclavage. De plus, il faudra songer à rembourser, après la guerre, un intérêt non remboursable — sur un capital rendu improductif de par la nature même de son emploi. Ce n'est pas chose à bannir l'inquiétude.

Autre condition asservissante : actuellement, l'argent ne peut atteindre le consommateur qu'en échange de travail ou de service. Qu'importe le progrès ou la surabondance de production, le travail doit augmenter autant que le revenu. D'où, dans les cadres d'un tel système, un revenu complet, intégral, ne peut être réalisé que par "l'embauchage intégral".

Tout observateur connaît les effets de "l'économie-travail" dans une ère d'abondance et de production motorisée :

   1) D'abord, on dirige les hommes vers la production des biens de capital (ou des engins de mort, en temps de guerre), sans augmentation simultanée des objets consommables. Mais aussitôt, les déboursés des producteurs envers leurs salariés augmentent, entraînant par le fait même une hausse du prix de revient. C'est l'inflation qui entre en jeu, et contre laquelle il faut lutter par des plafonnements ou d'autres règlements dictatoriaux.

    2) Puis, l'augmentation des biens de capital conduit inévitablement à une augmentation ultérieure des biens de consommation. De nouveau, on constate une déficience de pouvoir d'achat, une déflation des prix, plus néfaste que la première. On est ainsi enfermé dans un cercle vicieux, où sont engendrées périodiquement les crises cycliques, épouvantail des grands économistes.

    3) Enfin, voici, pour tous ceux qui prêchent la réhabilitation de la famille, mais pensent réaliser cette réhabilitation sans corriger le vice monétaire : Lorsque tout argent est lié à l'emploi, nécessairement la famille se désagrège. C'est ce qu'on a aujourd'hui. A-t-on songé que si le père se fait soldat, la mère et les filles "ouvrières de mort" dans les arsenaux, et si les jeunes enfants deviennent des orphelins dans des pouponnières, c'est justement dû à ce fait que tout argent doit être gagné ?

 Inquiétude, asservissement, aventurisme économique et sabotage des foyers : ce ne sont, certes pas, des indices de bonheur. Mais la cause en est-elle l'augmentation de l'argent, ou la façon dont on l'augmente ?

Un argent qui libère

Si l'on veut un homme heureux, qu'on commence par lui permettre d'user pleinement de ses facultés humaines. L'homme diffère de la bête par son intelligence et par sa volonté libre. Pour instaurer un régime humain, différent de celui de bêtes, il faut donc d'abord garantir à l'homme sa liberté économique. N'est-ce pas ce que dit Léon XIII dans Rerum Novarum :

"L'homme embrasse par son intelligence un infinité d'objets, et aux choses présentes il ajout et rattache les choses futures ; il est, d'ailleurs, le maître de ses actions ; aussi, sous la direction de la loi éternelle et sous le gouvernement universel de la Providence divine, est-il en quelque sorte à lui même et sa loi et sa providence. C'est pourquoi il
a le droit de choisir les choses qu'il estime les plus aptes non seulement à pourvoir au présent, mais encore au futur."

Choisir les choses qu'il estime les meilleures voilà bien en quoi consiste la liberté économique. Mais dans un siècle où le progrès diminue le travail humain tout en augmentant la production, la liberté économique ne peut s'acquérir que par une augmentation du revenu de l'homme en proportion, non plus de son travail, mais des surplus de production inutilisés.

C'est ce que propose le Crédit Social, par un dividende gratuit à tout le monde.

Qu'on y réfléchisse bien, et l'on verra dans le dividende du Crédit Social une condition nécessaire à la liberté économique exigée par le Pape.

Le revenu de chaque famille augmenterait au prorata de ses membres, sans obliger ces dernier à se disperser, au détriment de la famille, pour gagner la permission de vivre.

De plus, quand l'argent naît, sans dette, du côté consommateur, c'est ce côté qui est libre d'en faire l'usage qu'il veut. Or, on sait que tous les hommes sont consommateurs. C'est donc tous les hommes qu'on libère, en émettant l'argent de cette façon c'est-à-dire chaque homme, par le fait même qu'il est homme.

Une doctrine intégrale

Une courte méditation sur les mots qui précèdent révélera où se trouve le matérialisme : dans notre système actuel ou dans le Crédit Social ? Ce dernier, comme on l'a vu, considère l'homme tout entier, non seulement sa vie sensible, mais aussi ses facultés spirituelles, et j'ajouterai : surtout celles-ci. Est-ce là du matérialisme ?

Avant de dénigrer la doctrine créditiste, pourquoi ne pas se donner la peine d'en considérer impartialement tous les aspects, par amour pour la vérité ?

Jean GRENIER

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