De nouveau, le mot conscription est déployé dans le ciel politique du Canada. Et de nouveau, les passions s'élèvent, les haines s'allument, les politiciens jouent leur violon. Les uns sont pour, les autres contre, mais à peu près tous cherchent à tirer parti de leur attitude pour se ménager des votes.
Quelle position l'Union Créditiste des Électeurs de la province de Québec, et l'Association Créditiste du Canada, vont-elles prendre dans la controverse actuelle entre la conscription et le volontariat ?
L'Association Créditiste du Canada, groupement organisé de tous les créditistes du Canada pour promouvoir le mouvement du Crédit Social, n'a jamais été organisé pour s'occuper de questions externes au Crédit Social.
Notre Association n'est pas du tout un parti politique. Dans les partis politiques, le principal but est de prendre ou de conserver le pouvoir, les membres sont unis, par discipline, sur presque toutes les questions qui s'élèvent dans la politique. C'est un peu ce qui explique les trahisons reprochées à des représentants du peuple. Pour ne pas compromettre leur parti, les intérêts du parti, ils trahissent la volonté de leurs électeurs.
La magnifique philosophie du Crédit Social, l'épanouissement de la personne, ne peut pas servir à des combines d'intérêts politiques. Il est impossible, au nom du Crédit Social, de demander à des personnes de renoncer à leurs opinions, ou de demander à des représentants du peuple de se prononcer contrairement aux vues de leurs électeurs.
Quiconque voudrait faire servir le Crédit Social à cette diminution des droits de la personne, profanerait le nom même du Crédit Social et serait dénoncé par tous les véritables créditistes du pays et du monde entier.
C'est ce qui a été compris par les créditistes réunis à Toronto, s'il faut en juger par la plate-forme adoptée à l'unanimité le dernier jour de la Convention.
Cette plateforme en sept points est circonscrite à la doctrine même du Crédit Social, et se termine expressément par cet article :
"7. Chaque membre de l'Association Créditiste du Canada respecte la liberté individuelle de chaque autre membre, sur tous les sujets qui ne se rapportent pas ou ne sont pas liés aux principes du Crédit Social, reconnaissant ainsi le principe de la liberté politique individuelle en parole et en action."
La conscription est-elle un principe du Crédit Social ? Pas du tout. Et il n'en est pas question dans une seule ligne de la plateforme créditiste. Cette plateforme commence même par cette phrase
"1. L'Association Créditiste du Canada déclare qu'il y a deux politiques dans le monde d'aujourd'hui — celle de la contrainte (compulsion) et celle de la persuasion (inducement). Seul, le Crédit Social préconise la persuasion dans tous les domaines de notre vie politique et économique. Tous les autres préconisent la contrainte."
Ce n'est pas là une philosophie de conscription ni d'obligatoire, mais bien plutôt le contraire.
En tout cas, la question de la conscription ou du volontariat pour le service outremer n'a rien à faire avec le Crédit Social.
On peut professer le plus pur Crédit Social aussi bien dans la province de Québec majoritairement anticonscriptionniste que dans l'Alberta ou la Colombie majoritairement conscriptionnistes ; en Irlande neutre autant qu'en Australie participationniste.
Les créditistes de la province de Québec sont généralement, pour ne pas dire tous, opposés à la conscription. Mais ce n'est pas parce qu'ils sont créditistes. Ils étaient opposés à la conscription
avant d'être créditistes, et ils ont continué de l'être depuis. Ils y sont opposés pour des raisons externes au Crédit Social, pour des raisons communes aux non-créditistes aussi bien qu'aux créditistes de leur province.
De même, les créditistes de l'Ouest sont généralement en faveur de la conscription. Mais ce n'est pas parce qu'ils sont créditistes. Ils favorisent la conscription pour des raisons externes au Crédit Social, pour des raisons qu'ils partagent en commun avec les libéraux, les conservateurs, les C.C.F. et les autres de leur voisinage.
Quant aux députés, notre opinion bien connue en politique, c'est que, en démocratie, le député doit être le représentant de ses électeurs.
Si les électeurs des dix comtés qui ont un député créditiste à Ottawa sont en faveur de la conscription, leurs députés doivent exprimer ce point de vue au Parlement, ou bien ils sont infidèles à leurs électeurs. En votant conscription parce que leurs électeurs sont pour la conscription, ces députés ne font qu'accomplir leur devoir. Mais ils ne sont certainement pas autorisés à donner ce vote au nom du Crédit Social, puisque, encore une fois, ce n'est pas le Crédit Social qui fait leurs électeurs conscriptionnistes.
Dans notre province, au contraire, au moins dans la plus grande partie de notre province, un député qui voterait pour la conscription, qu'il soit libéral, conservateur, bloc, créditiste ou indépendant, trahirait ses électeurs.
Avant de changer l'attitude des députés sur cette question, comme sur n'importe quelle autre, il faudrait commencer par changer l'attitude des électeurs, ou bien agir anti-démocratiquement.
Ces notions sont claires comme cristal. Si elles étaient comprises, on n'assisterait pas à des explosions de colère ou à des ruptures d'amitiés, comme on en est témoin.
Jusqu'ici, seule la province d'Alberta a des députés créditistes à Ottawa. Ils ont donc des opinions assez unanimes même sur des questions extérieures au Crédit Social, comme la conscription. Mais cela ne veut pas du tout dire que, si d'autres provinces, la nôtre par exemple, avaient aussi des députés créditistes à Ottawa, ils seraient toujours du même avis que ceux de l'Alberta.
Ce point-là est bien admis par les créditistes qui se servent de leur jugement. Lorsque M. Grégoire et moi-même avons rencontré neuf des dix députés créditistes à Ottawa, quelques minutes avant l'ouverture de la session, ils ont été unanimes à nous dire : Si, par exemple, vous étiez en Chambre à cette session, vous seriez parfaitement libres de parler et de voter autrement que nous, car il ne s'agit pas de Crédit Social.
Toutefois, à cause de l'habitude qu'a le public de voir tout en termes de partis politiques ; et aussi à cause de la mauvaise foi de journaux ou de politiciens prêts à généraliser pour nuire, les hommes publics de notre Association qui se prononcent sur de telles questions feraient bien de souligner eux-mêmes qu'ils ne parlent pas au nom de l'Association Créditiste du Canada.
Cette circonspection s'impose particulièrement aux chefs créditistes, soit au fédéral soit dans les provinces. Ils ne sont nullement autorisés à parler au nom du groupe entier sur des sujets étrangers à la plateforme strictement créditiste. S'ils donnent leur opinion, la prudence leur commande, plus encore qu'aux simples députés, de spécifier qu'ils ne parlent qu'en leur nom personnel.
Dans une assemblée publique à Victoria, dans une autre à Edmonton, puis à la Convention provinciale des créditistes d'Alberta, M. Low a fait allusion à la question de la conscription. Aux trois fois, les journaux y ont fait écho, et les créditistes de notre province s'en sont émus.
On fera bien de remarquer d'abord que les journaux n'ont point rapporté les déclarations complètes du leader créditiste. Il y a des phrases qui, séparées du reste, peuvent sinon comporter une autre signification, au moins prendre une importance disproportionnée.
Tel journal, l'Action Catholique de Québec, par exemple, qui n'a pas trouvé à écrire une seule ligne sur le congrès créditiste provincial tenu à Québec et Loretteville il y a quatre mois, avec la présence de M. Low sur les lieux pendant trois jours, trouve moyen aujourd'hui de citer des paroles prononcées par M. Low à l'autre bout du pays. Que penser de cette attitude d'un journal qui prêche toutes les vertus ?
Nous avons communiqué avec l'Hon. Solon Low, par lettre-avion et par télégramme, et il nous a répondu par les mêmes voies.
M. Low se considère plutôt Serviteur No 1 que chef du mouvement créditiste. S'il a parlé, c'est pour obéir à la demande générale qui lui a été faite là-bas. Il a cru exprimer, dit-il, les vues de la majorité. Toutefois, la majorité ne lie pas la minorité dans notre Association. Il rappelle que chaque organisation provinciale est autonome. C'est garanti par notre constitution.
Puis M. Low ajoute :
"Le peuple du Québec ne partage pas les vues exprimées par la majorité des Canadiens sur la question de la conscription. Sans entrer dans les raisons qui le motivent, c'est un fait dont vous avez à tenir compte. En conséquence, vous devez désolidariser l'organisation créditiste de la province de Québec des vues exprimées dans mes déclarations, si elles ne reflètent pas les désirs de votre peuple. C'est à la fois votre droit et votre devoir."
C'est ce que nous avions déjà fait. Ce numéro de Vers Demain ne laisse aucun doute sur ce point.
Nous ne devons pas du tout chercher à susciter de la mésentente, mais au contraire à tenir l'Association dans le domaine qui est le sien.
C'est le grand philosophe Jacques Maritain qui écrit qu'il faut distinguer pour unir.
L'union a pour but de renforcer, non de diminuer. C'est par choix libre que nous nous unissons pour le Crédit Social. Mais s'il fallait, à cause de cela, perdre le choix à la décision sur d'autres questions, ce ne serait plus de la liberté. Supprimer la liberté de choix, c'est diminuer la personne.
Gardons notre tête sur nos épaules. N'acceptons pas qu'on nous l'enlève, mais ne la jetons pas nous-mêmes à la mer.
Les créditistes des autres provinces et nous continuerons à nous donner la main dans la grande lutte, plus longue, plus dure et de plus vaste portée que les deux grandes guerres mondiales ensemble.
Mais dans les questions externes, comme dans la question épineuse de la conscription, nous devons les laisser entièrement libres de leurs opinions, et ils doivent nous laisser entièrement libres de la nôtre.
Puis, nous nous défierons des journaux et des partis politiques qui n'ont jamais compris ce genre de liberté en politique. Ils s'efforcent de diviser nos rangs ; en tirant des conclusions par un raisonnement qui ne s'applique que dans le cas de vulgaires partis politiques comme les leurs, pas du tout dans le cas de l'Association Créditiste du Canada et de son membre provincial autonome, l'Union Créditiste des Électeurs.