Comme on a pu le lire dans le dernier numéro de Vers Demain, le 20 février dernier, le député provincial de Shefford, apprenait à ses électeurs, sans y mettre de précautions, que dans les cercles gouvernementaux, on est à étudier le projet de supprimer les commissions scolaires rurales, pour les remplacer par de plus grosses unités territoriales.
Par exemple, dans un comté comme Roberval, au lieu d'avoir une commission scolaire à St-Augustin, une autre à Ste-Monique, une autre à Ste-Jeanne d'Arc, une autre enfin dans chacune des deux douzaines de paroisses du comté, on pourrait avoir une seule commission scolaire dans tout le comté.
La commission unique pourrait avoir son siège dans la ville de Roberval et être composée de six commissaires élus par les contribuables de tout le comté. Elle administrerait toutes les écoles du comté, et engagerait les instituteurs et les institutrices.
Si la commission scolaire représente quelque chose, elle représente les parents pour ce qui est de la fonction de procurer à leurs enfants les avantages de l'instruction scolaire.
Les commissaires sont les représentants, les parents sont les représentés.
Quand est-ce que les représentants sont mieux connus des représentés : lorsqu'ils vivent dans la même paroisse, ou lorsqu'il sont à quarante ou 50 milles ?
On en a assez l'exemple dans les élections provinciales ou fédérales. Qui connaît les candidats parmi les dix ou vingt mille électeurs d'un comté ? Qui les déloge pour les placer devant le public ? Qui mousse leur candidature ?
Si, au lieu de cinq ou six commissaires par paroisse, choisis par leurs co-paroissiens, vous n'en avez que six par comté, choisis par on ne sait qui et élus par le vote des gens qui ne les connaissent pas plus qu'ils ne connaissent le gendre du maire de Vancouver, aura-t-on, démocratiquement, gagné ou perdu à la transformation ?
Plus un territoire est grand et peuplé, en matière d'élection, plus la cabale et la machine électorale sont maîtresses.
Voici maintenant, supposons, des parents de St Augustin mécontents de la conduite de leurs écoles locales, ou témoins de l'incompétence d'une de leurs institutrices. À qui vont-ils se plaindre ?
Actuellement, c'est vite fait. La commission scolaire est sur place. Mais quand elle sera à 55 milles ?
Ils pourront écrire. Oui, mais on sait ce que valent les plaintes envoyées par écrit à une bureaucratie qui n'est pas à la porte.
Là encore, c'est le cas de dire que plus l'administration est éloignée, plus les administrés ont de difficultés à se faire entendre. Tellement de difficultés et de délais qu'ils y renoncent et subissent en maugréant.
Mais, pour ce qui est des taxes à payer, n'ayez crainte. La distance n'y changera rien. Vous serez pompés aussi efficacement par une bureaucratie éloignée que par une bureaucratie rapprochée. Aussi efficacement, et souvent plus brutalement.
Le fisc a le bras long. Il atteint partout. Et plus il allonge son bras pour explorer tous les coins, moins il a de cœur pour les cas malheureux.
Une commission centrale éloignée tue l'esprit de famille, ou même l'esprit tout court. Les règlements deviennent inexorables, les cas particuliers disparaissaient, c'est le moule commun et l'irresponsabilité des exécutants.
Mais pourquoi donc chercher la suppression des commissions scolaires rurales ? Est-ce que les cultivateurs ne sont pas capables d'administrer eux-mêmes les écoles de chez eux ?
En pays de colonisation, que voyons-nous ? Les commissions scolaires existent bien avant les conseils municipaux. C'est la première institution démocratique des colonies.
Et cela se comprend. Avant d'avoir des rues, des trottoirs, des aqueducs, des égouts collectifs à construire et entretenir, les bâtisseurs de pays ont des enfants à élever et à instruire.
Il nous semble que les corporations scolaires, filles aînées de nos paroisses, doivent rester chères à nos populations.
Nos commissions scolaires savent s'administrer — même nos commissions scolaires des colonies. Évidemment, elles peuvent avoir besoin de l'aide des gouvernements au point de vue argent, parce que les piastres ne poussent pas comme le travail. Mais ce n'est pas une raison pour leur ôter leur autonomie.
C'est pourtant la raison de finance que font valoir ceux qui parlent de centraliser. Il y a des commissions pauvres, disent-ils, d'autres moins pauvres, d'autres plus riches. En les mettant ensemble, le niveau général sera meilleur.
C'est exactement comme cela que raisonnent les communistes.
Depuis quand est-il impossible de mieux distribuer la richesse sans fondre toutes les classes dans un moule commun ?
Puis, comme nous l'écrivions déjà le 1er février, pourquoi l'argent n'est-il pas surtout chez ceux qui créent la richesse la plus nécessaire à l'humanité ?
Parce que l'argent fuit les campagnes où l'on produit ce qui soutient la vie, et se concentre dans les villes où l'on exploite les hommes, va-t-on supprimer les administrations rurales et rendre hommage à la concentration de l'argent en concentrant le pouvoir ? Ce serait baisser pavillon devant un désordre.
L'autre solution, c'est la décentralisation de l'argent, et c'est ce que l'Union des Électeurs demande dans son "programme d'après-guerre" exposé au verso de cette page.
Faire revenir l'argent aux hommes, au lieu de diminuer les hommes parce que l'argent les a quittés.
En attendant que l'argent soit revenu avec les hommes, jusque dans les campagnes les plus éloignées des monstres industriels, le gouvernement doit continuer ses octrois aux commissions scolaires rurales, mais ces octrois ne doivent pas être un accroc à la liberté de ceux qui les reçoivent.
Le régime qui a laissé l'argent déserter les travailleurs du sol se doit de compenser les travailleurs du sol en attendant qu'il ait rétabli l'équilibre brisé.
Nous applaudissons à l'augmentation substantielle des crédits à l'éducation, inscrits au budget provincial de cette année. S'ils vont réellement aux ramifications de l'organisme scolaire, s'ils apportent un soulagement financier sans lier ni des individus ni des groupes, ces crédits sont une petite réparation d'un immense désordre.
De l'aide financière aux municipalités rurales, oui. Leur disparition, non.
Décentralisation des piastres, oui. Centralisation des pouvoirs, non.
À la même occasion où il disait à ses électeurs que la suppression des commissions scolaires rurales est un projet à l'étude, le député de Shefford ne s'est point gêné pour déclarer que ce projet était conforme à ses propres idées (s'il en a d'autres que celles dictées par le parti). Il a même dit carrément que, quand même la majorité de ses électeurs s'y opposerait, il voterait en sa faveur. La consigne est sans doute déjà donnée.
La manière ordinaire pour les députés de voter à leur tête, ou mieux selon la tête du parti, à l'encontre même des désirs de leurs électeurs, c'est de ne pas s'occuper du tout de ce que veulent leurs électeurs.
Élus par la machine électorale, ils ne se sentent d'obligation qu'envers la machine électorale.
C'est ainsi que, l'année dernière, le Parlement de Québec nous a donné la loi de la scolarité obligatoire.
Personne, d'habitude, ne demande à être lié par de l'obligatoire. Ou la scolarité répond aux désirs du peuple, ou elle n'y répond pas. Si elle y répond, pourquoi insulter le peuple avec pareille loi ? Si elle n'y répond pas, pourquoi la loi vient-elle de ses représentants ?
Les gouvernements nous apportent souvent ainsi une législation qui n'a point du tout fait partie du programme électoral soumis à l'approbation du public.
Fut-il bien souvent question, en 1939, sur les tribunes des candidats libéraux, d'adopter, s'ils étaient élus, une loi de la scolarité obligatoire ? Il fut question de bien autre chose, dont on n'a pas encore vu l'ombre.
À remarquer aussi qu'au Parlement, et même en dehors du Parlement, des gens qui sont très éloquents pour vous parler en faveur du corporatisme n'ont aucun scrupule d'ignorer totalement les corporations scolaires en matière d'écoles. La contradiction est au moins étrange.
Aussi, les électeurs qui commencent à s'organiser pour avoir un gouvernement qui s'occupe d'eux au lieu de s'occuper d'influences externes, prennent les moyens de faire pression sur leurs représentants.
Nous avons sous les yeux le texte d'une formule que des électeurs alertés et organisés envoient à leur député provincial, avec toute une liste de signatures locales. Il se lit ainsi :
Nous, vos électeurs,
1) nous sommes fortement opposés à la suppression des commissions scolaires rurales ;
2) nous réclamons que les commissaires d'écoles, élus par nous, soient consultés à chaque fois qu'à l'Assemblée Législative, il sera question de nouvelles lois concernant les écoles — contrairement à ce qui a eu lieu l'an dernier à l'occasion de la scolarité obligatoire.
Nous comptons, monsieur le député, que vous voudrez bien ne pas voter contre notre volonté, à l'Assemblée Législative.
Quel peut être l'effet de telles adresses des électeurs à leurs députés ? M. Bullock disait à ses électeurs qu'il passerait outre à l'expression de leur volonté. Mais monsieur Bullock avait sans doute à l'esprit un électorat comme il en a toujours connu dans le passé.
Si les pressions se multiplient, si elles rallient un nombre croissant d'électeurs, nos politiciens seront obligés, soit de constater qu'il faut agir autrement avec un public qui prend conscience de lui-même, soit de renoncer à briguer ses suffrages à l'avenir.
L'Union des Électeurs pratique cette politique de pression. Elle la croit plus saine et plus efficace que la politique de division et de cabale des partis politiques. Et plus l'Union des Électeurs sera forte, plus sa pression portera des fruits.
L'Union des Électeurs ne peut évidemment s'occuper que des choses qui rencontrent la volonté générale. Nous croyons que le maintien de nos commissions scolaires rurales est de ces choses-là.