Quatre élections municipales, toutes le 1er février, ont spécialement attiré l'attention des créditistes, et les lecteurs de "Vers Demain" attendent certainement quelques commentaires. L'une de ces élections avait lieu dans le sud : Drummondville ; les trois autres dans le nord : Malartic, Val d'Or et Rouyn.
De la part de l'Union des Électeurs de Drummondville, l'entreprise était audacieuse. Dans le territoire couvert par l'élection, "Vers Demain" ne compte qu'un abonnement par neuf familles. Le candidat créditiste à la mairie a obtenu un vote sur sept. Remarquer que les propriétaires votent deux fois, et que la majorité de nos abonnés ne sont que locataires.
Si la proportion de l'abonnement signifie quelque chose, il faut croire qu'avec un abonnement quadruplé, les résultats pourront être différents.
Mais il y a autre chose : l'organisation.
Nos créditistes ont fait, là comme ailleurs, une magnifique campagne éducationnelle, quand les adversaires ne faisaient qu'une campagne de dénigrement. Mais les adversaires avaient une machine électorale et des moyens que nous n'avons pas.
Les adversaires ont accusé les créditistes de suivre une inspiration étrangère ; à preuve, disaient-ils, les circulaires imprimées à Québec ; à preuve encore, la venue de M. Grégoire pour une conférence à une assemblée de l'Union des Électeurs l'avant-veille de l'élection. Ce qui n'a pas empêché les adversaires de faire venir, comme orateur principal, la veille de l'élection, à leur propre assemblée publique, Auguste Boyer, un des lieutetenants de Maurice Duplessis. C'est la machine bleue qui était au service du Dr. Garon et de son groupe.
Quant aux, circulaires de l'Union des Électeurs, celles de caractère général furent imprimées collectivement à Québec, parce que le message était le même aux quatre places. Mais toutes les circulaires de caractère particulier, répondant aux attaques des adversaires locaux, furent rédigées et imprimées dans les villes respectives.
Puis, qu'est-ce que cela peut faire ? Nous voudrions bien savoir si, sur la table du Dr. Garon, il n'y a que des viandes, des fruits et des légumes sortis des trottoirs et des chaussées de sa ville.
Les feuilles d'impôt sur le revenu, que doivent religieusement remplir les citoyens de Drummondville — où sont-elles imprimées ?
Mais allez donc raisonner avec des gens qui ne connaissent pas d'autre argument que le ricanement et l'injure.
Le jour de l'élection, les créditistes se sont contentés de voter ; aucune organisation pour transporter les électeurs et solliciter leur appui par les moyens de dernière-minute, si chers à ceux qui ne songent au peuple que ce jour-là.
À Malartic, la défaite des candidats créditistes est plus surprenante qu'à Drummondville, car la population y est majoritairement créditiste. Mais. il ne faut pas oublier qu'à Malartic, seuls les propriétaires votent. Plus, toutefois, dix-sept locataires qui ont ce privilège du seul fait de posséder un chien : la taxe sur le chien les rend citoyens complets.
Le travail préliminaire des créditistes à Malartic fut excellent. L'assemblée publique où parla M. Even le 30 janvier, remplit la salle publique à déborder.
Mais le jour de l'élection, nos créditistes, très optimistes, ne s'inquiétèrent plus de rien que de leur propre vote. Chacun fut à son ouvrage ordinaire. Même notre organisateur local ne quitta la mine où il gagne son pain qu'à quatre heures de l'après-midi, et le bureau de votation fermait à cinq heures.
Or, c'est le jour de la votation que les adversaires sortent leurs batteries. Et le Club Rotary l'emporta sur l'Union des Électeurs.
À Val d'Or, nos créditistes firent une lutte ardente, et jusqu'au bout. Plusieurs d'entre eux sacrifièrent leur travail — et leur salaire — le jour de la votation, pour être de faction dans les polls ou sur la route.
Le maire avait été élu par acclamation. Un échevin aussi, M. Armand Lapointe, créditiste. Pour les cinq autres vacances, la lutte se fit entre le groupe de l'avocat Taschereau et l'Union des Électeurs.
Malheureusement, à Val d'Or, si nous avons beaucoup de créditistes, le nombre des Voltigeurs actifs y est trop restreint. Mais ces derniers se sont démenés.
Le samedi, l'avocat Taschereau faisait distribuer une circulaire contre l'Union des Électeurs. Son argumentation se résumait à réclamer un conseil municipal agréable au gouvernement de Québec et agréable aux financiers, afin de pouvoir mendier fructueusement à Québec et être admis à emprunter des financiers. Il jouait aussi de l'étalon-or : plus d'étalon-or, que fera-t-on de l'or ? L'or mis au rancart, que deviendra Val d'Or ?
Il faudrait donc, pour l'avocat Taschereau, un conseil municipal habile à ramper, éligible à s'endetter et respectueux du culte du veau d'or.
L'avocat croyait avoir le dernier mot. Les créditistes firent imprimer le soir même une "Réponse à l'avocat Taschereau", et le lendemain, après la grand'messe, cette réponse était entre toutes les mains.
Le dimanche soir, M. Even parlait, là aussi, à une salle archicomble : tous les sièges occupés et plus de cent personnes debout.
Le vote plaça deux autres candidats de l'Union des Électeurs au conseil municipal, Conrad Poirier et Oza Tétrault. L'avocat Taschereau fut personnellement battu.
Les journaux ont évidemment moins parlé de l'élection de Val d'Or que de celle de Drummondville — pour cause.
Félicitations aux organisateurs de Val d'Or. Nous n'en nommons aucun pour n'oublier personne.
C'est à Rouyn que la lutte fut plus animée.
Les deux journaux locaux, La Frontière et la Rouyn-Noranda Press., se rangèrent contre l'Union des Électeurs. Le suave Julien Morrissette, rédacteur-en-chef de La Frontière, prit une part personnelle à la lutte, et cette digne plume patriotique se mua en un cracheur politicien de la plus authentique vieille-école.
Les bonzes embourgeoisés de Rouyn entrèrent en convulsions.
On vit les plus extraordinaires mariages politiques. Libéraux, Union nationale, Bloc Populaire et Communistes se liguèrent contre l'Union des Électeurs.
Un saint du Bloc pouvait téléphoner à un libéral pur-sang : Mon cochon, je te hais de tout mon cœur ; mais je vais tout de même voter pour toi afin de voter contre les créditistes.
Pendant au moins trois semaines les Voltigeurs de Rouyn firent une belle campagne d'éducation, dont les fruits demeurent. La campagne des opposants s'est surtout nourrie d'injures dont le fumier reste à leurs portes.
Le lundi soir, veille de l'élection, l'assemblée des créditistes donna plus de 800 auditeurs à M. Even. À la même heure, les adversaires, malgré une vue animée gratuite, ne groupaient au théâtre que 200 personnes.
Vingt créditistes, modestes salariés, renoncèrent à leur journée de travail et de salaire le 1er février, pour être sur pied jusqu'au bout. L'organisation plaça les meilleurs en surveillance dans les polls. Ce fut sans doute une erreur : les meilleurs auraient dû être sur la route. C'est ce jour-là, en effet, que les adversaires firent leur porte en porte, transportant les électeurs dans trente autos et faisant leur éducation de dernière-minute en leur montrant, après une cérémonie réjouissante, où mettre leur croix reconnaissante.
Résultat du scrutin à Rouyn : 38 pour cent du vote au candidat créditiste à la mairie et 44 pour cent à l'échevinage. Le maire sortant fut donc réélu et un seul des quatre candidats de l'Union des Électeurs à l'échevinage fut élu : M. Maurice Hébert.
Nous considérons ce résultat comme un réel triomphe pour les créditistes : à eux seuls, 40 pour cent du vote ; tous les autres groupes en concubinage ce jour-là doivent se demander quelle partie des 60 pour cent revient à chacun d'eux.
Il faut savoir qu'à Rouyn aussi, les propriétaires ont deux votes, les locataires un seul ; les célibataires chez leurs parents ou en chambre ne votent pas.
Le soir de l'élection, le poste CKRN, de Rouyn, eut l'obligeance de mettre trois quarts d'heure, de 10.15 à 11.00, à la disposition des candidats, élus ou défaits, et des organisateurs-en-chef des deux côtés. L'avocat Léopold Larouche et le journaliste Julien Morrissette furent aussi invités à exprimer leurs impressions de la journée.
Le succès des embourgeoisés aux polls n'avait pas suffi à remettre en ordre le foie de l'avocat Larouche. Il eut des paroles particulièrement fielleuses dont nous lui réservons un fidèle souvenir. Elles lui vaudront la dédicace prochaine d'une page de "Vers Demain".
Quant au journaliste patriote de La Frontière, qui ne veut pas que la masse s'organise pour sa libération, il avait donné son plein sur les tribunes, il ne lui restait plus qu'à terminer au poste en queue de poisson. Ce qu'il fit avec succès.
Les déclarations dignes, sensées et déterminées de Rémi Joyal, le candidat créditiste à la mairie, et de notre organisateur Réal Caouette, furent autrement substantielles.
Indépendamment du vote, quel fut le résultat de la campagne municipale pour le mouvement créditiste ?
Ce fut une avance. Une avance beaucoup plus considérable qu'il en paraît à première vue. Le soir de l'élection, l'Union des Électeurs avait, dans les quatre places, une organisation sensiblement plus forte et plus aguerrie qu'avant la campagne. Cette organisation reste, et ce n'est pas une organisation d'embourgeoisés.
De plus, les hommes qui y ont pris part ont acquis une expérience électorale qu'ils n'avaient pas.
Quant aux adversaires, leur concubinage ne peut durer indéfiniment. Leurs vieilles querelles vont resurgir. Mais les plus tartufés d'entre eux sortent démasqués. Ils ont montré à quoi rime leur patriotisme, leurs appels à l'union des opprimés, leurs sentiments de sympathie pour la masse du peuple. Il leur reste aussi, à tous, à digérer le flot d'insanités qu'ils ont débitées à défauts d'arguments.
C'est leur éloquence qui a inspiré à une personne de Rouyn de nous écrire le surlendemain de l'élection : "Je ne sais ce que c'est que le Crédit Social ; mais après avoir entendu tant de bêtises contre le Crédit Social au cours de la campagne municipale, j'en suis venu à la conclusion qu'il devait y avoir quelque chose de réellement bon dans cette doctrine. C'est pour me renseigner davantage que je vous inclus mon abonnement à Vers Demain."
L'Union des Électeurs continue son action locale, au municipal comme au scolaire, non pas dans le champ électoral lorsqu'il est clos, mais par l'assistance aux délibérations des conseils et des commissions, et par l'utilisation de sa force pour faire pression et tirer tout le parti possible de son appareil démocratique.