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Le médecin n’a pas le droit de pratiquer l’euthanasie

le mardi, 01 mars 2011. Dans Euthanasie

«Sans le consentement du patient, l’euthanasie est un homicide; avec son consentement, c’est un suicide»

— Paul VI

 

Le Dr. François Primeau est médecin et chef au service de gérontopsychiatrie au CHAU-Hôtel-Dieu de Lévis depuis plus de 25 ans et aussi professeur agrégé au département de psychiatrie et de neurosciences et directeur du programme de Fellowship en gérontopsychiatrie à l’Université Laval. Il a présenté un mémoire le 16 février 2010 à M. Geoffrey Kelley, Président de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité (Assemblée nationale de Québec) pour aller à l’encontre du projet de loi fédéral C-384, réclamant une législation en faveur de l’euthanasie et de l’aide au suicide. En y ajoutant nous-mêmes des sous-titres, nous citons quelques extraits de ce mémoire:

Horreurs des régimes dictatoriaux

La vraie compassion ne consiste pas à éliminer celui qui souffre, même à sa demande. La réponse appropriée à la détresse réside dans un accompagnement pluridimensionnel (physique, psychologique, moral et spirituel), puisque toutes les personnes, même les diminuées, sont égales en dignité. La société qui rendrait légitime la suppression d’une personne renierait la finalité et le fondement de son existence, ouvrant la voie à des iniquités toujours plus graves (Académie pontificale de la vie, 2000), préludes à la dérive totalitaire du libéralisme qui aliène la personne à l’image des horreurs des régimes dictatoriaux du siècle dernier.

Il est très préoccupant de voir l’État, au nom du pluralisme réputé normatif, instituer la nouvelle «religion» étatique de la dictature de l’opinion et de la rectitude politique de la même façon que l’Empire romain a imposé la religion gréco-romaine: cohésion sociale d’une population hétérogène dont les philosophies éclatées devaient être unifiées autour des valeurs citoyennes (Jacquard et al., 1952 p. 149-150; Marayat, 2005, p. 10 et 49).

Cette unification ne se réalise plus autour du culte de l’empereur romain déifié de son vivant, mais par l’autonomie autodéifiée de la personne, dont chaque désir est loi. Amplifiée par les média, cette volonté étatique semble proposer l’euthanasie sur demande au moyen de consultations publiques dont les conclusions pourraient paraître écrites d’avance, comme en témoignent certains commentaires glanés ces dernières semaines, qui présument de la légalisation quasi certaine de l’euthanasie: «Il faut lever les tabous sur l’euthanasie», ou «Le Québec est assez mature pour se questionner sur l’euthanasie», ou encore «Je suis optimiste sur les résultats des consultations publiques sur l’euthanasie».

«Quand on est arrivé à demander à l’État de dire quels sont les innocents qu’on peut éliminer, que la loi l’autorise et qu’un ministre ordonne les moyens d’y pourvoir, il est déjà trop tard pour se demander si on est encore en démocratie» (Schooyans, 1994, p. 112). De même, la liberté de se suicider ou de demander l’euthanasie n’est pas un droit au suicide et à l’euthanasie. «La liberté subjective de demander la mort ne peut devenir un droit objectif garanti par l’État, puisque le fondement de tous les droits, garanti par les États démocratiques, est le droit à la vie» (S. Rameix, 2004, p. 227).

L’euthanasie, un homicide

[…] «Sans le consentement du patient, l’euthanasie est un homicide; avec son consentement, c’est un suicide» (Paul VI, cité par Bruguès, 1991, p. 156-157). Même à sa demande, mettre fin à la vie d’une personne ne sied pas à sa dignité. Toute société civilisée proscrit l’homicide et porte assistance aux personnes suicidaires.

L’expression «mourir dans la dignité» est biaisée et sous-entend que l’euthanasie confère la dignité à une mort qui autrement n’en aurait pas. C’est l’ambiguïté du mot «dignité» qui a poussé l’Assemblée nationale française à rejeter une proposition de loi sur l’euthanasie en novembre 2009, en promouvant plutôt l’approche «ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie». La dignité dépend-t-elle d’un facteur extrinsèque comme le contrôle sur la mort? D’après ce que je vis avec mes patients affligés par la démence ou de pathologies psychiatriques, je constate que la dignité est intrinsèque à l’être.

Appréciation morale d’un acte

L’acceptabilité culturelle d’un acte ne lui confère pas sa valeur morale, bien que les facteurs culturels soient impliqués dans le processus décisionnel sur les questions de vie (Buiting, 2008). Ainsi ce n’est pas parce que l’euthanasie est culturellement et légalement acceptée aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg (depuis 2009) ou que le suicide assisté est permis ailleurs (Suisse, Orégon et État de Washington, comme aux Pays-Bas), que cette manière de donner la mort est morale. En fait, «tous les autres États démocratiques, même s’ils ont dépénalisé le suicide, condamnent l’aide au suicide et l’euthanasie» (S. Rameix, 2004, p. 226).

La proposition cynique et illogique du «ça se fait, donc on doit le légaliser» (tactique du fait accompli) (Schooyans, 1994, p. 60) correspond en fait à une volonté de légitimer des pratiques non éthiques. Pas plus que l’euthanasie, le vol, la fraude ou l’homicide ne sont actuellement décriminalisés, en dépit de la fréquence des vols, des fraudes ou des homicides. Ce processus de légalisation suit un chemin éprouvé. D’abord timidement exprimées […] les propositions refont surface avec […] insistance. Elles apprivoisent l’opinion publique et viennent à bout des réticences du législateur (Schooyans, 1994, p. 60). L’autre proposition «c’est légal, donc, c’est moral» (ou son corollaire «C’est moral, parce que c’est légal»), utilisée pour légitimer l’euthanasie, a trop souvent servi à conforter l’assise juridique de régimes totalitaires.

Relation patient-médecin

L'extrème onctionDans la relation patient-médecin, à quels devoirs du médecin renverrait le droit de demander la mort par euthanasie? La légalisation ferait peser collectivement sur l’ensemble des professionnels de la santé une obligation qui ébranlerait leur intégrité: service de la vie ou de la mort? (Rameix, 2004, p. 228)

«Personne au monde, aucune personne privée, aucune puissance humaine ne peut autoriser [le médecin] à détruire la vie directement. Son devoir n’est pas de la détruire, mais de la sauver» (Pie XII, 1944). De toute façon, «le médecin n’a sur le patient que le pouvoir et les droits que celui-ci lui donne. Le patient, de son côté, ne peut conférer plus de droits qu’il n’en possède. En ce qui concerne le patient, il n’est pas maître absolu de lui-même, de son corps, de son esprit» (Pie XII, 1952).

Considérations théologiques

Une réflexion sur l’euthanasie ne peut ignorer la tradition judéo-chrétienne, qui structure l’identité québécoise en profondeur.

Nécessaire à l’appréciation de l’euthanasie, la permanence des valeurs spirituelles et morales est mise en relief dans un ouvrage d’érudition historique sur les civilisations. Il y est rappelé que «la notion de civilisation est en effet au moins double. Elle désigne à la fois les valeurs morales et des valeurs matérielles. […] La civilisation, c’est donc au moins deux étages» (Braudel, 1987, p. 35).

L’Auteur poursuit : «L’Occident paraît oublieux de ses sources chrétiennes […]. Mais le christianisme s’affirme une réalité essentielle de la vie occidentale et qui marque, sans qu’ils le sachent ou le reconnaissent toujours, les athées eux-mêmes. Les règles éthiques, les attitudes devant la vie et la mort… autant de comportements qui ne semblent plus rien avoir à faire avec le sentiment chrétien et cependant, en dérivent» (Braudel, 1987, p. 35). Je déplore que, trop souvent la dimension spirituelle de l’homme soit occultée: au-delà des préoccupations immédiates pour dispenser les soins physiques et psychologiques, cette dimension aide le soignant à prendre conscience que chaque patient lui est un frère, une sœur en humanité. […]

Enfin, devant la personne autodéifiée qui décide de la vie et de la mort, la tradition judéo-chrétienne présente le Dieu fait homme qui accompagne la personne à travers la souffrance et la mort, en triomphant des tentations déshumanisantes par une plénitude de vie. […]

Dr François Primeau
(MD, LCMC, DPSYCH CSPQ, FRCPC, BPH, CTH)

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