EnglishEspañolPolskie

Le Chien et le dîner du Maître

le vendredi, 15 décembre 1944. Dans Réflexions

1. — Le chien vertueux

Médor porte vertueusement le dîner de son maître, sans céder à la tentation d'y prendre un morceau. Il aura bien sa récompense, l'heure ve­nue. Oui, mais il a le sens de sa fonction. C'est un type que la politique n'a pas encore corrompu, Médor. On serait tenté de lui confier les intérêts du peuple. Il fait de la politique en ligne droite, voyez-vous. Pur de toute trahison. Il mérite cer­tainement, au moins, de siéger dans le conseil su­périeur du Bloc Populaire. Serait bien ingrat qui ne se fierait pas à la vertu de Médor.

2. — La lutte pour le devoir

Tous les chiens ne sont pas des Médor. Sûrement pas ce mâtin qui voulait sauter sur le panier. Ah ! celui-là doit avoir fait son éducation au Club de Réforme. "Le panier du maître, les intérêts du peuple, mais n'est-ce pas pour nous, la canaille de la politique ?" C'est bien ce que pensent aussi les deux autres qui s'en viennent droit au panier, non pas pour protéger son contenu, mais pour s'en régaler. Mais Médor n'épargne ni ses forces ni sa peau. Tiens bon, Médor : ton nom figurera dans notre martyrologe politique si peu chargé.

3. — Au diable la vertu !

Médor fut vertueux et sincère, jusqu'à se battre pour son idéal. Mais il s'est ravisé. La sagesse du politicien moderne a envahi sa tête : "Le peuple est ingrat et ne vaut pas le sacrifice d'un bon dîner. Vais-je lutter seul, seul recevoir tous les coups, pendant que la meute fait ripaille ? Le maître avait belle de prendre les moyens de m'aider. J'ai fini de me sacrifier pour les intérêts des autres. Après tout, je ne prends pas plus que les copains. On partage. Au diable les intérêts du maître !"

Notre politique n'a pas manqué de Médors.

Le Chien qui porte à son cou le dîner de son maître

Certain chien, qui portait la pitance au logis,

S'était fait un collier du dîner de son maître.

Il était tempérant, plus qu'il n'eût voulu l'être.

Quand il voyait un mets exquis ;

Mais enfin, il l'était ; et, tous tant que nous sommes,

Nous nous laissons tenter à l'approche des biens.

Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens,

Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes !

Ce chien-ci donc étant de la sorte atourné,

Un mâtin passe et veut lui prendre le dîner.

Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il espérait d'abord : le chien mit bas la proie

Pour la défendre mieux, n'en étant plus chargé.

Grand combat. D'autres chiens arrivent :

Ils étaient de ceux-là qui vivent

Sur le public et craignent peu les coups.

Notre chien, se voyant trop faible contre eux tous,

Et que la chair courait un danger manifeste,

Voulut avoir sa part ; et, lui sage, il leur dit :

"Point de courroux, messieurs ; mon lopin me suffit :

Faites votre profit du reste."

À ces mots, le premier, il vous happe un morceau,

Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille.

À qui mieux mieux : ils firent tous ripaille ;

Chacun d'eux eut sa part au gâteau.

LA FONTAINE

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com