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La planète de la misère

le mardi, 01 décembre 1942. Dans Réflexions

Ce qui suit est extrait de "Les vraies richesses", de Jean Giono, pages vi et vii :

Les hommes ont créé une planète nouvelle : la planète de la misère et du malheur des corps. Ils ont déserté la terre. Ils ne veulent plus ni fruits, ni blé, ni liberté, ni joie. Ils ne veulent plus que ce qu'ils inventent et fabriquent eux-mêmes.

Ils ont des morceaux de papier qu'ils appellent argent. Pour avoir un plus grand nombre de ces morceaux de papier, ils décident subitement de faire abattre et d'enterrer cent soixante mille vaches parmi les plus laitières.

Ils décident d'arracher la vigne car, si on ne l'arrachait pas, le vin serait trop bon marché, c'est-à-dire ne pourrait plus produire des morceaux de papier en assez grand nombre. À choisir entre les morceaux de papier et le vin, ils choisissent les morceaux de papier.

Ils brûlent le café, ils brûlent le lin, ils brûlent le chanvre, ils brûlent le coton.

Devant l'énorme bûcher de coton, les chômeurs de l'Illinois viennent : "Laissez-nous emplir des matelas, disent-ils, nous couchons sur la terre ; nous ne mangeons presque pas ; au moins nous pourrons dormir."

On leur dit : "Non, le coton est en trop."

Ils répondent : "Pas en trop, puisque ce coton nous manque. Il nous donnerait des joies, je vous assure ; enfin, des joies c'est beaucoup dire, mais il adoucirait notre misères il nous permettrait de dormir au souple quand nous n'avons pas assez mangé."

On leur répond : "Non, non, vous n'y entendez rien. Il ne s'agit pas de vous. Ce coton est en trop, car, s'il continuait à exister, le prix du coton baisserait, et nous, les producteurs de coton, nous aurions un peu moins de petits morceaux de papier. Tout est là, toute la question est là, et nous ne serons tranquilles que lorsque le coton sera devenu de la fumée. Écartez-vous."

Quand les récoltes sont abondantes, on se lamente : "Nous avons trop de pêches, nous avons trop de poires, nous avons trop de vin, nous avons trop de blé, trop de pommes de terre, trop de betteraves, trop de choux, trop d'artichauts, d'épinards, de fèves, de lentilles, de haricots."

La terre, qui continue ses anciennes gloires, épaissit-elle la semence des animaux : nous avons trop de vaches, trop de bœufs, trop de porcs, trop de moutons, trop de chevaux, trop de chèvres.

Le cortège des bêtes splendides marche à travers les vergers couverts de fleurs ; les champs de graminées caressent doucement le ventre des bœufs.

L'homme tremble. L'immense terreur collective ébranle la société : "Nos morceaux de papier, nos morceaux de papier !"

Gouvernements, ministres, députés, rois, empereurs, lois, lois, lois humaines, au secours ! Nous avons trop de tout ; vite, vite, mettons le feu aux champs, éreintons le verger à coups de hache, tuons les vaches, les porcs, les moutons pendant la nuit, à coups de couteaux dans le ventre, à coups de serpes sur la tête, fauchant à la faux les pattes grêles des troupeaux, et, si ça ne va pas assez vite, canons, canons, canons !

Que la rareté revienne ! Que la terre soit au désert, pour que je puisse vendre très cher ce petit mouton solitaire, cette petite pêche, à peine deux bouchées. Vous avez faim ? Tant mieux, vous me donnerez un peu plus de morceaux de papier !

Si je pouvais arrêter les fleuves ! Si je pouvais faire que l'eau soit chère ! Je vous vendrais de l'eau... Que d'argent perdu dans ce fleuve où tout le monde peut puiser librement !

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