Le gouvernement provincial se propose de continuer à la présente session sa législation sur la question scolaire.
Mais dans quel sens se fera cette législation ? Les électeurs ont-ils été consultés, ou le seront-ils ? Les parents ont-ils été consultés, ou le seront-ils ?
Ce serait du nouveau que telle consultation. La tendance n'est pas à la pratique de la démocratie, mais à sa suppression.
L'année dernière, lorsque le gouvernement adopta la loi de la scolarité obligatoire, combien de parents furent consultés ? Combien de commissions scolaires de la province de Québec furent approchées pour avoir leur avis ?
Lorsque nous élisons un Parlement, il paraît que c'est pour lui donner un mandat en blanc, pour faire tout, excepté ce qui a été le plus solennellement promis.
Commissions scolaires, machines à taxer.
Et les commissions scolaires, à quoi servent-elles en matière d'éducation ?
On aurait pu croire que les commissions scolaires étaient des corps officiels reconnus pour représenter les parents et parler au nom des parents. Pas du tout. Les commissions scolaires sont réduites au rôle de taxer, et d'engager et payer des institutrices.
En quoi c'est tout à fait conforme au concept qu'on se fait du citoyen aujourd'hui. Les commissions scolaires représentent réellement les parents ; mais comme le rôle des parents n'est plus que de payer et de se taire, le rôle des commissions scolaires est analogue.
Les parents n'ont-ils plus leur mot à dire dans l'éducation de leurs enfants ? Quel compte a-t-on tenu de la volonté des parents dans la loi de la scolarité obligatoire ? Le seul mot obligatoire indique bien qu'il s'agit d'un règlement émané d'ailleurs.
C'est le gouvernement qui a proposé la loi, et ce sont les députés qui l'ont votée. Nous aimerions savoir combien de députés se sont préoccupés d'avoir l'avis de leurs électeurs. Ils sont bien plus attentifs à l'index appuyé sur la caisse du parti.
Les parents existent pour être ignorés, ou même insultés. Ils ont été ignorés et insultés.
C'est, en effet, insulter les parents :
1°. De ne pas les consulter au sujet de l'éducation de leurs enfants ;
2°. De décréter l'obligation de les envoyer à l'école, comme si les parents canadiens-français n'étaient pas plus intéressés que le gouvernement à l'éducation de leurs enfants.
L'obstacle majeur à l'instruction des enfants, dans notre pays et dans notre génération au moins, n'a jamais été la mauvaise volonté des parents, mais les difficultés d'argent de la famille.
Le gouvernement, disent les sociologues, a un rôle supplétif à remplir. C'est-à-dire, voir seulement à ce que les organismes inférieurs ne peuvent pas régler sans lui. Il n'a pas à remplacer ces organismes. Il n'a pas à remplacer les parents, à se substituer à la famille ; mais à aider les parents, la famille dans ce qui dépasse leurs possibilités.
Or, les parents ont plus de désirs que de moyens en fait d'instruction de leurs enfants. Les désirs ne leur manquent pas. Les moyens leur manquent souvent. Pourtant le gouvernement intervient comme si c'était le désir qui manquait, et non pas les moyens.
Le gouvernement se substitue à la volonté des parents, qui ne fait généralement pas défaut ; et il ignore complètement son rôle supplétif pour la finance, problème qui dépasse la capacité des parents.
Le gouvernement s'occupe du bout qui n'a pas besoin de lui ; et ne touche aucunement à l'autre bout où son intervention serait fort opportune.
C'est que, pour toucher efficacement à cet autre bout, au bout de la finance, le gouvernement devrait affronter une opposition qu'il n'a pas le cœur d'affronter. Lorsqu'il s'agit des parents, de leurs droits naturels, de leurs volontés, il s'en fiche comme de l'an 40. Mais il se garde bien de la moindre indélicatesse lorsqu'il s'agit de l'autel de la finance.
La scolarité obligatoire n'est qu'un premier pas dans un programme apparemment tracé d'avance. Le journal Le Jour, grand protagoniste de la scolarité obligatoire, le souligne sans ambages : Une loi, écrit-il, en appelle une autre ; la scolarité obligatoire appelle la gratuité des livres ; la gratuité des livres appelle la haute main du gouvernement dans le patronage et le choix des manuels ; et tout cela exige au plus tôt un ministre de l'Instruction Publique.
Serions-nous sur la trace des législateurs français, qui s'inspiraient aux Loges et ne s'occupaient des parents que pour leur imposer la législation conçue dans les temples maçonniques et votée par des députés que les parents ne voyaient pas une fois en quatre ans ?
S'il faut en croire la nouvelle parue dans Le Devoir du 12 janvier, c'est des commissions scolaires rurales que le gouvernement va s'occuper à la présente session — non pas pour les consulter, mais pour les enterrer. Les commissions scolaires rurales disparaîtraient, au moins de fait ; elles seraient absorbées dans des commissions scolaires de comté.
Avec les commissions scolaires rurales, disparaîtraient également les écoles de rangs. On leur substituerait des écoles centrales de villages, et on organiserait un système de transport par autobus. Il faut croire que Damien Bouchard ferait entretenir toutes les routes et les chemins de la province, hiver comme été, pour conduire des rangs les plus reculés aux palais scolaires des villages.
Il est vrai que, le 13 janvier, l'Honorable Hector Perrier, secrétaire provincial, répondait au représentant du Devoir qu'il n'est pas encore question, à l'heure actuelle, de supprimer les écoles de rangs. Pas à l'heure actuelle — s'agit-il d'un simple sursis ?
Il n'y a pas de fumée sans feu, et l'on fera bien d'avoir l'œil.
Le Devoir du 12 janvier ajoutait :
"Dans les cercles restreints qui s'intéressent à la question et qui sont au courant du projet, il se manifeste deux opinions contraires." Pourquoi les cercles au courant du projet sont-ils restreints ? Pourquoi les cercles qui s'intéressent à la question sont-ils restreints ? Pourquoi une question qui touche à dix années de la vie de chaque enfant de chaque famille est-elle débattue en chambres closes, jusqu'à l'heure où les machines à voter du parlement sont appelées à fonctionner pour approuver et consacrer ?
La première raison donnée par les adhérents du projet est encore une raison de finance. Les commissions scolaires devenant une seule commission de comté, ou n'existant plus que nominalement comme corps paroissiaux, leur finance serait plus stable et les institutrices et instituteurs pourraient être mieux payés sans augmenter les taxes, dit-on.
C'est toujours par la question de finance qu'on entre dans la voie de la centralisation. On commence par vous rendre pauvres ; puis pour vous sortir de la pauvreté, on vous prend en tutelle, on vous enlève votre autonomie.
La véritable démocratie est décentralisatrice, par définition, puisqu'elle signifie le pouvoir résidant dans le peuple ; et le peuple n'est pas tassé dans une capitale.
La dictature, au contraire, est centralisatrice, aussi par définition ; puisqu'elle consiste en dictats émanant d'une tête centrale.
Or la finance est une dictature et elle est essentiellement centralisatrice. Des gouvernements portés en croupe par la finance vont donc nécessairement dans la voie de la centralisation.
En faveur des écoles plus grosses des villages, pour remplacer les cinq ou six écoles des rangs, qu'on fasse valoir, si l'on veut, l'avantage d'écoles à plusieurs classes, où les maîtres et les maîtresses n'ont pas tous les enfants de A à Z entre les quatre mêmes murs. La tâche est plus facile et les élèves peuvent recevoir plus d'attention. Voilà qui peut s'entendre.
Mais la question de finance ne vaut pas une fève dans le raisonnement. Elle ne vaut que pour les têtes bouchées qui s'obstinent à prendre des signes pour des choses, ou un niveau de piastres pour un niveau de capacité à faire des choses.
Lorsque la finance sera la comptabilité exacte des faits de la production, on pourra s'en servir pour juger des possibilités. Pas d'ici là. Nous avons un mépris souverain pour les bornes posées par la finance, et une piètre idée des législateurs qui croient que ces bornes sont posées par Dieu ou par la nature.
De l'école du rang, il a été beaucoup écrit — en bien et en moins bien, en poésie et en prose. Mais à voir, d'une part, les hommes libres et forts qui sont sortis et sortent encore des écoles des rangs ; d'autre part, la multitude d'esclaves des sifflets d'usine qui débouchent des écoles de nos villes, sans compter la grasse lignée d'embourgeoisés et de lâcheurs munis d'un parchemin d'université, on est moins pressé de demander la disparition des écoles de rangs.
Quant à la situation financière des commissions scolaires rurales, elle se ressent simplement de la situation financière que le régime a faite à la plus belle classe de notre population.
Au lieu de crier : Les commissions scolaires sont pauvres, on va les absorber ; — il serait beaucoup plus sensé de crier : Le régime financier est bête, on va le changer.
Lorsque l'argent est absent devant le pain et présent devant les canons ; lorsque l'argent fuit la poche du travailleur et gonfle celle de l'escamoteur protégé par la loi ; lorsque l'argent déserte les familles à enfants et rutile dans les familles à toutous ; lorsque l'argent commence son cycle en créant des dettes et le termine en semant des ruines ; lorsque l'argent sans vertu reçoit des hommages et que la vertu sans argent se fait bafouer — on est certainement mal venu de décider de la valeur d'une personne ou d'une institution, même d'un organisme scolaire, d'après la présence ou l'absence d'argent.
Que la commission ait son siège dans la paroisse, au chef-lieu de comté ou à Québec, c'est toujours le peuple qui paie. Mais il y a une différence pour se faire entendre d'une administration située à 4 milles et d'une autre située à 40 ou à 400 milles.
C'est toujours le peuple qui paie. Car, en définitive, la véritable paie de toute chose, ce sont des produits et des services. C'est ce qui nourrit, ce qui habille, ce qui chauffe, ce qui loge, ce qui transporte, ce qui soigne, qui est la véritable paie, quel que soit le signe intermédiaire. Or, qui est-ce qui produit surtout ces choses, sinon les travailleurs du sol ?
Et puisque ce sont nos cultivateurs des rangs de la province qui font la paie substantielle, pourquoi faut-il éloigner d'eux le contrôle, sous prétexte qu'ils n'ont pas assez de petits morceaux de papier qui s'appellent piastres ? Si ces piastres étaient conformes aux faits, c'est dans les rangs, où l'on produit ce qui est le plus nécessaire à l'humanité, qu'on en manquerait le moins.
Mais il faudra le dire et le répéter longtemps avant que ça loge dans les méninges de ceux qui exécutent les ordres du gouvernement invisible, sans trop savoir ce qu'ils font.