Une fable de La Fontaine raconte qu'un jour, un meunier et son fils s'en allaient au marché vendre leur âne.
Et afin que l'âne "fut plus frais et de meilleur débit", le meunier et son fils portaient leur âne au lieu de le laisser marcher.
Porter un âne qui pourrait marcher, quelle farce ! pensèrent les passants.
"Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre !" criait-on au meunier et à son fils.
"Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense".
Et le meunier, impressionné par les railleries, se dit qu'en effet, il est bête. Et tout de suite, il détache son âne, le remet sur ses pieds et y fait monter son fils.
* * *
Mais, voici que notre équipage fait la rencontre de trois marchands, qui critiquent à leur tour, et font honte à l'enfant :
"Descendez, jeune homme,
"C'était à vous de suivre, au vieillard de monter."
Et le meunier, encore ému, admet qu'il a tort une autre fois. Et immédiatement, il fait descendre son fils, et monte lui-même sur l'âne.
* * *
Pendant qu'ils marchent ainsi, trois filles passent et se moquent du vieillard cette fois :
"C'est grand'honte
"Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils
"Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,
"Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage."
Et le meunier piqué, appelle son fils et le met avec lui sur l'animal.
Eux, qui étaient partis pour le marché portant tous deux leur âne, sont maintenant tous deux ensemble portés par leur âne.
Ils vont vendre leur âne au marché. Ils veulent toujours en recevoir un bon prix. Leur but n'est pas changé. Pour y arriver, il faudrait que leur âne soit en bonnes conditions. Mais, ils ont cessé d'y songer. Ils ont perdu de vue leur objectif, parce qu'ils se sont laissé gagner par les réflexions des passants, qui n'ont pas le même objectif que le meunier, qui ne font rien du tout pour aider le meunier, mais qui sont toujours là pour critiquer.
L'histoire de notre meunier n'est pas finie, puisqu'il fait encore une rencontre de censeurs, qui le traitent d'égoïste, en disant qu'on voit bien qu'il va se débarrasser de son âne et qu'il veut en tirer tout ce qu'il peut auparavant.
Le meunier commence à s'énerver, mais cède encore. Lui et son fils descendent de dessus la bête, et se mettent derrière, marchant à pieds.
Et encore un passant qui arrive :
"Ils usent leurs souliers et conservent leur âne
"Je conseille à ces gens de le faire enchâsser."
Comme on le voit, il ne reste plus rien à faire au meunier, il a essayé toutes les méthodes, pour en arriver à la conclusion suivante :
"Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue ;
"Mais que dorénavant, on me blâme, on me loue,
"Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien,
"J'en veux faire à ma tête."
Faire à sa tête... Cela veut dire ne pas perdre de vue son but. Les autres, ceux qui crient, qui,
parlent, qui raillent, se moquent, n'ont pas le même but que vous. Ils ne font rien pour vous aider. Pourquoi donc, meunier, vous en occuperiez-vous ?
Pourquoi donc, créditistes, prêtez-vous l'oreille à tous ceux qui vous critiquent ?
On dit : "Vous ne parlez que de réforme monétaire. Ce n'est pas complet".
On dit aussi : "Vous faites trop de morale. Ce n'est pas votre affaire".
— "Vous êtes matérialistes. Il vous manque un exposé complet de doctrine en regard des principes éternels d'une saine philosophie et théologie".
— "Vous posez au philosophe, au théologien. Pieuseries. Bondieusarderies. Prières. Pouah ! Incompétents ! Hypocrites !".
— "Vous ne réussirez pas. Il faut l'appui de la Finance pour arriver. Un journal sans annonces ne vit pas."
— "Que faites-vous donc de tout l'argent que vous amassez ? Vous volez le public !"
— "Vos Commissaires sont à charge aux gens. Vous êtes une gang de quêteux !"
— "Vous faites les millionnaires en automobile. Et ça roule !" .
— "Si vous laissez de côté la politique, comment prétendez-vous établir le Crédit Social ?"
— "Bornez-vous donc à l'économie. La politique est trop corrompue."
— "Vous manquez d'universitaires, de professionnels dans votre mouvement. C'est une carence."
— "L'élite nous a trahis. Il ne faut plus compter sur elle."
— "Vous êtes contre le Bloc Populaire. Pourquoi ?"
— "Vous êtes pour le Bloc Populaire. Pourquoi ?"
On n'en finirait plus si on voulait énumérer tous les conseils contradictoires qui viennent de partout.
Quelquefois, et souvent, ce sont les mêmes personnes qui font deux critiques contraires.
* * *
Si nous avions la tête faible, nous l'aurions perdue depuis longtemps.
Mais, pour que, justement, notre tête reste bien solide sur ses épaules, il n'y a qu'une chose à faire, une seule, mais la plus difficile parfois : Ne pas perdre de vue l'objectif.
Si le meunier avait toujours songé à son âne qu'il allait vendre et qu'il voulait en bon état, il aurait gardé sa première méthode qui était de porter l'âne.
Mais, parce qu'il a perdu de vue son but, parce qu'il s'est mis en tête de contenter les autres, il a perdu son temps à changer de méthodes ; il est allé contre son objectif, puisqu'il ruinait son âne pour s'apercevoir enfin qu'il était impossible de contenter tout le monde.
Notre but, notre objectif à nous, créditistes, est-il de plaire aux uns, aux autres, à tous ?
Pas du tout. Notre objectif est d'instruire et d'organiser pour la libération. Arrière la diplomatie, lorsqu'on instruit : C'est la lumière seule qu'il faut répandre. La vérité, toute la vérité éternelle, et la réalité des faits.
Arrière les compliments et les concessions, lorsqu'on veut sauver un pays englouti par les lâchetés et les compromis.
Au but, créditistes ! Ne nous occupons pas des critiques des badauds !
Gilberte CÔTÉ