EnglishEspañolPolskie

L'éducation politique des électeurs

Maître J.-Ernest Grégoire le dimanche, 15 août 1943. Dans La politique

Causerie donnée par M. J.-Ernest Grégoire, avo­cat de Québec, au poste CHRC, le 24 août, et lue dans les cinq autres postes retenus par l'Union des Électeurs.

Des hommes, pas des animaux

L'Union des Électeurs groupe tous les électeurs autour du programme de tout le monde : sécurité économique pour tous et pour chacun, avec ga­rantie de la liberté personnelle.

Pas seulement la sécurité, mais aussi la liber­té, parce qu'il y a une différence entre un peuple fait de personnes humaines et un troupeau fait d'animaux.

Mais justement parce que les électeurs et les électrices sont des personnes libres, c'est libre­ment et en connaissance de cause seulement que ces personnes libres doivent entrer dans l'Union des Électeurs. L'Union des Électeurs ne peut donc être bien bâtie que sur l'étude, sur l'exer­cice de facultés d'hommes.

L'Union des Électeurs, parce qu'elle est faite d'hommes et de femmes qui se servent de leur in­telligence et de leur volonté, n'admet aucune dic­tature : ni la dictature militaire, ni la dictature bureaucratique, ni la dictature de l'argent, ni la dictature des partis politiques.

Toute dictature ignore "l'homme"

La dictature militaire ne peut convenir qu'aux pays où l'on accepte encore la domination de la force brutale. C'est l'effacement de l'homme et le triomphe de l'animal.

La dictature bureaucratique n'est reçue que dans une nation où les citoyens se laissent dicter leur emploi, leur mode de vie : c'est encore l'ef­facement de l'homme, puisque c'est le régime de l'écurie.

La dictature d'argent ne tient que parce que les hommes, ignorant tout du système qui les étrangle, croient être obligés de crever de faim en face de montagnes de nourriture, lorsque les faiseurs d'argent rationnent les moyens d'acheter. C'est encore l'effacement de l'homme et le triom­phe du contrôleur de piastres.

La dictature des partis politiques ne peut, elle aussi, s'appliquer qu'à des hommes incomplets, qui ne se sont pas encore rendus compte qu'ils veulent tous les mêmes choses essentielles — et c'est la négation de l'intelligence ; ou bien qui, s'en étant rendu compte, n'ont pas le courage de prendre une décision pour y voir — et c'est la négation de la volonté. Toujours l'effacement de l'homme, par l'atrophie de ses facultés d'homme.

Toutes les dictatures ignorent ou suppriment ce qui distingue l'homme de l'animal, parce que la dictature est le régime qui convient à des ani­maux : dictature du fouet, de la cage ou de la mangeoire.

Pas de démocratie sans éducation

Lorsque, dans un pays, les hommes abdiquent l'usage de leur intelligence et de leur volonté, ou lorsqu'ils prostituent ces facultés à la poursuite d'objectifs qui ne sont pas des objectifs raison­nables, seule la dictature est appropriée à la po­pulation de ce pays. La démocratie ne peut con­venir qu'à des hommes, à des hommes complets.

C'est ce qu'ont parfaitement compris les pion­niers de l'Union des Électeurs, amants pas­sionnés de la liberté de la personne humaine, fer­vents de la véritable démocratie. Et c'est pour­quoi ils basent toute leur action sur l'éducation. Et c'est pourquoi l'Union des Électeurs orga­nise les électeurs pour l'étude, avant de les or­ganiser pour la revendication de leurs droits.

Elle agit ainsi, parce qu'elle traite les élec­teurs en personnes humaines, et non pas en ani­maux.

Qu'est-ce qui fait la différence entre un jeune animal élevé dans nos étables et un enfant élevé dans nos maisons et dans nos écoles, si ce n'est le développement des facultés intellectuelles chez l'enfant ?

Notre pays est assez bien organisé pour faire cette différence entre le jeune animal et l'enfant.

Mais est-il aussi bien organisé pour faire la dif­férence entre l'animal adulte et l'homme adulte, surtout dans la vie politique ?

Depuis longtemps, l'importance de l'éducation des adultes est reconnue, il est vrai. Mais il ne suffit pas de proclamer l'importance d'une chose pour la réaliser...

L'Union des Électeurs, pour sa part, s'efforce d'organiser l'éducation politique et économique des adultes, des électeurs. L'entreprise est nou­velle, elle est gigantesque aussi. Mais cela doit se faire, ou il faut cesser de parler de démocratie.

L'Union des Électeurs ne se considérera bien établie que lorsque chaque rang de nos campa­gnes, chaque secteur de nos villages, presque cha­que rue de nos villes, aura son responsable, char­gé de voir à ce que chaque famille se renseigne sur les choses d'intérêt commun dans la politi­que et l'économique.

Inertie de l'élite parcheminée

L'Union des Électeurs n'a attendu, pour com­mencer, ni une loi d'instruction obligatoire, ni des octrois du gouvernement. Tout repose sur le dé­vouement et les sacrifices d'hommes animés d'un idéal.

Et, si nous devons admirer le travail de ces hommes sans beaucoup de moyens, sans titres, sans parchemin pour la plupart, qui vont à la masse du peuple et l'organisent, sur un pied sans égal jusqu'ici, pour la lecture, l'étude et l'action raisonnée, on me permettra à moi, avocat, de re­gretter le peu de part pris dans ce genre de tra­vail par ceux qui, comme moi, ont bénéficié d'une formation universitaire.

Où donc est l'œuvre d'éducation politique des masses entreprise par ceux-là que leur propre éducation destinait à être des lumières pour éclai­rer leurs concitoyens ?

Les professionnels se sont pourtant occupés de politique, et le nombre prépondérant d'avocats ou de notaires parmi les membres de nos parle­ments est là pour l'attester. Mais, s'ils sont habiles à parler sur les tribunes électorales et à conquérir des votes, quand se sont-ils distingués pour amener les masses à penser, à raisonner, à surveiller et à forcer la politique dans le droit sentier ?

L'école primaire apprend à lire. Le cours clas­sique apprend à raisonner. L'université apprend à créer.

La plupart de nos concitoyens n'ont rien eu de plus que l'école primaire. Qui, après l'école, de­vrait leur enseigner à raisonner ? Qui, après l'é­cole, devrait les entraîner à des œuvres créatri­ces, en faire des bâtisseurs de leur pays ? Qui, si­non ceux qui ont eu l'avantage d'une instruction classique, d'une instruction universitaire ?

Et pourquoi ceux-là se tiennent-ils à l'écart ? pourquoi, tout au plus, participent-ils à quelques mouvements temporaires à l'approche d'un ap­pel au peuple ?

Dette sociale des intellectuels

Qui doit le plus à la société, sinon celui qui a le plus reçu de la société ? Et ne sommes-nous pas de ceux-là, nous qui avons passé tant d'années sur les bancs des collèges classiques, nous qui avons reçu une formation universitaire ?

Ne sommes-nous pas les plus grands débiteurs de la société ? Assurément, nos efforts personnels, notre assiduité à l'étude sont pour quelque chose, pour une bonne part même, dans nos acquisi­tions. Mais, s'il n'y avait pas eu une maîtresse ou un professeur pour nous enseigner les élé­ments, s'il n'y avait pas eu d'institutions de sa­voir pour nous dispenser les connaissances, quel serait notre bagage intellectuel aujourd'hui ?

Or, ce n'est pas nous qui avons fait nos maî­tres et nos maîtresses. Ce n'est pas nous qui avons bâti les collèges et les universités et formé leurs professeurs. Et d'autres que nous, s'ils avaient eu les mêmes avantages, auraient pu en bénéficier peut-être mieux que nous.

Par les divers organismes qui ont permis no­tre formation, nous avons contracté une dette, une immense dette envers la société. Que faisons-nous pour nous en acquitter ?

Les institutions n'ont pas été fondées pour ren­dre des hommes capables de remplir leurs poches ou leur portefeuille plus rapidement et plus abon­damment que la masse ? Leur but n'est pas de donner à leurs diplômés des moyens de vivre ma­tériellement mieux que la multitude.

L'universitaire qui ne se sert de son instruc­tion que pour se faire un revenu plus facile, que pour mieux pomper l'argent du public, cet uni­versitaire-là trahit sa mission et déshonore l'ins­titution où il a conquis ses palmes.

Trahisons politiques

Et que penser, donc, de ceux qui ajoutent la politique à leur profession uniquement pour trouver des honneurs et des revenus ? Or, si ce n'a pas été là la principale occupation des politi­ciens jusqu'ici, comment se fait-il que, devant des greniers pleins, le peuple n'a de pain que s'il par­ticipe à une tuerie d'hommes organisée sur une grande échelle ? À quoi a servi le passage de cen­taines d'universitaires dans nos chambres légis­latives, quand on en aboutit là ?

Quel gâchis ont fait ou laissé faire ceux qui de­vaient être les lumières et les créateurs de leur pays ! Nos ressources naturelles sont devenues, sous leur administration, la propriété d'intérêts étrangers. Les descendants des fondateurs du pays ne forment plus, dans leur propre patrie, qu'une masse de prolétaires, d'hypothéqués, d'assujettis aux puissances d'argent, d'endettés, de payeurs d'impôts pour le compte de ceux qui les exploitent.

Elle est grande, hélas ! la déchéance de plu­sieurs des produits de nos universités. Égoïstes af­fairés à s'enrichir. Politiciens lâches et corrom­pus. Si quelques-uns se lèvent au milieu du chaos, et prennent la plume dans un bureau confortable, ou la parole dans des banquets ou des assem­blées montées pour eux, ne visent-ils pas plus à éblouir qu'à éclairer, à se faire valoir qu'à se faire comprendre ? Et combien souvent, dans ces occasions, n'apportent-ils pas leur appui au sys­tème d'exploitation, se faisant les défenseurs des maîtres de l'argent, essayant d'arrêter l'a marée montante des dénonciations et des demandes de redressement ?

Ceux qui se trouvent coiffés pourront traiter cette sortie de démagogie. Ce ne sera pas nou­veau. Les scribes et les pharisiens, dérangés dans leur orgueil et dans leur soif de domination par le Sauveur qui allait à la masse du peuple, n'a­vaient pas une autre manière de qualifier l'ami et l'apôtre des humbles : C'est un démagogue, il soulève le peuple.

Le talent ne remplace pas la charité

L'Union des Électeurs ne s'attarde pas, comme les partis politiques, à solliciter l'appui d'hommes dont la vision ne dépasse pas les frontières de leurs intérêts privés. Faite pour la masse, pour le bien de tous et de chacun, elle ne frappe point aux portes de ceux qui ne pensent au prochain que pour en tirer quelque chose.

Les réflexions précédentes n'ont donc point pour but d'enrôler des égoïstes de carrière. Mais elles peuvent amener des distraits à réfléchir.

Elles pourront au moins servir d'éclaircisse­ment à des esprits bien intentionnés qui se de­mandent parfois : Comment se fait-il que le mou­vement créditiste, que l'Union des Électeurs, avec leurs objectifs de bien commun si haute­ment affirmés, ne comptent pas plus de profes­sionnels parmi leurs dirigeants ?

Le talent, la science ne suffisent pas pour fai­re le bien. La science du démon dépasse de beau­coup celle de nos plus brillants politiciens ; mais cela ne l'empêche pas de rester ce qu'il est, se­meur de désordre. Il a des imitateurs.

L'Union des Électeurs refuse donc de traiter les hommes comme des animaux ; elle abandonne cette manière aux politiciens de partis, incom­pétents à conduire de véritables hommes. L'Union des Électeurs s'applique à développer les facultés intellectuelles des électeurs, de tous les électeurs, afin qu'ils forcent les gouvernements à les considérer comme des personnes humaines.

J.-Ernest GRÉGOIRE

Maître J.-Ernest Grégoire

Poster un commentaire

Vous êtes indentifier en tant qu'invité.

Panier

Dernière parution

Infolettre & Magazine

Sujets

Faire un don

Faire un don

Aller au haut
JSN Boot template designed by JoomlaShine.com