La faim se passe-t-elle en mangeant du pain, de la viande, des légumes, des fruits, ou en avalant des piastres ?
S'habille-t-on avec des vêtements de laine, de coton, de soie, ou avec des piastres ?
Se soigne-t-on avec des remèdes ou avec des piastres ?
Se loge-t-on dans une maison ou dans des piastres ? Se défend-on contre l'ennemi avec des canons, des mitrailleuses, des chars d'assaut, ou avec des piastres ?
La chose, c'est le pain, la viande, la nourriture. La piastre n'est qu'un signe pour exprimer la valeur de la chose.
La chose, c'est le vêtement, les remèdes, le logement, le canon, la mitrailleuse, le char d'assaut. La piastre est le signe qui en exprime la valeur. Qu'est-ce qui importe, la chose ou le signe ?
Lequel doit commander l'autre, la chose ou le signe ? Est-ce la chose qui doit être d'après le signe, ou n'est-ce pas plutôt le signe qui doit être d'après la chose ?
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Pourtant que constate-t-on ? La chose est là, mais le signe est absent. On laisse la chose là, et on court après le signe.
Le blé est dans l'élévateur, la piastre n'est pas en face. On laisse le blé là, on se prive de pain, on souffre et on meurt de faim tant que le signe, la piastre ne vient pas.
On diminue les choses, parce qu'il n'y a pas de signes. C'est le signe qui gouverne la chose.
Pas de piastres, on ne fait pas de chaussures, même si on a du cuir, des cordonniers et des pieds nus. Le signe n'est pas là, défense à la chose d'entrer.
On nous prêche l'économie, l'épargne. Économie de quoi ? Épargne de quoi ? Économie de forces, économie de temps, économie de choses ? Pas du tout : économie de signes, économie de piastres.
On n'a pas peur de manquer de choses au Canada demain, dans dix ans, dans vingt ans. Mais combien ont peur de manquer de signes ! Et c'est toute la raison d'être de l'épargne de signes.
En augmentant ou en diminuant la quantité de signes, les contrôleurs de signes font diminuer ou augmenter la valeur comptable des choses ; ils faussent la comptabilité et provoquent des banqueroutes.
Vous avez payé une maison quatre mille piastres. Vous l'améliorez, vous augmentez sa valeur de confort, sa valeur de protection contre la chaleur ou contre le froid, et voilà que votre maison ne vaut plus que $3,000. Est-ce la maison qui a perdu sa valeur, ou la piastre qui a augmenté la sienne ?
C'est la piastre qui a changé de valeur. On a joué avec le signe, il faut que la chose danse d'après le signe. Et l'homme aussi.
La santé est une chose précieuse. Oh ! oui, précieuse tant que vous voudrez, mais pas aussi importante que le signe. Si la piastre n'est pas là, périsse la santé, même s'il y a des médecins habiles et des remèdes efficaces.
L'éducation est un grand bien. Très grand, mais qui pâlit à côté du signe. Si la piastre est là, votre enfant va s'instruire ; si la piastre n'est pas là, un mannequin peut remplacer le professeur.
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Le signe passe avant la chose. Le signe devient l'objectif.
Un jeune homme entre à l'emploi d'un manufacturier. Ses parents ne lui demandent pas : Combien de semelles, combien de talons fais-tu par jour, par semaine ? Non pas, mais : Combien de piastres touches-tu par semaine ?
Un atelier de vêtements ouvre et ferme non pas selon que le monde a besoin ou non d'habits, mais selon que le propriétaire de l'établissement encaisse ou n'encaisse pas de signes, de piastres.
On pense en signes au lieu de penser en choses. Et ça joue de mauvais tours parfois, surtout lorsqu'un adversaire s'est mis à penser en choses au lieu de penser en signes.
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La guerre est pleine de leçons, et elle est justement en train de donner de fameuses leçons sur les choses et les signes.
En Allemagne, depuis plusieurs années, on s'est habitué à penser en choses. On calcule encore en signes, mais on pense en choses.
Hitler n'a jamais cru qu'il gagnerait des guerres avec de l'argent. Mais il a toujours su qu'il les gagnerait avec des canons, des chars d'assaut, des avions, des sous-marins. Avec des hommes et des choses, pas avec des signes.
Il s'armait, non pas lorsqu'il avait de l'or, mais lorsqu'il avait du matériel d'armement et des hommes pour faire des engins meurtriers avec ce matériel.
Pendant ce temps-là, en France et ailleurs, on allait d'après le signe. Les hommes chômaient et le matériel restait là. On attendait les signes.
On commence à se rendre compte que ce qui est physiquement possible doit le devenir financièrement. On ne veut plus que le manque d'argent empêche de bouger. Mais comme on se tortille de toutes manières avant de se décider, parce qu'on a peur de faire tort au culte des signes ! On veille à pomper les piastres partout où il y en a, avant de songer à en faire d'autres, parce qu'on a peur que les piastres deviennent moins rares, moins précieuses. Si l'on augmente les signes pour permettre d'utiliser les choses, on augmente en même temps les dettes, afin de garder le moyen de diminuer les signes lorsque la tuerie sera terminée.
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Jean-François Pouliot disait à la Chambre des Communes le 29 mai, et le petit perroquet de Sherbrooke répétait le 2 juin, que c'est l'inflation qui a fait perdre la guerre par la France.
Les faits ne s'accordent guère avec cette déclaration.
Paul Reynaud était premier-ministre en France. Ce Paul Reynaud s'est toujours opposé à toute expansion monétaire. Il avait constamment sur son bureau de travail des marks allemands de la période d'inflation. Lorsque des réformateurs venaient le trouver et le prier de faire des émissions de monnaie pour occuper les bras inactifs et fabriquer des munitions de guerre afin de faire face au réarmement de l'Allemagne, il leur montrait la monnaie allemande devenue sans valeur, en leur assurant que l'argent de Hitler ne fonctionnerait jamais.
Les ministres des finances français, anglais, américains, étaient tous de cet avis. Pourtant qu'est-il arrivé ?
La dévaluation complète du mark allemand en 1923 fut une catastrophe pour ce pays. Mais au moins elle enseigna quelque chose aux Allemands. En voyant une paire de chaussures annoncée à trois millions de marks le matin et à quatre millions le soir, ils trouvaient que la chaussure restait aussi bonne, c'était le mark qui ne valait rien. Ils apprirent à désirer plus que le mark, à chercher la chose plutôt que le signe.
Moyennant tant soit peu de jugement, il n'y a pas besoin d'aller à cette extrémité pour se rendre compte que c'est la chose qui compte. C'est la chose qui doit gouverner.
C'est pourquoi les Créditistes, qui sont avant tout hommes de jugement et de logique, n'ont pas besoin d'inflation ni de déflation pour apprendre à raisonner. Ils demandent que la chose soit d'après les besoins et les possibilités. Puis que le signe soit d'après la chose. Alors la chose gardera sa valeur et le signe servira la chose, il servira les hommes qui ont besoin de la chose.