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L'argent n'est pas tout...

Gilberte Côté-Mercier le lundi, 15 novembre 1943. Dans L'économique

Rien de plus vrai, que l'argent n'est pas tout. Ceux qui s'appliquent à le clamer et répéter per­dent leur temps à débiter une vérité que tout le monde admet, hors les puissants qui ont fait leur dieu du veau d'or. Ils se donnent par dessus le marché des airs pour affirmer des choses d'accep­tation courante et s'imaginent boucher un coin aux créditistes en répétant de vieux clichés. Com­me si les Créditistes avaient déjà prétendu que l'ar­gent fût tout dans un monde aussi développé et sur une terre aussi généreuse !

L'argent, selon les adeptes du Crédit Social, est ce qu'il y a de plus insignifiant : un chiffre, un bout de papier qui n'a aucune valeur intrinsèque et qui n'a d'autre fonction que de faciliter les échanges. C'est parce qu'il est rare, disons-nous, qu'il se fait tant désirer et qu'il accapare les pensées humaines. Qu'on en mette à la portée de tous et les pensées s'élèveront et les cœurs battront pour des causes plus nobles.

L'argent ? Mais ce n'est rien à comparer à ce qui nous entoure. C'est une chose entre cent, entre mille. L'argent n'est ni de l'eau pour boire, ni une maison pour se loger, ni une voiture pour se trans­porter, ni un fruit pour se nourrir, ni un vêtement pour se préserver du froid, ni je ne sais quoi. Une chose entre mille, disais-je ? Bien. Voyons mainte­nant si je puis me procurer les 999 autres choses sans argent.

La matière

Il est un item de la vie courante que le progrès n'a pas encore monnayé, et c'est l'air. Pas besoin d'argent pour respirer, à condition que l'on veuille bien prendre l'air comme il vient. Mais si l'on se met en tête de remplir ses poumons d'air climati­sé, oh ! alors, gare au porte-feuille ! Disons tout de même que l'air ne coûte rien pour le commun des mortels. Mais l'air n'est pas tout, comme l'argent du reste...

L'eau est une autre nécessité quotidienne dont le Créateur ne s'est pas montré avare puisqu'Il en a mis trois fois plus que de terre sur notre planète. Et pourtant, il n'est pas un citadin qui ne doive débourser de deux à trois dollars par mois pour boire et utiliser de l'eau d'un goût souvent dou­teux. Heureux ceux qui peuvent encore faire usage d'eau gratuite : l'eau hypothéquée ne vaut pas cher !

Au chapitre de l'éclairage, seul le soleil nous dis­pense ses rayons sans frais. Mais le soleil ne sau­rait s'attarder au-dessus de nos têtes pendant que d'autres humains soupirent après sa venue. Il faut le remplacer par de l'électricité, du gaz, de l'huile, toutes choses qu'on ne peut obtenir gratuitement sans risquer de faire de la prison.

Je pourrais tracer ainsi un commentaire sur la plupart des nécessités premières de l'existence. Je n'ai encore rien dit de la nourriture, du vêtement, de l'abri, du chauffage, des moyens de communi­cations, des machines, des outils, et le reste.

Il serait d'ailleurs bien inutile de prolonger la liste quand tout le monde sait — et les créditistes mieux que pas un — qu'il ne se fait pratiquement aucun échange dans le monde moderne qu'il ne faille de l'argent.

L'esprit

Mettons de côté maintenant tout ce qui se rat­tache à notre guenille de corps et pénétrons hardi­ment dans le domaine de la vie intellectuelle.

Vous et moi, nous sommes nés parfaits igno­rants. C'était bien le moins que nos parents nous fissent instruire un peu ! Pour cela, ils ont payé des écoles et payé des instituteurs - oh si peu cher ! — avec de l'argent.

Plus tard, toujours avec de l'argent, les miens me poussèrent au collège, puis durent m'en retirer lorsqu'ils n'eurent plus d'argent. Personne alors ne s'est offert à me garder sans rémunération, et j'en ai conclu que le développement intellectuel est in­timement lié à la question monétaire. Qu'on ait affaire à des religieux ou à des laïques, à des insti­tutions sous contrôle gouvernemental ou sous con­trôle privé, peut importe : chacun a besoin d'un revenu pour rencontrer ses dépenses.

L'un des plus grands plaisirs de l'esprit est la lecture. Mais comment me procurer un journal ou un livre sans payer ? Les journalistes — même s'ils se disent détachés des biens du monde et aiment prêcher le sacrifice — et les poètes — même s'ils se laissent emporter au-dessus des nuages — ne dédaignent pas un revenu qui leur permette d'at­teindre le grand âge et sont trop intelligents pour abréger leurs jours par des privations, quand ils peuvent faire autrement.

Non, non, tant que le monde sera monde et que l'argent aura cours, on ne saurait dissocier l'hom­me de la monnaie et permettre plus longtemps que le créateur, l'homme, soit entravé dans ses aspira­tions légitimes par sa créature, la monnaie !

L'âme

Hélas, mon âme, toi aussi tu me causes des sou­cis d'argent. Car, vois-tu, je veux te sauver. Et pour te sauver, je pratique la religion que je crois la meilleure, je ne prends pas de chances !

La foi que je partage avec la majorité des habi­tants de la Nouvelle-France se concrétise dans des temples, des ornements du culte, des objets de pié­té, et je ne voudrais pas que ces choses disparais­sent, ô mon âme, de crainte que leur disparition ne me fît perdre le goût de la prière qui te rappro­che de Dieu. Il me faut donc payer ma part des temples, des ornements du culte, des objets de pié­té, et je le fais joyeusement. Mais pour cela j'ai besoin d'argent.

Et puis, il y a la dîme à mon curé. Il mérite de vivre lui aussi. Je ne saurais, par exemple, lui faire l'injure d'apporter en paiement des poules ou un sac de blé, vu qu'il a certainement d'autres besoins. Non, ce mode d'acquittement est trop ancien, et s'il allait reparaître, mon curé ne pourrait plus se servir de son automobile, car personne ne produit d'essence dans la paroisse. Je lui passe donc du bel argent, avec lequel il se procure ce qu'il veut, quand cela lui plaît. C'est moderne et combien plus pratique, surtout.

Réjouis-toi, mon âme, que l'argent soit si souple et puisse servir au bien comme au mal ; mais pleu­re, pleure sur la folie ou l'égoïsme des hommes qui ne veulent pas que l'argent soit proportionné aux choses qu'il y a à vendre.

En somme, bien que l'argent ne soit pas tout, que peut-on obtenir sans lui ?

Chaque lecteur de "Vers Demain" pourra défi­nir la nécessité d'une monnaie abondante à la lu­mière de sa propre expérience.

Pour ma part, j'ai beau chercher dans tous les recoins de la vie courante, je ne trouve à peu près rien qui ne se vende ; j'ai beau me faufiler sous la peau de ceux qui professent avoir une sainte hor­reur des choses de la terre, je me bute encore à des besoins que seul l'argent peut combler ; j'ai beau entreprendre des voyages dans l'azur et tenter de prolonger mes séjours dans des mondes chiméri­ques, toujours mon estomac vient me rappeler l'heure du dîner, et l'heure du dîner crée un vide dans ma bourse. Hélas, comment vivre sans ar­gent ?

La vraie vérité, c'est que sans argent on crève au sein de l'abondance. Les années de 1929 à 1939 sont-elles déjà si éloignées de nous que nous ne puissions plus en juger ?

Gilberte Côté-Mercier

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