Les 130 délégués, venus à Toronto de huit provinces, sans être de la même race, de la même langue ou de la même religion, se rencontraient dans la même salle, parce qu'ils avaient entre eux quelque chose de commun, une grande idée commune. Ils venaient là, ces 4, 5 et 6 avril, parce qu'ils étaient créditistes et déterminés à prendre les moyens d'instituer le Crédit Social au Canada.
C'était leur but défini. Et c'est un but important. Il s'agit, dans le Crédit Social, de savoir si les Canadiens auront tous trois repas par jour, ou si des milliers de familles devront se priver, quand la nourriture pourrit sous leurs yeux et qu'on fouille les cinq parties du monde pour trouver où mettre les produits du Canada.
Il s'agit aussi de savoir si, pour avoir nourriture, vêtement et logement, il faut sacrifier sa liberté, devenir des créatures de l'État, s'embaucher pour les gouvernements, renoncer au droit d'organiser sa propre vie en vertu de ses aptitudes et de ses attraits personnels.
Et les créditistes, de Halifax à Vancouver, savent, et crient sur tous les toits, que rien ne manque en ce pays, pour une bonne vie temporelle de la multitude, que le pouvoir d'achat assez abondant et à la bonne place. Et le Crédit Social possède une technique pour assurer ce pouvoir d'achat, en rapport avec la productivité du pays et les besoins de ceux qui l'habitent. Une technique qui garantit à tous et à chacun une mesure de sécurité économique, sans porter atteinte à sa liberté.
Voilà pourquoi les créditistes de huit provinces s'assemblaient à la Convention de Toronto. Ils n'y venaient pas pour savoir s'il fallait intensifier ou atténuer l'effort de guerre. Pas pour décider si l'on allait continuer ou non de participer à toutes les guerres de l'Empire. Aussi, ni les chauds ni les froids n'ont dit un mot de l'effort de guerre. Il ne s'agissait pas de cette question.
Cela a surpris certains journaux. Il en est qui n'y voient goutte, d'autres qui soupçonnent hypocrisie d'un côté, faiblesse de l'autre. Voilà, écrivent-ils, un parti politique nouveau qui se fonde dans le champ fédéral, et il ne donne pas son attitude vis-à-vis des relations extérieures du Canada. Or, on a vu au Parlement d'Ottawa des créditistes qui ont réclamé la conscription totale, des hommes comme de la finance et des ressources matérielles de la nation. Que vont donc faire les créditistes de Québec dans cette galère ?
La méprise de ceux qui parlent ainsi, c'est de prendre l'organisation politique des créditistes pour un parti politique, dans lequel tous doivent dire la même chose sur toutes les questions. Cela, ce serait une galère. Or, les créditistes ne sont pas et ne veulent pas être des galériens.
Nous nous sommes rassemblés à Toronto pour prendre les moyens politiques de régler la question de l'argent. Et les hommes et les femmes qui se rassemblaient là s'entendaient parfaitement sur le règlement de cette question.
Depuis quand faudrait-il que des hommes qui s'entendent sur un point et pas sur un autre ne puissent s'associer pour résoudre celui sur lequel ils s'entendent ?
Ou bien, depuis quand faudrait-il que les hommes soient d'abord d'accord, extérieurement au moins, sur tous les points, avant de pouvoir régler celui sur lequel ils sont d'accord depuis longtemps ?
Depuis quand ? Depuis que le système de partis politiques a décrété cette anomalie. Depuis que le parti politique consiste à créer un moule et à mettre dans le moule tous ceux qui viennent au parti dans le but de conquérir ou garder le pouvoir.
Depuis quand ? Depuis que les partis politiques ont tué la liberté, établi la dictature de clan et immolé les électeurs à la soif du pouvoir.
Et c'est justement à la faveur de ces atrophies d'hommes par les partis politiques, que les exploiteurs de la haute finance et des grands monopoles saignent l'humanité et l'affament devant des montagnes de produits.
Les créditistes qui sont venus à Toronto ne sont pas seulement des hommes décidés à renverser la dictature d'argent ; ce sont aussi des hommes décidés à refuser toute dictature, dictature socialiste, dictature communiste, dictature de parti politique.
Ce sont des amants de la liberté. Impossible de faire un parti politique avec des amants de la liberté.
Une organisation politique pour un but précis. Oui. Et les créditistes en ont formé une. Mais ils sont partis de Toronto, aussi libres de leurs opinions et de leurs votes sur les questions de guerre, d'empire, d'immigration, d'éducation, et autres, qu'en y venant. Ils se sont entendus sur le chapitre qui les convoquait ensemble, et ne se sont nullement préoccupés des autres.
C'est ce qu'on appellerait, dans le style de Jacques Maritain, une formation politique spécifiée ; ou une fraternité politique poursuivant une fin particulière. (Humanisme Intégral, page 288.)
La politique de demain ne peut être la politique d'hier, ou bien les désordres d'hier seront encore les désordres de demain.
Les créditistes veulent une économie nouvelle, oui. Et ils ne la demanderont pas à la politique ancienne, qui n'a jamais su établir une économie nouvelle, et qui ne voit de nouveau aujourd'hui que dans la continuation de l'enrégimentation, du service sélectif, des taxes, des dettes, de l'embauchage intégral.
La politique ancienne, au Canada et dans combien d'autres pays, c'est la politique de partis. La formule des créditistes est tout autre.
Chacun de nous est revenu de Toronto, membre de l'Association Créditiste du Canada, dont l'Honorable Solon Low a été nommé chef et président, et dont le signataire de cet article a été nommé vice-président.
Cette Association va chercher à placer le plus possible de ses membres dans les parlements, afin de réclamer une législation créditiste ; mais cela ne veut pas dire que tous les créditistes au Parlement seront unanimes sur tous les problèmes canadiens.
Sans doute que les partis politiques, le libéral, le conservateur et toute la kyrielle, se donnent une plateforme complète et lient tous leurs députés derrière la décision du parti. Mais rien de tel dans le groupement créditiste. Ce n'est pas un parti, c'est une association politique pour un but défini.
Je serai avec M. Low pour réclamer l'adoption des propositions créditistes clairement définies dans la plateforme votée à Toronto. Je serai avec lui pour demander un dividende national pour chaque homme, femme et enfant de chaque famille canadienne. Et je crois que, si en m'unissant à lui et aux autres créditistes du Canada, j'obtiens ce point, j'aurai rendu grand service à mon pays. Je crois que, ce point gagné, la vie canadienne sera plus amène, plus douce pour tous, moins semée d'aigreurs et de conflits, et que les autres problèmes seront plus faciles à régler.
Mais je ne m'engage nullement à dire comme M. Low ou à voter comme lui sur toutes les questions soumises au Parlement.
L'Association Créditiste est une formation politique spécifiée, dont tous les membres se liguent ensemble pour réclamer une législation créditiste, mais restent entièrement libres de voter avec d'autres groupes sur d'autres questions.
Mais, dira-t-on, comment le groupe, créditiste peut-il, sans être d'accord sur toutes les questions, prendre ou conserver le pouvoir ?
Répondons d'abord qu'il n'est point du tout de l'essence du Crédit Social de prendre le pouvoir, mais bien de mettre l'argent au service de tous les consommateurs et les institutions politiques au service de tous les citoyens.
C'est parce que les libéraux et autres partis politiques refusent de le faire, que les créditistes s'organisent pour peupler les parlements.
Si un parlement devient majoritairement créditiste, ils pourront bien, sans être un parti, forcer
le gouvernement à donner une législation créditiste, car sur ce point ils s'uniront, et le gouvernement devra ou dompter l'argent ou vider les lieux.
Et si le cabinet lui-même est constitué de créditistes, les députés créditistes seraient tous ensemble avec ce gouvernement sur la question qui les a associés. Sur chacune des autres questions, ils seraient libres, mais le gouvernement ne pourrait se maintenir au pouvoir qu'en présentant des mesures qui rencontrent les vues de la majorité du Parlement, sans lignes de partis — ce qui est conforme à la véritable démocratie.
Mieux que cela : une formation politique spécifiée, comme celle de l'Association Créditiste, peut très bien se liguer, sur les questions de finance, avec les membres d'autres groupes politiques qui partagent les opinions créditistes (s'ils ne sont pas trop liés par leur parti) et former pour l'occasion, sans majorité spécifiquement créditiste, une coalition assez forte pour exiger du gouvernement une réforme financière dans le sens du Crédit Social.
Il est temps qu'on cesse de vouloir lier des hommes ensemble sur toute la ligne, sous prétexte qu'ils ont des points de contact ; ou qu'on défende à des hommes d'avoir des points de contact, sous prétexte qu'ils ne peuvent se lier sur toute la ligne.
Il y a longtemps qu'on parle contre les partis politiques et le mal qu'ils nous ont fait. Ne serait-il pas temps qu'on commence à faire de la politique, même de la grande politique, avec d'autres formules que celle des partis politiques ?
En cela, comme en économique, les créditistes sont pionniers. Ils sont les premiers au Canada, et probablement dans le monde entier, à s'engager dans une politique sans parti, et cependant organisée pour employer des forces qui s'entendent.
Sont donc mal venus ceux qui reprochent aux créditistes canadiens-français de s'associer à des créditistes de l'ouest qui ont manifesté des tendances impérialistes. C'est sur un autre point qu'on s'associe. Faudrait-il donc être du côté de la finance, accepter d'abord le système monétaire actuel, pour mériter les votes des Canadiens français ? Ou faudrait-il entrer dans un parti qui claironne toutes les réformes excepté celle de l'argent ?
Les créditistes de Nouvelle-France sont aussi nationalistes que les plus beaux discoureurs de n'importe quel autre groupement politique de leur province. Mais, en même temps, ils croient qu'un homme doit commencer par avoir ses trois repas par jour et une maison pour abriter sa famille. Et ils ont l'esprit assez large pour s'associer à d'autres qui s'entendent avec eux sur ces choses fondamentales. Pour le reste, ils gardent toute leur liberté de pensée, de parole et d'action ; et la plateforme adoptée à Toronto le déclare expressément.
Nul parti politique n'a jamais ainsi respecté la liberté de ses membres. L'Association Créditiste laisse derrière elle toutes les mesquineries des partis politiques ; elle a d'ailleurs, de vie politique et économique, une conception qui la distingue de tous les partis politiques canadiens, pris ensemble ou séparément.