Le 7 mars, à la Chambre des Commune, M. Blackmore, leader créditiste à la Chambre, disait :
"Je suppose que les honorables députés seront fort étonnés d'apprendre que, depuis le début de la guerre, des hommes sont venus ici, ont entrevu des hauts fonctionnaires compétents du gouvernement fédéral et leur ont offert d'établir dans notre pays trois sucreries, et qu'on leur a refusé les avantages dont ils avaient besoin pour leur fournir la chance de fonder ces industries au Canada. Ceux qui sont chargés de l'administration se montrent disposés à laisser la population manquer de certaines denrées, plutôt qu'à courir le risque de voir le sucre en abondance — abondance qu'ils redoutent.
"Je vais maintenant poser des questions auxquelles on devrait répondre.
"Quel rapport existe-t-il entre le Gouvernement et ce grand monopole du sucre (la St. Lawrence Sugar Refining Co.), et entre le gouvernement et le chef de cette corporation, un certain John -W. McConnell ?
Pourquoi le Gouvernement s'est-il montré indulgent pour ces tripotages de l'industrie sucrière ?
"Bien des soupçons seraient dissipés ici et dans tout le Canada, si le premier-ministre déclarait catégoriquement que le parti libéral n'a jamais reçu, directement ou indirectement, de la St. Lawrence Sugar Refining Co., de J.-W. McConnell, ou d'un représentant de l'un ou des deux, ou de toute autre sucrerie canadienne, des fonds pour la caisse électorale du parti libéral.
"Nous serions également fort aises de recevoir du premier-ministre l'assurance que la Canada Packers n'a fourni aucune contribution à la caisse électorale du parti libéral...
"J'aurais pu ajouter que, si l'on savait que ces importantes maisons, auxquelles j'ai fait allusion, ont souscrit généreusement aux emprunts de guerre et que le Gouvernement se gardait de les offenser de crainte qu'elles ne cessent leurs prêts, cela nous aiderait à comprendre qui domine ce Gouvernement et comment s'exerce cette domination.
"Puis-je dire au Gouvernement qu'il pourrait se soustraire à toutes ces influences pernicieuses, s'il adoptait un régime fondé sur les réalités de l'économie canadienne ? Car aucune compagnie dans ce pays ne pourrait acquérir ou exercer une domination sur un gouvernement qui serait libre d'émettre des devises en fonction des marchandises et des services que peut produire le peuple."
Le premier ministre, l'ion. Mackenzie King, a répondu le 10 mars, également à la Chambre des Communes.
M. King s'est montré fort indigné des insinuations de M. Blackmore ; mais il n'a point du tout dit si la compagnie de sucre ou son président avait ou n'avait pas fourni des fonds à la caisse électorale du parti libéral. Rien non plus sur le même point au sujet de Canada Packers.
M. King a plutôt fait l'éloge de M. McConnell et de sa compagnie. Selon M. King, nul n'a fait preuve d'un plus grand empressement que M. McConnell à placer les intérêts du Canada au-dessus des intérêts de son propre commerce.
Il y a bien, dans le pays, des petits et moyens commerçants qui ont été mis à pied devant les intérêts suprêmes du pays et qui ne sortiront pas de la guerre en aussi bonne posture financière que la St. Lawrence Sugar Refining Co. ; mais c'est du menu fretin, et le patriotisme de M. McConnell les dépasse tous.
Selon M. King :
"Ce sont des déclarations irresponsables et injustifiées comme celles-ci, faites tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Chambre, qui détruisent la confiance du peuple dans le Gouvernement et dans le Parlement, à un moment où il n'a jamais été aussi nécessaire d'avoir foi dans les institutions démocratiques de gouvernement que présentement."
C'est à voir ! Comme si l'inertie du gouvernement Bennett de 1930 à 1935, et l'inertie du gouvernement King de 1935 à 1939, en face de 750,000 chômeurs, n'avaient pas plus que toute autre chose contribué à ébranler la confiance du peuple dans ses gouvernements et ses parlements.
Est-ce le silence des députés, ou leur vigilance, qui est de nature à rehausser la confiance du peuple dans son Parlement ?
Entre les lignes de la réponse de M. King, on est tenté de lire avec beaucoup d'édification :
"Des contributions sont faites aux fonds électoraux du parti libéral, c'est vrai. Et des autres partis aussi. Mais cela n'effleure en rien la vertu de ceux qui en bénéficient.
"Le seul fait d'être élus par la machine bien financée du parti nous rend invulnérables.
"Les influences pernicieuses dont parle M. Blackmore peuvent être à l'œuvre, mais nous y résistons héroïquement.
"La St. Lawernce Sugar ou la Canada Packers peuvent nous bourrer d'argent, leurs intérêts ne nous émeuvent pas plus que les intérêts du pauvre diable qui mendie son pain pour dîner ou son gîte pour la nuit.
"Ne pas admettre que nous sommes confirmés en grâce, c'est porter atteinte à la vertu sanctifiante de la démocratie, surtout à une époque où nous démontrons si éloquemment qu'un Canada en guerre peut nourrir ses fils lorsqu'un Canada en paix les laissait crever de faim."