Si quelqu'un bénéficie d'une fortune matérielle considérable, l'État lui rappelle qu'il a le devoir d'en faire profiter la société. l'État le force même à accomplir ce devoir, en lui imposant des impôts plus lourds qu'aux autres. Et c'est juste.
Mais il est un autre devoir social, non moins grave, que personne pourtant ne nous force aujourd'hui à remplir ; un devoir qui devrait être en honneur dans une société civilisée et spiritualiste. C'est celui de mettre ses talents, sa compétence, son instruction, sa science, sa sagesse au service de la société.
Pourquoi est-ce un devoir ? Parce que la compétence acquise, l'instruction accumulée, la science reçue, les talents développés sont dus en grande partie aux avantages de la société. Qui peut dire : "Tout ce que je suis, tout ce que j'ai, je ne le dois qu'à moi-même, je ne dois rien aux autres" ?
Qu'on n'oublie pas le dénuement, la faiblesse d'un petit enfant au berceau. Et qu'on se demande si par ses propres moyens, sans l'aide de personne, cet enfant peut arriver à faire un savant, un intellectuel, à vivre seulement.
Les riches, les intellectuels ont sûrement plus de devoirs sociaux que les pauvres et les ignorants. Et dans une époque comme la nôtre, où les désordres ne se comptent plus, où l'édifice social fonctionne à l'envers, c'est dans la classe aisée, dans la classe instruite que devrait surgir le plus de dévouement, le plus de sacrifices, les plus généreuses entreprises de redressement.
Malheureusement, aujourd'hui, il n'en est pas ainsi. Ceux qui comprennent le mieux leurs devoirs sociaux et qui les mettent le mieux en pratique, ce sont souvent les victimes de la société, ceux qui en ont reçu le moins de bienfaits et le plus de souffrances. Les gavés, les repus, les érudits et les parcheminés sont trop souvent confinés dans leur égoïsme et les premiers à vouloir maintenir un état de choses qui empêche la société d'accomplir sa fin, à savoir d'aider chacun de ses membres à vivre comme de véritables personnes humaines.
Jean GRENIER