Par Walter F. Kuhl, député créditiste à la Chambre des Communes, Ottawa, le 3 juillet 1944 :
"Nous nous battons pour la démocratie" est une expression si ressassée, qu'il serait temps, à cette époque de notre histoire et à ce stade de la guerre, de définir ce que comporte ce mot de "démocratie".
J'ai écouté des discours, lu des éditoriaux, des articles, des plaquettes, des tracts et des livres, et je suis d'avis que, de l'anarchie à la dictature absolue, tout est propagé au nom de la démocratie.
Appeler démocratie une philosophie n'en fait pas plus une démocratie qu'on ne fait du putois un chat en lui donnant ce nom. Il est grand temps d'indiquer en quoi consiste la démocratie.
Une des caractéristiques essentielles de la démocratie, c'est la décentralisation du pouvoir et de l'autorité. Vu que la dictature suppose la centralisation du pouvoir et de l'autorité, inversement la démocratie doit en comporter la décentralisation.
Il doit sauter aux yeux de tous que nous sommes témoins, à cette époque, non seulement au Canada mais dans le monde entier, d'une tendance à une centralisation de plus en plus marquée. Il semble que nous ne trouvons jamais nos organismes assez vastes. Au lieu d'organismes où une couple de pays s'associent, la plupart des gens parlent maintenant d'organismes mondiaux.
Voilà à mon point de vue une tendance très dangereuse, qui pourrait fort bien aboutir à la dictature.
On nous dit, dans cette Chambre et à travers le pays, que pour que le gouvernement fédéral puisse résoudre efficacement des problèmes nationaux urgents, les provinces doivent de plus en plus abandonner leurs pouvoirs. C'est là un argument entendu fréquemment en cette Chambre et ailleurs.
Selon moi, il est tout à fait faux de prétendre que, sous l'empire de l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, le gouvernement fédéral n'a pas déjà assez de pouvoirs pour s'acquitter de ses obligations.
En vertu de cet Acte, le gouvernement fédéral possède entière juridiction sur toutes les questions qui ont trait aux banques et aux opérations bancaires, ainsi que sur toutes les questions relatives à la monnaie. Or, la maîtrise des questions monétaires est une maîtrise absolue.
Il n'y a pas longtemps, nous avons eu une discussion sur les pensions de vieillesse. On a dit que nous n'aurions jamais un système uniforme de pensions de vieillesse tant que cette question ne relèverait pas entièrement du gouvernement fédéral. Je ne partage pas du tout cet avis, ni d'autres qu'on a exposés.
Si le gouvernement fédéral exerçait le pouvoir qu'il détient de par l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, il pourrait émettre la monnaie nécessaire pour répondre aux besoins des provinces et des municipalités. Voilà à mon sens l'une des responsabilités principales du gouvernement central.
Si le gouvernement fédéral voyait à ce que les provinces et les municipalités aient toujours suffisamment d'argent pour rendre financièrement possible ce qui l'est physiquement, ces débats sur la question de compétence n'auraient pas leur raison d'être.
L'attitude du gouvernement fait penser à l'attitude du chien du jardinier. Ce chien ne mange pas de choux, mais il monte la garde pour que personne ne puisse en manger.
(Débats 1944, éd. franç., p. 474e.)