Illustré par LAURENT BEDARD
— Bonnes nouvelles aujourd'hui, Marcel !
— Quoi donc, Jean ?
— La guerre achève. Affaire de quelques semaines, quelques mois tout au plus. La paix glorieuse à l'horizon. Il est temps !
— Cela ne m'excite pas, Jean.
— Aimes-tu la guerre, toi ?
— Non. Mais j'ai peur de ce qui va arriver quand la guerre va finir. Des hommes se tuent, mais au moins on mange. La guerre entretient des salaires. Ces salaires peuvent finir avec la guerre.
La fin de la guerre, pense Marcel, c'est le retour de 750,000 jeunes gens, aujourd'hui sous les armes. C'est la mise à pied de 800,000 hommes, employés à fabriquer des munitions. C'est la fermeture d'un immense marché pour des produits de toutes sortes.
Et Marcel revoit en esprit les tristes années d'avant-guerre : l'usine fermée, une femme et des enfants dans les privations, la pitance dérisoire et humiliante du secours direct. Reviendra-t-on à cela ?
Marcel est accablé sous cette vision.
— Ne crains plus, Marcel. L'après-guerre va être merveilleuse.
— Comment cela, Jean ?
— Eh bien, regarde. Voici les plans de Sécurité Sociale qui commencent. L'Angleterre a le sien, dans un "Livre Blanc". Le gouvernement d'Ottawa ne va pas rester en retard. Il emboîte toujours le pas derrière Londres.
— Qu'est-ce que c'est que cela ?
— Des plans pour que personne ne soit plus abandonné. 1945 ne ressemblera pas du tout à 1935. La misère, c'est fini.
— Dis-moi donc, Jean, qui est-ce qui fait ces plans-là de sécurité sociale, d'embauchage intégral, d'allocations de toutes sortes ?
— À vrai dire, Marcel, je ne sais pas.
— Ceux qui font cela s'intéressent-ils tant à mon bonheur et à celui de ma famille ? Sont-ils près d'ici ? Savent-ils bien ce qu'on aime à avoir ?
— Tu es bien défiant, Marcel !
— Je n'aime pas beaucoup que d'autres se chargent d'organiser ma vie. J'ai déjà vu des plans durant la crise. Plus ils venaient de loin, plus on les vantait, et moins ils nous convenaient. Ces nouveaux plans viennent-ils d'Ottawa ? S'ils sont si fins à Ottawa, pourquoi a-t-on été si mal avant la guerre ?
— Tu m'en demandes trop, Marcel. Mais peut- être que le député pourrait te renseigner. Il est bien savant, lui, et il trouve les nouveaux plans magnifiques.
— Mais, mon cher ami, ces plans sont préparés par de grands génies mondiaux. Je n'ai pas les noms en tête en ce moment. Mais, il y a, par exemple, ce Maynard Keynes qui a orienté les gouvernements dès le commencement de la guerre. Un grand économiste, aujourd'hui lord et directeur de la Banque d'Angleterre. Grands financiers et grands économistes sont faits pour organiser le monde...
— Hum !
— Il y a surtout ce fameux Beveridge, plus célèbre que n'importe quel pape aujourd'hui. C'est un maître de l'École Économique de Londres. De là aussi vient le Dr Marsh, aujourd'hui à Ottawa, qui arrange le plan Beveridge pour le Canada. Soyez tranquille, Marcel, vous n'aurez plus besoin de penser, rien que de faire ce qu'on vous dira.
— Monsieur le député, au diable vos plans !
La guerre est finie. Mais les amants de la liberté, les créditistes, ont fait échouer les plans des encarcaneurs internationaux. Et l'on n'a pas l'air de s'en morfondre. La joie règne, voyez.
— Qu'est-ce que je vais faire de ce dividende, monsieur ?
— Ce que tu voudras, mon ami.
— Des contributions à payer ?
— Pas du tout.
— Où sont les plans ?
— Fais tes plans toi-même, à ton goût.
— Le dividende reviendra-t-il encore ?
— Régulièrement, tant que le pays produit.
— Mais c'est une belle sécurité sociale, et sans moule, s'il vous plaît.
— Exactement, et pour tous et chacun.
— Ce n'est pas du Beveridge !
— Non, c'est du Crédit Social.